Le propulseur de ThrustMe en test au Lab de l’École polytechnique.

Thrustme : La start-up de l’X qui révolutionne le spatial

Dossier : ExpressionsMagazine N°724 Avril 2017
Par Ane AANESLAND

L’au­teure, direc­trice au sein du Lab­o­ra­toire de physique des plas­mas (LPP), se lance, avec son équipe, dans l’entrepreneuriat avec ThrustMe. Il s’ag­it de com­mer­cialis­er des propulseurs minia­tur­isés nec­es­saires pour assur­er le con­trôle des con­stel­la­tions de petits satel­lites que l’on s’apprête à lancer, créant une impor­tante vague de rup­tures dans cette industrie.

Ane, pouvez-vous nous parler de la révolution que connaît l’industrie du spatial ?

Je pense que nous sommes au début d’une impor­tante vague de rup­tures dans l’industrie des satel­lites. La minia­tur­i­sa­tion des satel­lites a démoc­ra­tisé l’accès aux activ­ités liées à l’espace qui aupar­a­vant n’étaient acces­si­bles qu’aux grandes entre­pris­es et aux gouvernements. 

“ Prendre une image complète de la Terre plusieurs fois par heure ”

Les nou­veaux satel­lites minia­tur­isés, qui représen­tent seule­ment de 1 à 10 % de la taille des sys­tèmes con­ven­tion­nels, devi­en­nent de plus en plus intéres­sants pour l’imagerie et la communication. 

La pos­si­bil­ité d’utiliser ces satel­lites dans des méga­con­stel­la­tions de dizaines ou de cen­taines de satel­lites est l’avenir du big data, de l’Internet et de l’intelligence globale. 

Par exem­ple, utilis­er les petits satel­lites dans les con­stel­la­tions pour l’imagerie peut per­me­t­tre de pren­dre une image com­plète de la Terre plusieurs fois par jour ou même plusieurs fois par heure. 

DES CAPACITÉS DÉJÀ PRÉSENTES

Certaines constellations sont déjà en place. Les principaux acteurs sont Planet et Terra Bella – entreprise qui vient d’ailleurs de se faire racheter par Google pour 500 millions de dollars.
Planet et Terra Bella ont déjà des constellations d’environ 70 et 7 satellites respectivement.
Aux dernières nouvelles, Planet vient de racheter Terra Bella à son tour.

Les satel­lites con­ven­tion­nels d’aujourd’hui, quant à eux, ont besoin d’environ cinq jours pour con­stru­ire une telle image. 

L’imagerie instan­ta­née est cru­ciale pour com­pren­dre et agir : par exem­ple, pour l’agriculture, elle per­me­t­tra de con­sid­érable­ment opti­miser l’arrosage et la fertilisation. 

Une autre appli­ca­tion impor­tante est celle de la prévi­sion météorologique : des don­nées satel­li­taires rapi­de­ment rafraîchies avec des mesures mul­ti­points améliorent les algo­rithmes de prévi­sion. Cela per­me­t­tra notam­ment aux com­pag­nies aéri­ennes d’optimiser les itinéraires longue dis­tance et ain­si d’économiser jusqu’à 20 % de leur con­som­ma­tion de carburant. 

Ce marché des petits satel­lites, selon les prévi­sions actuelles, décollera véri­ta­ble­ment au milieu des années 2020 ; mais pour que cela se pro­duise, il reste encore quelques obsta­cles à surmonter. 

Justement, quels sont ces obstacles ?

Les petits satel­lites devi­en­nent véri­ta­ble­ment intéres­sants lorsqu’ils sont déployés en grand nom­bre. Les risques (de panne, notam­ment) sont alors dis­tribués dans la con­stel­la­tion, au lieu de tout miser sur un gros satellite. 

Pour que ces lance­ments de petits satel­lites soient économique­ment et écologique­ment durables, il est néces­saire de pou­voir com­plète­ment les con­trôler en orbite et donc de dis­pos­er d’un sys­tème de propulsion. 

Aujourd’hui, aucune solu­tion sat­is­faisante n’est disponible : minia­turis­er les sys­tèmes de propul­sion clas­siques ne s’est pas révélé fais­able jusqu’à main­tenant. Et les moteurs disponibles aujourd’hui ont de faibles per­for­mances et sont trop grands, trop com­plex­es et trop chers pour la pro­duc­tion de masse. 

