Portrait de Pierre Laszlo

Portrait du portraitiste

Dossier : TrajectoiresMagazine N°747 Septembre 2019
Par Alix VERDET

Pierre Las­z­lo est con­nu de nom­breux poly­tech­ni­ciens comme pro­fesseur hon­o­raire de chimie à Poly­tech­nique (1986–1999) mais aus­si des lecteurs de La Jaune et la Rouge comme auteur des por­traits des poly­tech­ni­ciens, illus­trés par Lau­rent Simon. Mem­bre du comité édi­to­r­i­al, Pierre Las­z­lo a coor­don­né plusieurs dossiers : deux sur la chimie, les X et l’écriture, les pays de France et les class­es pré­pas. À l’occasion de la pub­li­ca­tion de son cinquan­tième por­trait, nous souhaitons affich­er un peu de la per­son­nal­ité de cet émi­nent et mod­este pro­fesseur, déli­cat chimiste de l’âme.

D’où venez-vous ? Quelles sont vos origines ?

Je suis français de pre­mière généra­tion. Mes par­ents étaient hon­grois comme mon nom l’indique. Ils ont quit­té la Hon­grie en 1930 du fait de la grande crise économique. Il y eut une scène digne d’un film néoréal­iste ital­ien. Mes grands-par­ents, que je n’ai pas con­nus, ont mis tout leur argent sur la table, lors de la réu­nion de famille avec leurs enfants. Ils ont dit à mon père qui était l’aîné de pren­dre cet argent et ils ont regardé sur une carte un pays où il pour­rait par­tir pour sur­vivre le temps de trou­ver un emploi. Il était ingénieur de l’université tech­nique de Budapest, la grande uni­ver­sité du pays. Ils ont porté leur choix sur l’Algérie qui à l’époque était française. C’est là-bas que je suis né quelques années plus tard en 1938. Mes par­ents ont fait le choix de la nation­al­ité française pour moi à ma nais­sance. Je suis donc le pre­mier Français de ma famille. Durant l’Oc­cu­pa­tion, mon père fit par­tie du réseau de résis­tance de l’abbé Pierre ; c’est à ce titre que mes par­ents ont été nat­u­ral­isés très vite à la Libération.

Mais le diplôme hon­grois de mon père n’a pas été recon­nu. Jusqu’en 1947, cet ingénieur a été payé au tarif d’un dessi­na­teur indus­triel. En 1946–1947, il s’est inscrit à la fac­ulté des sci­ences à Greno­ble et simul­tané­ment dans un insti­tut for­ma­teur d’ingénieur. Il acquit à la fois une licence de maths et son diplôme d’ingénieur français, en un an seulement.

Durant toute ma sco­lar­ité, je n’ai jamais ressen­ti de la part de quiconque une non-appar­te­nance. L’école laïque et répub­li­caine était fan­tas­tique, j’ai eu des pro­fesseurs grâce à qui je suis ce que je suis devenu. Je savais que j’avais un nom com­pliqué à orthogra­phi­er, mais c’était la seule chose. Et comme tous mes cama­rades, j’étais con­va­in­cu que nos ancêtres étaient les Gaulois !

Quelle a été votre carrière dans la chimie et comment avez-vous croisé le chemin de Polytechnique ?

J’é­tais en classe pré­para­toire, dans le Quarti­er latin, au lycée Saint-Louis ; ce fut ensuite la fac­ulté à Greno­ble et à Paris. Très tôt, avant même mon doc­tor­at, j’ai été recruté à Prince­ton pour m’occuper d’un spec­tromètre de réso­nance mag­né­tique nucléaire que le départe­ment de chimie de l’université venait d’acquérir. C’était en 1962. Ma jeune épouse et moi sommes ren­trés en France pour qu’elle puisse ter­min­er ses études de médecine com­mencées avant notre départ pour Prince­ton. Quelques années plus tard, en 1966, j’ai été recruté à nou­veau à Prince­ton, comme enseignant cette fois, et nous y sommes restés jusqu’en 1970. Puis nous sommes ren­trés en Europe pour y élever nos enfants. La guerre du Viet­nam sévis­sait à ce moment-là, ain­si que la drogue dans une com­mu­nauté aisée comme celle de Prince­ton. J’ai reçu une chaire à l’université de Liège en Bel­gique. En 1986, je suis ren­tré en France par la grande porte puisque j’ai obtenu un poste de pro­fesseur à temps com­plet à l’École polytechnique.

La chimie était-elle au programme de l’École depuis longtemps ?

