Claire Waysand

Claire Waysand (88), exercer avec bonheur dans la haute fonction publique

Dossier : TrajectoiresMagazine N°742 Février 2019
Par Pierre LASZLO

Le creuset de la République n’a rien à envi­er au melt­ing pot améri­cain. Une fonc­tion de l’École poly­tech­nique est de l’alimenter, cette poly­tech­ni­ci­enne, Claire Waysand, l’illustre.

De qui tenir

Claire Waysand est issue d’une famille ouverte sur le monde et engagée pour l’intérêt général. Une grand-mère mater­nelle russe, fière de sa cul­ture, qu’elle trans­mit. Une grand-mère pater­nelle, polon­aise et médecin, engagée dans la guerre d’Espagne, puis résis­tante, rescapée de Ravens­brück. Sa mère, Édith, psy­chopéd­a­gogue à l’INRP, se col­letant avec l’échec sco­laire. Son père, Georges, physi­cien spé­cial­iste de la supra­con­duc­tiv­ité, investis­sant l’ancien PC des mis­siles du plateau d’Albion pour en faire un lab­o­ra­toire préservé du bruit du monde. Claire Waysand est mince et élé­gante, au sourire spon­tané et con­quérant. C’est une per­son­ne accom­plie, à l’évidente joie de vivre, que son tra­vail rend pleine­ment heureuse. 

Elle eut une enfance facile, var­iée, répon­dant à son besoin de diver­sité : « J’aime le change­ment. » Leurs par­ents fai­saient con­fi­ance à leurs filles — Claire a une sœur cadette. Ils échangeaient beau­coup avec leurs enfants, « nous sommes une famille où nous nous dis­ons les choses, avec une grande fran­chise ». Elle en acquit un esprit cri­tique, le sens de la con­vic­tion, le goût de l’engagement. Elle en a con­servé une intu­ition forte, qui lui fait don­ner sa con­fi­ance à quiconque la mérite, à tous les niveaux — j’en suis témoin.

“On fait des choses pas inintéressantes dans le public aussi”

Sa sco­lar­ité sec­ondaire se fit au lycée parisien Camille-Sée, où elle eut Pierre Michel (88) comme condis­ci­ple. Elle se sou­vient de nom­breux enseignants ; peut-être, en pre­mière ligne, celui de maths en ter­mi­nale, M. Le Guern, « limpi­de » et, ce qui ne gâtait rien, plein d’humour et goû­teur de vins pour Gault et Mil­lau. Ado­les­cente, ses préférences sco­laires étaient éclec­tiques, avec un goût pour les maths, mais aus­si pour les matières lit­téraires, l’anglais et surtout le latin. Ce furent ensuite deux années de pré­pa, une pré­pa humaine, au lycée Saint-Louis : « Un groupe de colles très sym­pa, dont une très bonne amie que j’ai gardée et Jean-Bap­tiste Rudelle, qui a fondé des années après Criteo. » 

Après son admis­sion à l’École, elle fit son ser­vice nation­al dans la Marine, à l’École navale de Lan­véoc-Poul­mic pour l’instruction, puis comme chef de quart sur la Loire, bâti­ment de sou­tien mobile (« boîte à out­ils flot­tante ») basé à Dji­bouti. Elle y don­na des cours de gram­maire aux matelots. Il lui en reste cette règle d’accord, d’une logique implaca­ble : « Les mou­tons qu’on a mené ton­dre et les vach­es qu’on a menées paître. »

Ce sera l’économie

C’est à Palaiseau qu’elle ressen­tit l’appel de l’économie, afin d’être en prise sur le réel. Deux enseignants, Pierre-Alain Muet en amphis et Jacques Mis­tral — con­seiller économique de Michel Rocard — en petites class­es « allumèrent cette petite flamme ».

Ce furent ensuite et suc­ces­sive­ment l’Ensae en école d’application, la Lon­don School of Eco­nom­ics, l’Insee, la direc­tion générale du Tré­sor avec des postes très européens et inter­na­tionaux comme sous-direc­trice Europe et affaires moné­taires inter­na­tionales (2003–2004), puis sous-direc­trice Affaires européennes (2004–2007), avant d’être nom­mée chef du ser­vice des Affaires européennes et des poli­tiques macroé­conomiques (2007–2009). Elle pas­sa trois ans dans les ser­vices du Fonds moné­taire inter­na­tion­al à Wash­ing­ton (2009–2012), avant de revenir à Paris comme direc­trice générale adjointe du Tré­sor (2012–2013). Elle fait par­tie du Cer­cle des économistes.

Aux commandes de l’économie

M’impressionnent en elle sa vigueur et son énergie, sa résis­tance aus­si. Menée par sa volon­té d’influer sur la vie des gens, par son opti­misme de nature, elle fut à la tête de cab­i­nets min­istériels, celui du Pre­mier min­istre Jean-Marc Ayrault pen­dant quelques mois (direc­trice de cab­i­net adjointe), puis celui du min­istre des Finances Michel Sapin (direc­trice de cab­i­net). Des semaines d’au moins 80 heures, ren­trée chez elle bien après minu­it, heureuse­ment elle pou­vait compter sur son mari, améri­cain, pour s’occuper de leurs deux enfants, bina­tionaux et bilingues — la com­mu­ni­ca­tion en interne se fait pour l’essentiel en anglais —, un fils latin­iste lui aus­si et une fille qui apprend, elle, le chinois.

Claire adore la mon­tagne et le ski, avec un sou­venir ébloui de la poudreuse dans les Rocheuses en Utah, « impres­sion d’être comme un palet sur coussins d’air ».

Elle admire la fonc­tion publique française, pleine de tal­ents, « l’Inspection générale des finances (son affec­ta­tion actuelle) vient en sou­tien des poli­tiques qui sont menées ». Le mes­sage qu’elle aimerait faire pass­er, via ce por­trait, auprès des plus jeunes ? « On fait des choses pas inin­téres­santes dans le pub­lic aussi. »

Une litote, vous l’avez perçue !


RETOUCHE

arti­cle mis à jour le 13 mars 2020

Claire Waysand (88), inspec­trice générale des finances après avoir été chef de cab­i­net du min­istre des Finances Michel Sapin, a été nom­mée direc­trice générale adjointe et secré­taire générale d’Engie le 1er octo­bre 2019. À l’en croire, la tran­si­tion énergé­tique sera sa préoc­cu­pa­tion majeure.

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