Comment ThrustMe propose-t-elle de résoudre ce problème ?

ThrustMe est une start-up issue du Cen­tre de recherche de l’École poly­tech­nique qui juste­ment offre un sys­tème de propul­sion idéal pour les petits satel­lites. Mon cofon­da­teur Dmytro Rafal­sky et moi-même avons com­pris que nous devions regarder le prob­lème de la minia­tur­i­sa­tion sous un nou­v­el angle. 


Le propulseur inno­vant de ThrustMe fonc­tionne au Lab­o­ra­toire des physiques des plas­mas (LPP) de l’École polytechnique.

UN RISQUE DE PANNE SYSTÉMIQUE

On risque de se retrouver avec des milliers de petits satellites en panne de moteur si une solution n’est pas rapidement trouvée !
Pour les petits satellites, le système de propulsion est vraiment le caillou dans la chaussure à l’heure actuelle.

Les con­cur­rents, blo­qués depuis des années, ont dépen­sé du temps et de l’argent à essay­er de minia­turis­er les sys­tèmes de propul­sion spa­tiale clas­siques. Or, on se rend compte, lorsque l’on revient aux lois de la physique, que cer­taines par­ties de ces sys­tèmes clas­siques de propul­sion ne peu­vent tout sim­ple­ment pas être minia­tur­isées sans vio­l­er ces lois. 

C’est en revenant aux lois fon­da­men­tales de la physique que nous avons trou­vé la solu­tion : nous avons com­biné les tech­nolo­gies clas­siques de propulseurs ion­iques (util­isées dans 20–30 % des grands satel­lites con­ven­tion­nels d’aujourd’hui) avec des tech­nolo­gies inspirées de l’industrie des semi-con­duc­teurs pour la gravure des matériaux. 

Ain­si, nous avons dévelop­pé un propulseur beau­coup plus petit, moins com­plexe et beau­coup plus robuste… et en plus de cela, il a des per­for­mances plus élevées que tous les autres. 

En résumé, nous arrivons à point pour met­tre sur le marché un pro­duit idéal que toute l’industrie attendait. 

Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus sur le principe de votre système de propulsion révolutionnaire ?

De manière générale, pour se déplac­er dans l’espace (où il n’y a pas de frot­te­ment), on exerce une force sur le satel­lite en éjec­tant de la matière. Pour créer la poussée, on peut jouer sur la vitesse d’éjection de la matière, et/ou sur la vari­a­tion de masse (i.e. la quan­tité de matière éjectée). 

La sec­onde classe de sys­tèmes de propul­sion est la propul­sion élec­trique. Dans ce cas, l’énergie élec­trique (générée par exem­ple par des pan­neaux solaires) est trans­for­mée en énergie cinétique. 

Le propulseur ThrustMe intégré dans une structure CubeSat à 1 unité (cube normalisé de 10 x 10 cm).
Le propulseur minia­tur­isé inté­gré dans une struc­ture Cube­Sat à 1 unité (cube nor­mal­isé de 10 x 10 cm).

LES LIMITES DE LA PROPULSION CHIMIQUE

Il existe deux grandes classes de systèmes de propulsion. La plus commune est la propulsion chimique (les lanceurs d’Ariane par exemple) où la poussée est créée en éjectant une grande quantité de matière très rapidement.
Ce n’est pas très efficace une fois dans l’espace, car une grande quantité de matière à éjecter est requise, et elle doit être transportée et stockée dans le satellite.

L’idée prin­ci­pale est d’accélérer un gaz à la plus grande vitesse pos­si­ble. C’est cette sec­onde classe de sys­tème qui nous intéresse dans le cadre des satel­lites déjà en orbite. 

Con­crète­ment, com­ment accélér­er ce gaz ? Le moyen le plus effi­cace est de trans­former le gaz en plas­ma (en détachant les élec­trons des atom­es ou des molécules). Les ions ain­si créés sont extraits et accélérés par un ensem­ble de grilles élec­tro­sta­tiques. C’est ce qui crée la poussée. Puisque les ions sont chargés pos­i­tive­ment, ils doivent être neu­tral­isés, car sinon ces ions posi­tifs fini­raient par revenir à leur point de départ et ain­si par annuler la poussée. 

