Laurent Massoulié

Laurent Massoulié (88), mathématicien du réseau

Dossier : TrajectoiresMagazine N°756 Juin 2020
Par Pierre LASZLO

Il court régulière­ment : des semi-marathons, qui font son plaisir. Vif et dynamique, il est rapi­de dans le tra­vail et dans l’existence, d’une démarche assurée.

Il fit de la télé­ma­tique, et plus récem­ment de l’apprentissage sta­tis­tique, sa spé­cial­ité : il applique des out­ils math­é­ma­tiques, de prob­a­bil­ités et sta­tis­tiques, aux com­mu­ni­ca­tions sur Inter­net — aux réseaux soci­aux en par­ti­c­uli­er. Prag­ma­tique, il ne s’embarrasse pas de dik­tats offi­ciels, étudie plutôt ce qui fonc­tionne : virus, rumeurs épidémiques, com­mérages, bref la dif­fu­sion pair-à-pair plutôt que le mod­èle clients-serveur.

Des influences marquantes

De par­ents l’un et l’autre nor­maliens-sci­ences (Sèvres et Ulm), il fit ses études sec­ondaires au col­lège de Passy-Buzen­val, à Rueil-­Mal­mai­son, et au lycée Alain, au Vésinet. Deux enseignants l’y mar­quèrent : « Mon­sieur Calpin, prof de maths en cinquième, qui nous dis­ait que le “math­é­mati­cien est un paresseux intel­li­gent” ; ­Made­moi­selle Crétin (pre­mière et ter­mi­nale), un peu ter­ri­fi­ante mais cer­taine­ment mémorable, fort attachée à la rigueur. »

Autre enseignant mémorable, à l’influence pronon­cée, Jacques Neveu à l’École. Ce math­é­mati­cien belge, géant avenant et bien­veil­lant, était d’une grande mod­estie et usait d’un sens de l’humour pronon­cé. Son enseigne­ment des prob­a­bil­ités fut un mod­èle d’élégance.

Lau­rent Mas­soulié prof­i­ta de son ser­vice nation­al après son ­admis­sion à l’École : « Glob­ale­ment un choc cul­turel pour moi, et il m’a fal­lu plusieurs années pour com­pren­dre tous les béné­fices que cette péri­ode m’a apportés. » En par­ti­c­uli­er, un excel­lent sou­venir du stage de para­chutisme sportif.

Des probabilités à l’Internet

Après sa sor­tie de l’X en 1991, il songeait un peu à la finance comme débouché pos­si­ble et choisit un DEA de prob­a­bil­ités. Mais il fut rapi­de­ment séduit par les télé­coms. Il obtint son doc­tor­at de l’université Paris-Sud Orsay en 1995, sous la direc­tion de Pierre Bré­maud (64), puis son habil­i­ta­tion à diriger des recherch­es en 2010 de l’université Paris-VII (Diderot). De 1995 à 1998, il tra­vail­la chez France Télé­com R & D, à met­tre au point des mod­èles ­math­é­ma­tiques de trans­fert d’information par Inter­net. En 1999, il s’en fut chez Microsoft Research Cam­bridge, où il écriv­it des algo­rithmes pour inter­ac­tions pair-à-pair et où il com­mença de s’intéresser à la trans­mis­sion d’information sur mode épidémique. En 2006, il entra chez Tech­ni­col­or – qui s’appelait encore Thom­son. Ses recherch­es y portèrent sur l’analyse des réseaux soci­aux pour leur dis­sémi­na­tion de l’information et sur la con­struc­tion de sys­tèmes pair-à-pair pour la dif­fu­sion mul­ti­mé­dia. C’est l’utilisation ­prin­ci­pale de ces sys­tèmes pair-à-pair, avec les blockchains, ces bases de ­don­nées dis­tribuées sur lesquelles reposent les cryp­tomon­naies telles que le célèbre bitcoin.

“Le mathématicien
est un paresseux
intelligent.”

La recherche avec Microsoft

Puis Lau­rent Mas­soulié s’inséra dans une nou­velle struc­ture, ­asso­ciant Microsoft Recherche et l’Inria. Ce parte­nar­i­at s’installa en 2005, grâce à l’initiative de Gilles Kahn (64, alors PDG d’Inria) et de cadres de Microsoft France, et à la présence d’un lien sci­en­tifique déjà fort entre chercheurs Inria et MSR (Microsoft Recherche). Lau­rent fut témoin de sa genèse alors qu’il était encore chercheur chez Microsoft à Cam­bridge. Ce pro­jet ren­con­tra ini­tiale­ment une réti­cence cer­taine, notam­ment de la part du gou­verne­ment ­français : il y avait une crainte que Microsoft, ayant à l’époque une image sul­fureuse, cher­chât à prof­iter de l’investissement pub­lic dans Inria. L’accent fut mis sur la recherche fon­da­men­tale davan­tage que sur les appli­ca­tions, et ces craintes dis­parurent. Par la suite, Lau­rent devint en 2012 directeur du cen­tre de recherche con­joint Microsoft Recherche-Inria.

Reconnaissance et transmission

Il est auteur d’une cen­taine de pub­li­ca­tions et tit­u­laire d’une ­ving­taine de brevets. Ses qua­tre pub­li­ca­tions les plus citées comptent entre 600 et 800 cita­tions, ce qui est imposant. Le grand prix ­sci­en­tifique Del-Duca lui fut décerné en 2017 par l’Académie des sciences. 

Il épousa Marine Dupont de Dinechin, sœur d’un cama­rade de ­pro­mo­tion, d’une famille dis­tin­guée de poly­tech­ni­ciens (10 X vivants !). Ils eurent qua­tre enfants : Éloi, Brune (2019), Gilles et Mahaut. Les deux pre­miers sont entrés à la Rue d’Ulm et à l’École, respec­tive­ment ; les deux derniers sont encore dans le sec­ondaire. Marine Mas­soulié, phar­ma­ci­enne, pré­pare actuelle­ment une thèse de doc­tor­at en archéolo­gie (3e année) sur les silex tail­lés par les Néan­der­tal­iens, dans des sites du Seuil de Bour­gogne, durant le ­Paléolithique moyen récent.

Marine et Lau­rent, l’un et l’autre chercheurs, font flot­ter haut le patronyme Massoulié !

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