Sœur Cécile

Sœur Cécile de Jésus-Alliance (88), l’enracinement dans la grâce

Dossier : TrajectoiresMagazine N°720 Décembre 2016
Par Pierre LASZLO

Vive, spon­tanée, d’une grande intel­li­gence, chaleureuse et con­fi­ante, elle est très attachante.

Issus d’une illus­tre famille mar­seil­laise, à la tête d’une célèbre hui­lerie savon­ner­ie, son grand-père Édouard Ras­toin (19) et son père Jean Ras­toin (51) furent aus­si l’un et l’autre poly­tech­ni­ciens. Le pre­mier prési­da la cham­bre de com­merce phocéenne. On lui doit la créa­tion de Fos-sur-Mer et l’idée d’y implanter une sidérurgie.

Dessin : Lau­rent Simon

Jean fut un ingénieur général de l’armement, spé­cial­iste des réac­teurs nucléaires, per­son­nage impor­tant du CEA.

Il épousa en 1964 Jacque­line Sar­ton du Jon­chay. Ils eurent deux enfants, Marc, puis Cécile. Jacque­line Ras­toin était petite-fille et arrière-petite-fille de généraux de cav­a­lerie, d’une famille de mil­i­taires catholiques français en Algérie, qui con­nais­saient l’arabe clas­sique (et dialec­tal). Ils étaient grands amis tant des juifs que des musulmans.

Jacque­line eut pour héros les anar­chistes espag­nols de la guerre d’Espagne, Rosa Lux­em­burg, Albert Camus et Abd El-Kader.

ÉDUQUÉE À LA CONVERGENCE DES RELIGIONS « DU LIVRE »

« Mes par­ents encour­ageaient à se faire une idée par soi-même, à ne jamais par­ler d’un auteur que l’on con­naît seule­ment par ouï-dire. » Jacque­line, poly­glotte, pas­sion­née de ciné­ma, philosophe par choix, et Jean Ras­toin, ama­teur de poésie, d’histoire, de cita­tions latines et grec­ques, de chou­ettes et d’atlas du monde entier, et de croisières à la voile, furent surtout pour leurs enfants de grands intel­lectuels catholiques.

Par leur foi, par leurs cen­tres d’intérêt – le dia­logue du judaïsme et du chris­tian­isme – par les grands esprits du monde entier qu’ils accueil­laient, ils rap­pel­lent Jacques et Raïs­sa Mar­i­tain. Cécile et Marc étudièrent l’hébreu biblique dès 12 ans (Marc) et 10 ans (Cécile), « grâce à un saint prêtre, un éru­dit, le père André Piot.

Mon frère et moi avons lu la Bible avec les com­men­taires juifs et nous nous sommes peu à peu pas­sion­nés pour le dia­logue judéo-chrétien. »

Leur mère, ini­tiée au dia­logue des reli­gions dès son enfance à Biskra, se fit tra­duc­trice – avec sur le tard l’aide de Cécile – de livres sur la foi­son­nante inter­ac­tion du judaïsme et du chris­tian­isme. Ils pour­suivirent dans cette même voie.

Marc, devenu jésuite en 1988, est à présent bib­liste et con­seiller du père général de la Com­pag­nie de Jésus, pour les rela­tions avec le judaïsme.

LA RÉVÉLATION DE NOËL

« À douze ans, un soir de Noël, en révolte con­tre ces “enfan­til­lages”, il me sem­ble que c’est absurde de croire en ce petit Jésus de la crèche, je somme vigoureuse­ment Dieu de se man­i­fester s’il existe. Or cette nuit-là, je ne sais pas trop expli­quer ce qui s’est passé, mais le matin, j’y croy­ais vraiment.

“ Je somme vigoureusement Dieu de se manifester s’il existe ”

J’avais comme fait l’expérience de la liber­té, du choix de Dieu de nous laiss­er la liber­té de dire oui ou non. Une sorte d’abîme devant moi. Un livre pioché au hasard cette nuit-là dans cette cham­bre qui n’est pas la mienne : La Pesan­teur et la Grâce de Simone Weil.

Vers qua­torze ans, je décou­vre un manuel bilingue sur l’œuvre de saint Augustin, De Trini­tate. Éblouisse­ment : je ne croy­ais pas à la Trinité. Je deviens croy­ante. Et décou­vre que nous sommes créés à l’image du Dieu Trinité : l’empreinte trini­taire, c’est l’unité de nos fac­ultés dans leur diversité.

La même année, je décou­vre Élis­a­beth de La Trinité, jeune car­mélite française. Super : elle devient une amie. J’ai trou­vé le chemin vers la source. »

EN MARCHE VERS L’X… ET LE CARMEL

« En pré­pa (Louis-le-Grand), grâce à des enseignants hors pair, je décou­vre une sci­ence vivante, faite d’hommes avec leurs ques­tions, leurs recherch­es, leurs styles. Notre prof de maths, M. Warus­fel, nous com­mente les théorèmes en même temps que la vie des math­é­mati­ciens, la manière dont ils se sont posé la ques­tion et l’ont résolue.