L’École a été à la pointe de la révo­lu­tion chim­ique. On trou­ve une grande tra­di­tion de chimie à Poly­tech­nique et en France sous l’Empire, qui s’est un peu affaib­lie par la suite. Par­mi mes grands prédécesseurs, il y eut Georges Darzens, assis­tant de Gri­maux, le pro­fesseur qui eut le courage d’être drey­fusard et qui fut limogé par le min­istre de la Guerre. Darzens ne lui a pas suc­cédé immé­di­ate­ment mais quelques années plus tard. Il devint le directeur de lab­o­ra­toire de la par­fumerie Piv­er, où il inno­va en util­isant un aldéhyde de syn­thèse dans un par­fum. Il y en eut bien d’autres grands pro­fesseurs de chimie comme Gay-Lus­sac, Hassenfratz…

Y a‑t-il une différence entre les élèves de Princeton, Liège et Polytechnique ?

À Liège, je peux compter sur les doigts d’une main les étu­di­ants qui sont devenus des amis. Alors que j’ai gardé des ami­tiés durables avec des dizaines d’anciens élèves de Prince­ton ou de Poly­tech­nique. Je crois que ça vient du fait que les rela­tions y sont des rela­tions entre adultes et non de type par­ent-enfant. Une dif­férence mar­quante entre les grandes uni­ver­sités améri­caines et les uni­ver­sités européennes, c’est qu’aux États-Unis un pro­fesseur con­stru­it son cours avec ses élèves. C’est une œuvre col­lec­tive et le pro­fesseur doit être bien mieux pré­paré que ses col­lègues européens. À l’X, c’est un peu la même chose : pour une heure de cours devant les élèves, vous devez pré­par­er au moins dix heures.

Quel est le point commun entre toutes ces générations de polytechniciens dont vous avez brossé le portrait ?

Pour beau­coup d’élèves, le point fort de leur pas­sage à l’École, c’est le ser­vice nation­al qui est très for­ma­teur. Les filles comme les garçons y ont un com­man­de­ment, côtoient la société française dans son ensem­ble et ont des expéri­ences extra­or­di­naires. Fam­i­li­er du Prince­ton Alum­ni Week­ly, du Har­vard Crim­son et de leurs Alum­ni News, j’ai voulu combler cette lacune de la J&R en pro­posant ces por­traits de polytechniciens.

Certaines rencontres vous ont-elles spécialement touché ?

Ce sont des ren­con­tres extrême­ment grat­i­fi­antes. J’ai un don d’empathie qui facilite les choses et qui met les gens en con­fi­ance. J’ai ressen­ti une grande émo­tion à ren­con­tr­er Sœur Cécile Ras­toin (88), la prieure du carmel de Mont­martre. Son charisme mais aus­si tout ce que vous ressen­tez comme sac­ri­fice d’avec la vie réelle et le fait qu’elle se con­sacre à nous mais d’une autre manière, par l’intercession, m’ont beau­coup marqué.

Quel visage de Polytechnique vous inspirent tous ces portraits ?

Ce qui car­ac­térise l’esprit poly­tech­ni­cien, c’est la dis­cré­tion, la mod­estie, une cer­taine bien­veil­lance envers autrui. Je dirais qu’un poly­tech­ni­cien, une poly­tech­ni­ci­enne, est quelqu’un tou­jours un peu en retrait, de manière à observ­er les choses de façon neu­tre, bien que sou­vent très bien­veil­lante. Il y a un nom­bre non nég­lige­able d’élèves qui font de l’alphabétisation dans les pris­ons ou ailleurs. J’y ajoute, bien sûr, l’exigence de logique et de ratio­nal­ité qui est le pro­pre de l’École poly­tech­nique en général.

Continuez-vous de suivre les travaux de recherche en chimie en France ?

Actuelle­ment, les chimistes français s’illustrent par des travaux très intéres­sants comme ceux de Chris­t­ian Rolan­do, un pro­fesseur de l’université de Lille. Il étudie les résidus de pro­téines sur des tes­sons archéologiques, ce qui lui per­met de déter­min­er quel était l’animal ayant fourni le lait dont sont issues ces pro­téines retrou­vées sur ces tessons.

En dehors de la chimie, quels sont vos goûts ?

J’ai hésité entre la car­rière des let­tres et celle des sci­ences. Le pro­viseur de mon lycée de l’époque m’a con­seil­lé la car­rière sci­en­tifique qui per­met, plus facile­ment que dans l’autre sens, de main­tenir un con­tact avec les let­tres. Et juste­ment, en 1982, j’ai été invité comme pro­fesseur vis­i­teur dans le départe­ment de français de l’université Johns Hop­kins de Bal­ti­more. À l’époque, c’était un grand départe­ment de lit­téra­ture française, René Girard venait de le quit­ter pour Stan­ford. J’y ai don­né des cours de lit­téra­ture pen­dant un semes­tre, pour mon plus grand bon­heur ! Par­mi mes admi­ra­tions lit­téraires, on trou­ve Colette, Giono, Cin­gria et par­mi les écrivains vivants, Flo­rence Delay ou encore Pas­cal Quignard.

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