Allumage du moteur ThrustMe

Un nouvel espace pour les start-up

Dossier : Reconquête spatialeMagazine N°736 Juin 2018
Par Ane AANESLAND

Par­mi les nou­veaux acteurs du New Space, il y a des start-up. On revient ici sur le cas de la société ThrustMe, qui développe un sys­tème de propul­sion pour satel­lites en se bas­ant sur une util­i­sa­tion inno­vante des plas­mas. Les pre­mières livraisons vont démar­rer cette année. Égale­ment un encart sur Exo­trail qui développe une autre solu­tion de propul­sion par effet Hall. 

Pouvez-vous nous donner des nouvelles de votre entreprise ?

Depuis la dernière inter­view, nous avons clos notre lev­ée de fonds d’amorçage à 1,7 M€ et gag­né le grand prix i‑Lab de la BPI pour 500 k€. Ce finance­ment a per­mis d’accélérer notre développe­ment et les embauch­es, et nous devenons pro­gres­sive­ment une vraie petite entreprise. 

Après une année dans notre « garage de la Sil­i­con Val­ley » au Lab­o­ra­toire de physique des plas­mas de Poly­tech­nique, nous avons démé­nagé en mars dans nos pro­pres locaux, 250m2 au sud de Paris, pas trop loin de nos orig­ines. C’est le début d’une nou­velle étape pour encore chang­er d’échelle dans notre aventure. 

Nous avons aus­si passé un nou­veau jalon tech­nologique : notre pre­mier et plus petit pro­duit, le NPT30, a passé ses 200 pre­mières heures de qual­i­fi­ca­tion en mars. L’Onera a égale­ment mesuré, indépen­dam­ment, des poussées de 0,2 à 0,9 mN sur notre sys­tème, qui tient tou­jours dans 10 x 10 x 10 cm ou 10 x 10 x 15 cm selon le car­bu­rant embarqué. 

Nous sommes désor­mais 15 employés, tous au tra­vail pour notre pre­mière livrai­son en 2018. Le pre­mier vol est atten­du en 2019. À peine qua­tre ans après l’invention !

REPÈRES

Dans le numéro 724 de La Jaune et la Rouge paru en avril 2017, Ane Aanesland a présenté ThrustMe, une start-up issue du Centre de recherche de l’École polytechnique, qui offre un système de propulsion idéal pour les petits satellites comme pour les plus grands en se basant sur une utilisation innovante des plasmas.
En combinant les technologies classiques de propulseurs ioniques (utilisées dans 20–30 % des grands satellites conventionnels d’aujourd’hui) avec des technologies inspirées d’autres industries, comme les semi-conducteurs et la gravure des matériaux, l’équipe de ThrustMe a réussi à développer des propulseurs aussi efficaces que miniaturisables.

Passer de la recherche à l’entrepreneuriat n’est pas un choix classique. Quels ont été les principaux obstacles ?

J’ai obtenu une mise en disponi­bil­ité du CNRS en jan­vi­er 2017 pour créer ThrustMe. Pour sor­tir une tech­nolo­gie du monde de la recherche vers l’industrie et le busi­ness, il faut d’abord se sor­tir soi-même du monde de la recherche. Il faut chang­er les ques­tions, les pri­or­ités, et beau­coup la méthodologie. 

Des ques­tions de physique fon­da­men­tales, on passe à des choses comme « De quel pro­duit le client a‑t-il besoin ? Que devri­ons-nous ven­dre ? Quelles sont nos sources de revenus ? » 

“Pour sortir une technologie du monde de la recherche, il faut d’abord se sortir soi-même du monde de la recherche”

Ensuite, l’inventeur et l’entrepreneur sont rarement la même per­son­ne. Pour réus­sir à se lancer, il y a besoin de com­pé­tences tech­niques et com­mer­ciales. Quand on est du côté de la tech­nique, il y a donc un choix sérieux à faire : soit on s’allie avec un pro­fil busi­ness, soit on le devient. 