Par con­séquent, dans les sys­tèmes clas­siques, une source dis­tincte, appelée neu­traliseur, ali­mente le fais­ceau d’ions posi­tifs en électrons. 

C’est juste­ment ce neu­traliseur qu’il n’est pas pos­si­ble de minia­turis­er au-delà d’un cer­tain point sans vio­l­er les lois de la physique. C’est là que nous avons décidé d’aborder le prob­lème sous un nou­v­el angle. 

Dmytro et moi-même avons une longue expéri­ence dans la physique des plas­mas et l’accélération d’ions à par­tir des plas­mas. Cette recherche fon­da­men­tale que nous avons con­duite, notam­ment à l’École poly­tech­nique, depuis de nom­breuses années pour des appli­ca­tions indus­trielles var­iées, et notam­ment pour la gravure de matéri­aux pour l’industrie des semi-con­duc­teurs, nous a con­sid­érable­ment inspirés pour notre innovation. 

Sans entr­er dans les détails, nous util­isons un propulseur ion­ique clas­sique comme décrit ci-dessus, mais au lieu d’appliquer une ten­sion con­tin­ue aux grilles élec­tro­sta­tiques, nous appliquons une ten­sion alter­na­tive dans la gamme radiofréquence. Comme les ions sont beau­coup plus lourds que les élec­trons, le sys­tème se polarise automatiquement. 

Qu’est-ce que cela veut dire ? Le plas­ma induit par lui-même un off­set à la ten­sion appliquée sur les grilles, au lieu d’osciller autour de zéro, il oscille autour d’une ten­sion con­stante. Les ions, plus lourds que les élec­trons, n’ont pas le temps de réa­gir aux oscil­la­tions et sont accélérés par cette ten­sion constante. 

Les élec­trons, quant à eux, réagis­sent au champ oscil­lant et sor­tent du plas­ma à tra­vers les grilles en suiv­ant les oscil­la­tions des radiofréquences. En con­séquence, le fais­ceau d’ions est com­plète­ment neu­tral­isé sans avoir besoin d’un neutralisateur. 

En résumé, non seule­ment nous avons dévelop­pé un sys­tème de propul­sion qui a 40 % de la taille d’un propulseur ion­ique clas­sique, mais en plus il pro­cure une poussée deux fois plus importante ! 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous-même ?

J’ai gran­di tout au nord de la Norvège, dans un petit vil­lage avec une nature éblouis­sante. J’ai fait mes études à l’université la plus au nord du monde, l’université de Tromsø. 

UNE POUSSÉE MULTIPLIÉE PAR DEUX

La cerise sur le gâteau est qu’à taille de système équivalente nous pouvons extraire de ce système un courant d’ions deux fois plus élevé que celui des systèmes classiques, ce qui se traduit par une poussée deux fois plus élevée pour notre système.

Après ma thèse, j’ai passé mes trois pre­mières années de recherche en Aus­tralie, à l’Australian Nation­al Uni­ver­si­ty, après quoi j’ai rejoint l’École polytechnique. 

Je suis entrée au CNRS en 2008. J’ai dirigé pen­dant quelques années un groupe de recherche d’une trentaine de per­son­nes au Lab­o­ra­toire de physique des plas­mas (LPP).

J’aime beau­coup la com­bi­nai­son de la recherche fon­da­men­tale et de l’innovation. Main­tenant, mon tour est venu d’apporter au monde indus­triel cer­tains de mes travaux de recherche. Pour cela, j’ai obtenu une mise en disponi­bil­ité du CNRS début jan­vi­er 2017, afin de me per­me­t­tre de lancer ThrustMe. 

J’aime aus­si beau­coup les défis « impos­si­bles », tant privés que professionnels. 

Comment la communauté des polytechniciens peut-elle vous aider ?

Notre pro­jet est extrême­ment cap­i­tal­is­tique. Nous sommes en train d’effectuer notre pre­mière lev­ée de fonds d’amorçage. D’autres tours de table suiv­ront ensuite. 

Par ailleurs, nous cher­chons aus­si à recruter les tal­ents les meilleurs et les plus motivés, tant sur la par­tie busi­ness que sur la par­tie R & D. Nous avons déjà des poly­tech­ni­ciens dans notre équipe, mais d’autres seront les bienvenus.

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