Le prof de physique, M. Sar­mant, est aus­si pas­sion­nant. » Elle choisit l’X plutôt que la Rue d’Ulm. « L’année de ser­vice mil­i­taire me mar­que aus­si pro­fondé­ment. La Cour­tine, où j’apprécie les tal­ents d’éducateur d’un offici­er de l’infanterie de marine, et où je com­mence à démolir mon genou droit.

Ensuite, à la répar­ti­tion des affec­ta­tions, beau­coup voudraient la marine, j’aime la mer mais je finis par accepter autre chose : “je choi­sis le génie”, une phrase qui fit sourire mes cama­rades. J’étais la pre­mière femme offici­er que mon rég­i­ment ait vue.

J’ai aimé la prox­im­ité avec les hommes sur le ter­rain : deux sec­tions de for­ma­tion de 35 hommes cha­cune. Je dévore les cours de physique de Feyn­man en rég­i­ment. L’armée, cela a été aus­si le creuset de grandes ami­tiés qui durent toujours.

« Ensuite, à Palaiseau, c’est la prodigieuse diver­sité des sci­ences, leur for­mal­i­sa­tion avec les out­ils math­é­ma­tiques qui me pas­sionne. La physique quan­tique, la relativité…

“ J’étais la première femme officier que mon régiment ait vue ”

Alain Aspect m’impressionne. « Surtout, en stage, je peux par­tir sur une aven­ture qui va déter­min­er ma future thèse : la sonde spa­tiale Ulysse s’envole vers Jupiter, pour utilis­er sa force grav­i­ta­tion­nelle afin de quit­ter le plan de l’écliptique (celui des planètes) et par­tir vers l’exploration des zones des pôles solaires. Je saute sur l’occasion et me voilà embar­quée pour un voy­age dans le sys­tème solaire, pour mon stage puis ensuite ma thèse.

J’ai appré­cié le milieu inter­na­tion­al (et aus­si le milieu inter­plané­taire !), le tra­vail sci­en­tifique des don­nées et de leur expli­ca­tion, l’investigation sci­en­tifique d’une par­tie de l’univers encore inexplorée.

Même la mag­né­tosphère de Jupiter, déjà vis­itée, man­i­fes­tait des événe­ments inat­ten­dus, les fameux bursts d’électrons, des pics qui per­me­t­taient de retrac­er le dessin de la mag­né­tosphère dans sa dynamique. C’est là aus­si où mon désir d’entrer au monastère se confirme. »

À l’École, Cécile Ras­toin se don­na un pro­fil mod­este et réservé. Une seule excep­tion : le « Jour du bat­tle­dress », soudain resplendis­sante de féminité, elle stupé­fie ses camarades.

Trois élèves de la 88 dev­in­rent prêtres. Quant à elle, après son doc­tor­at, en 1995, elle entra au Carmel de Mont­martre. En 2012, elle en fut élue la prieure.

CONTEMPLATION

La vie con­tem­pla­tive a pour elle les ver­tus de la gra­tu­ité absolue, du silence à l’écoute, la vie intérieure lui offre un con­stant ressource­ment, « une nappe phréatique ».

Le Carmel, dans son appar­ente « déser­ti­tude », « fleu­rit sans cesse pour qui ne se lasse pas de mendi­er l’Amour à chaque instant ». Elle prêcha un dimanche de carême à Notre-Dame de Paris, en 2015.

Sœur Cécile nous voit, en cette ère d’Internet, exagéré­ment pris par nos spé­cial­i­sa­tions, engagés en des réseaux soci­aux cap­ta­teurs : « Nous sommes en manque cri­ant de silence, de capac­ité à réfléchir, au sens optique. » Elle nous incite à renouer avec notre for intérieur, ne serait-ce que quinze min­utes quotidiennes.

Sa parole est claire, nette, souri­ante aus­si : « Mon père m’apprend à dix ans Le Hareng saur de Charles Cros. Je le lui ai réc­ité encore l’année de sa mort. »

C’est une poly­tech­ni­ci­enne à l’expression pré­cise, logique, artic­ulée en de fer­mes propositions.

C’est une per­son­nal­ité extrême­ment vigoureuse, celle d’une rebelle par nature qui trou­va sa voca­tion, au sens fort : son chemin se fit « de l’amour de la Bible, décou­verte comme une parole qui trans­forme le cœur, vers l’amour de Jésus et de l’amour de Jésus vers l’adoration de la Trinité et l’amour de l’Église ».

Elle respire l’allégresse.

Commentaire

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Peif­fer touzerépondre
7 décembre 2016 à 21 h 34 min

soeur Cécile de Jésus Alliance
Mer­ci pour cet arti­cle pro­fond qui invite à la réflex­ion, au silence ( et à la reflex­ion ? ). Un par­cours édi­fi­ant d’ une femme qui sem­ble rayonner.

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