Dmytro Rafal­skyi, mon cofon­da­teur, est resté du côté tech­nique où il excelle, et je me suis con­ver­tie dans le busi­ness. C’est une expéri­ence pas­sion­nante ! En 2016, avant qu’on se lance, j’ai eu près de 150 ren­dez-vous en tête-à-tête avec des per­son­nes incon­nues aupar­a­vant pour dis­cuter de cette oppor­tu­nité entre­pre­neuri­ale, tout en con­stru­isant mon réseau. 

Je me suis dit : si j’ai réus­si à les con­va­in­cre ou les pas­sion­ner, c’est que notre stratégie ne doit pas être trop mal. Quand le moment est venu, c’était devenu naturel de faire ce pas vers l’entrepreneuriat. Un de nos men­tors m’a dit un jour : « C’est plus facile de trans­former un sci­en­tifique en busi­ness­man qu’un busi­ness­man en scientifique ! » 

Vous avez franchi le pas parce que vous aviez confiance en votre technologie. Qu’est-ce qui vous a convaincue ?

Dmytro et moi par­ticipons aux con­férences de propul­sion élec­trique depuis 2006. Dès 2013, nous avons com­pris qu’il y avait un besoin pour des sys­tèmes plus petits et moins complexes. 

Cepen­dant à cette époque-là, 95 % de la recherche con­cer­nait la puis­sance et les per­for­mances : com­ment grapiller un pour­cent d’efficacité sup­plé­men­taire, com­ment ajouter encore plus de puis­sance élec­trique dans des moteurs encore plus gros ? 

Un petit groupe de chercheurs a com­mencé à regarder vers les bass­es puis­sances, la minia­tur­i­sa­tion et la sim­pli­fi­ca­tion des sys­tèmes exis­tants, ou de nou­veaux con­cepts dédiés. C’était un pari risqué. En recherche, si l’on sort des sen­tiers bat­tus, on est moins cités par nos pairs car on est moins per­ti­nents pour la recherche des autres. 

Or le nom­bre de cita­tions est sou­vent con­sid­éré comme une mesure de notre valeur en tant que chercheur. Nous avons lais­sé par­ler notre pas­sion devant ces con­sid­éra­tions. Au LPP, nous sommes revenus aux bases, avons réfléchi au moyen de con­tourn­er les lim­i­ta­tions clas­siques – par exem­ple, au lieu de s’entêter à minia­turis­er cer­taines pièces qui posaient prob­lème à la com­mu­nauté, nous avons trou­vé un moyen de nous en passer. 

En 2014, nous avons com­pris que nous avions un sys­tème qui réglait le prob­lème de la minia­tur­i­sa­tion, et d’autres inhérents à la propul­sion plas­ma. En 2017, ThrustMe était créé. 

Vous avez choisi de créer ThrustMe en France, et non dans la Silicon Valley ou ailleurs. Pourquoi ce choix ?

L’Europe et les États-Unis sont des envi­ron­nements entre­pre­neuri­aux dif­férents, mais il n’y a pas un enfer d’un côté et un eldo­ra­do de l’autre. En France, nous avons accès aux tal­ents, aux ingénieurs du monde entier, ce qui est un avan­tage par rap­port aux USA. 

Il reste plus sim­ple de lever des fonds aux USA, mais il ne faut pas oubli­er que tout coûte plus cher là-bas, notam­ment les ingénieurs. La France et d’autres pays d’Europe ont .con­science de la dif­fi­culté et ont créé les SATT, des sys­tèmes de finance­ment de très jeunes tech­nolo­gies pour aider leur mat­u­ra­tion. Ce finance­ment sur fonds publics, dont nous avons pu béné­fici­er avant la créa­tion de ThrustMe, est rem­boursé de la même façon que le sont les investis­seurs, en prise de cap­i­tal ou en royalties. 

Ane Aanesland présente le propulseur ThrustMe
Ane Aanes­land présente ThrustMe lors d’un keynote speech au con­grès Hel­lo Tomorrow.

Nous avons ensuite lancé une pre­mière lev­ée de fonds, qui ne nous a pris que qua­tre mois. Nous avons même dû refuser des investis­seurs, un excès de pop­u­lar­ité un peu à l’américaine. Notre prochaine lev­ée de fonds sera pour 2019, nous ver­rons si l’histoire se répète ! 

Un autre chal­lenge pour les Européens est la rapid­ité de mise en œuvre, la capac­ité à agir vite, à pren­dre des déci­sions en l’absence de cer­taines don­nées. Dans l’industrie spa­tiale tra­di­tion­nelle, la mise en œuvre est aus­si ralen­tie par des con­sid­éra­tions géopolitiques. 

Un dernier chal­lenge est la peur de l’échec, mal vu dans notre cul­ture. Cela ralen­tit la prise de déci­sion et la vitesse d’action, et cela mène aus­si beau­coup de PME européennes à rester petites parce que la crois­sance est une prise de risque à beau­coup de niveaux (pour l’entreprise, et pour l’entrepreneur).

Aux USA, si on échoue ou si on est rem­placé à un cer­tain moment, on se relève vite et on crée une nou­velle start-up. L’échec n’est pas un prob­lème tant que l’on a appris quelque chose. En Europe, on n’en est pas encore là. 

Notre choix est sans hési­ta­tion de rester en Europe, et de pren­dre inspi­ra­tion sur les méth­odes améri­caines en ter­mes de rapid­ité de mise en œuvre. Les valeurs européennes de rigueur sci­en­tifique, de respect des ressources humaines et du con­tribuable sont impor­tantes pour nous. 

Notre tech­nolo­gie a été financée pen­dant plus de dix ans par l’argent des con­tribuables, via le CNRS au Lab­o­ra­toire de physique des plas­mas, sur le cam­pus de l’X, et c’est naturel pour nous de don­ner au pays à notre tour. Nous essayons aus­si de pren­dre soin de nos employés, ce qui peut être vu comme une qual­ité européenne. Cela ne veut pas dire leur plac­er « des oreillers sous les bras », comme on dit en Norvège ! 

Les per­son­nes que nous embau­chons veu­lent de vrais défis, des choses utiles, que tout un cha­cun ne pour­rait pas faire : les col­lab­o­ra­teurs pas­sion­nés ne comptent pas leurs heures. 

ThrustMe s’inscrit dans le mouvement New Space. Est-ce un vrai phénomène, ou juste une bulle dont on n’entendra bientôt plus parler ?

Nous voyons effec­tive­ment un change­ment de par­a­digme et une exci­ta­tion digne de la péri­ode Apol­lo revenir. Cepen­dant le New Space est plus un redé­mar­rage qu’une révo­lu­tion. Le secteur spa­tial a tou­jours été inno­vant, il était sim­ple­ment un peu endor­mi. De l’intérieur, on pense que notre révo­lu­tion est unique mais c’est arrivé à toutes les indus­tries : la vague de numéri­sa­tion, et l’interconnexion crois­sante avec d’autres indus­tries, d’autres tech­nolo­gies, d’autres busi­ness mod­els qui changent les chaînes de valeur. 

“Le secteur spatial a toujours été innovant, il était simplement un peu endormi”

Chez ThrustMe, notre suc­cès provient en par­tie des briques tech­nologiques – et des ingénieurs – que nous avons recrutés dans d’autres secteurs, notam­ment des semi-con­duc­teurs ou du biomédical. 

Quant à l’excitation pour le secteur spa­tial, nous la ressen­tons bien. Nous avons des ingénieurs non spa­ti­aux qui passent désor­mais leurs repas à par­ler astro­physique ou orbitogra­phie ! Dans les con­férences, nous voyons les gens motivés à l’idée de retourn­er sur la Lune ou de marcher sur Mars, et c’est intéres­sant de voir que cette pas­sion et cette moti­va­tion ne retombent pas quand les objec­tifs ne sont plus de quit­ter la Terre, mais d’y ren­dre la vie plus agréable, sûre ou productive. 

Nous sommes ent­hou­si­astes à l’idée de fournir des out­ils pour com­pren­dre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, amen­er inter­net dans le monde, aider cha­cun à plan­i­fi­er pour le futur, chez Plan­et, chez Spire, chez OneWeb et chez ThrustMe. 

Nous nous voyons comme un levi­er pour le secteur spa­tial : nous voulons le ren­dre pérenne, économique­ment et environnementalement 

David HENRI (promotion 2013 de l'École polytechnique) cofondateur de Exotrail
David HENRI (13)

Cofondé par des X, Exotrail développe des solutions

d’agilité pour petits satellites

Exo­trail est une start-up du New Space dévelop­pant des solu­tions d’opération et de propul­sion élec­trique à des­ti­na­tion du marché des petits satel­lites. La tech­nolo­gie est la propul­sion par effet Hall, quand ThrustMe utilise la propul­sion à grilles. Exo­trail a été fondée par qua­tre per­son­nes dont Paul Las­combes (2013) et David Hen­ri (2013). Ce dernier, PDG de la société et lau­réat du prix Nor­bert Ségard en 2017 (cf. JR 727 pages 40/41), rap­pelle le lien entre cette start-up et l’X puis évoque les per­spec­tives du New Space en France. 

« Le point de départ ini­tial d’Exotrail fin 2014 a été un Pro­jet sci­en­tifique col­lec­tif (PSC – le pro­jet académique de deux­ième année). Paul Las­combes (2013) avait, dans le cadre de ce PSC, tra­vail­lé avec un chercheur pour réalis­er une bal­ance de mesure de microp­oussée d’un petit propulseur élec­trique dévelop­pé par un lab­o­ra­toire du CNRS, le GeMaC. 

Propulseur à effet Hall de Exotrail
Le micro­propulseur d’Exotrail à l’allumage.

C’était il y a plus de trois ans – aujourd’hui nous sommes qua­tre asso­ciés, nous avons reçu plus d’un mil­lion d’euros de finance­ment de la SATT Paris-Saclay et de nos parte­naires, nous sommes huit à temps plein, nous avons conçu le plus petit propulseur à effet Hall du monde que nous avons allumé dans les instal­la­tions de nos parte­naires, nous recevons de nom­breuses mar­ques d’intérêt de nos clients partout en Europe… 

Ce n’est que le début, mais nous pou­vons déjà dire aujourd’hui que l’écosystème de l’X nous apporte beau­coup. L’enseignement dis­pen­sé à l’X est pré­cieux – fonder une start-up tech­nologique et indus­trielle néces­site de maîtris­er des sujets à la fois tech­niques, financiers, stratégiques et humains. L’X apporte tout cela. 

Aujourd’hui, nous sommes incubés sur le site de l’École, dans le Drahi‑X, qui nous donne des locaux, un appui stratégique et un impor­tant réseau. Nous sommes égale­ment au cœur du clus­ter Paris-Saclay, auquel nous sommes très attachés car nous sommes parte­naires de nom­breuses insti­tu­tions de cet écosys­tème (l’X, la SATT Paris-Saclay, l’université de Ver­sailles-Saint-Quentin-en- Yve­lines, le syn­chro­tron Soleil, le CNRS…). » 

L’investissement dans le New Space en France

« Je pense que l’écosystème du cap­i­tal-risque sur des sociétés à dom­i­nante tech­nologique et indus­trielle, et a for­tiori avec une com­posante spa­tiale, est en train de changer. 

Nous sommes actuelle­ment en phase de lev­ée de fonds auprès de ven­ture cap­i­tal et de busi­ness angels, et nous recevons un très fort intérêt de fonds de VC qu’on pour­rait qual­i­fi­er de “clas­sique”, dans le sens où ils ne sont pas spé­cial­isés à pro­pre­ment par­ler dans le spatial. 

Ces fonds perçoivent la crois­sance poten­tielle des entre­pris­es dévelop­pant des solu­tions dans cette indus­trie, et se pré­par­ent donc à y inve­stir comme ils pour­raient le faire dans d’autres secteurs qu’ils con­nais­sent mieux. 

En plus de cela, le spa­tial amène la pos­si­bil­ité de con­stru­ire des offres com­mer­ciales qui sont par déf­i­ni­tion très rapi­de­ment glob­ales et mon­di­ales. Cela attire le monde du cap­i­tal-risque, et c’est cela qui peut expli­quer qu’une fenêtre est en train de s’ouvrir pour lever des fonds dans ce secteur en France et en Europe. » 

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