Usage du vélo à Paris

Le vélo, un mode sobre et résilient pour préparer l’avenir

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°755 Mai 2020
Par Aurélien BIGO

C’est de son con­fine­ment à Bourg-la-Reine qu’Aurélien Bigo, doc­tor­ant au CREST, pas­sion­né de vélo depuis tou­jours, a con­fié à La J & R ses décou­vertes sur l’évolution de l’usage du vélo à l’occasion de crises récentes.

JR : Aurélien, parlez-nous de votre parcours.

AB : J’ai com­mencé par des études de géolo­gie à Beau­vais : on est un peu loin de la spé­cial­ité d’aujourd’hui ! De là, j’ai fait un mas­ter en économie de l’environnement, avec un stage de fin d’études sur la tran­si­tion énergé­tique dans les trans­ports en France. Le domaine m’a pas­sion­né, et j’ai donc pour­suivi par ma thèse en cours, qui traite notam­ment la ques­tion de savoir com­ment notre pays pour­ra être au ren­dez-vous de ses objec­tifs envi­ron­nement en 2050.

JR : À ce sujet, au moment où nous avons cet entretien, la twittosphère commente le fait, a priori curieux, que malgré l’effondrement du transport dû aux mesures prises dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, on relève des pics importants de pollution aux particules fines en plusieurs régions de France, et en particulier dans l’Ouest.

AB : Ce n’est pas éton­nant : les trans­ports ne représen­tent que 15 à 20 % des émis­sions nationales de par­tic­ules fines. Cette pol­lu­tion est donc plus con­cen­trée dans les zones urban­isées, où vit la pop­u­la­tion. La part des trans­ports dans les émis­sions de par­tic­ules fines est par exem­ple de l’ordre de 35–40 % en Île-de-France et plus de 50 % à Paris. Donc, le qua­si arrêt de trans­ports en ce moment est masqué par les émis­sions dues aux autres sources, tels que le chauffage ou l’industrie, qui peu­vent être importées d’autres régions ou d’autres pays par le vent. Mais sur d’autres types de pol­lu­ants (gaz à effet de serre, NOx…), la part des trans­ports est plus sensible.

JR : Pourquoi vous être intéressé au vélo dans la transition énergétique ?

AB : Bien avant d’en faire un sujet de recherche, je me suis tou­jours intéressé au vélo, qui me sem­ble être un mode très vertueux : c’est un mode de trans­port très économe en ressources, en espace occupé, peu coû­teux, avec de fortes exter­nal­ités pos­i­tives, notam­ment en matière de san­té. J’ai décou­vert à l’occasion de mes recherch­es à quel point, con­traire­ment à une idée reçue, même en France les gens pou­vaient se met­tre au vélo. Ce n’est pas un trait de « car­ac­tère nation­al », comme on pour­rait oppos­er sur ce point les Français par exem­ple aux Hol­landais. C’est avant tout une ques­tion de choix d’infrastructures et de poli­tiques publiques. 

JR : Quel est, selon vous, le potentiel du vélo pour participer à la transition énergétique ?

AB : Les pays les plus avancés sur le vélo mon­trent qu’il est pos­si­ble de mon­ter à des parts modales (en nom­bre de tra­jets en vélo sur le total des tra­jets réal­isés) de l’ordre de 30 %, avec de nom­breux béné­fices sur les embouteil­lages, le nom­bre de places de sta­tion­nement pour les voitures, le bruit ou la san­té. En revanche, comme ce sont plutôt des tra­jets courts, le poten­tiel en ter­mes de nom­bre de kilo­mètres par­cou­rus est plus faible. La baisse d’émissions iden­ti­fiée dans cer­tains scé­nar­ios de prospec­tive français mon­tre un effet direct d’une réduc­tion de 5 % des émis­sions du trans­port de voyageurs liée à un développe­ment sig­ni­fi­catif du vélo d’ici 2050. Mais d’autres effets indi­rects ren­trent en jeu. Selon les modes de trans­port util­isés, c’est l’ensemble de notre mobil­ité que l’on peut recon­sid­ér­er. L’usage du vélo encour­age à faire de plus petites dis­tances, à favoris­er par exem­ple les com­merces de prox­im­ité ou à choisir un tra­vail ou un loge­ment qui min­imise la dis­tance domicile-travail.

JR : Venons-en à vos observations à l’occasion des crises récentes.

AB : Lors des grandes grèves récentes, on a cher­ché à observ­er l’évolution du traf­ic vélo à Paris. Il y a eu dans un pre­mier temps une forte aug­men­ta­tion de ce traf­ic : bien des gens n’avaient pas d’autre choix pour se ren­dre encore à leur tra­vail. Mais la chose intéres­sante est que, une fois que les trans­ports en com­mun ont repris leur ser­vice nor­mal, le traf­ic vélo s’est sta­bil­isé à 15 % au-dessus de ce qu’il était avant les grèves. Cela est à la fois faible com­paré aux fortes hauss­es de trafics de la grève, qui ont été mul­ti­plié par plus de 2, mais c’est impor­tant par rap­port aux ten­dances de long terme sur Paris d’une hausse de l’ordre de +5 %/an. C’est donc que, à l’occasion des grèves et des con­traintes qu’elles ont induites, de nom­breux usagers ont décou­vert ce mode de trans­port et « s’y sont mis ». Et, très récem­ment, on a observé un phénomène ana­logue de forte aug­men­ta­tion pen­dant la pre­mière phase du Covid-19, en rai­son des con­traintes sur les trans­ports, avant que le con­fine­ment vienne évidem­ment chang­er com­plète­ment la situation.

JR : Comment procédez-vous pour faire vos observations ?

AB : J’utilise un comp­teur de vélos instal­lé par la Ville de Paris sur la rue de Riv­o­li, à hau­teur de l’Hôtel de Ville. Évidem­ment, c’est une mesure unique qui ne rend pas compte des dis­par­ités qui peu­vent exis­ter entre les dif­férents arrondisse­ments et quartiers de la cap­i­tale, mais, s’agissant d’un des axes majeurs de tran­sit Est-Ouest dans Paris, elle est cer­taine­ment représen­ta­tive de l’évolution du traf­ic glob­al. Son grand intérêt est que cette mesure fait l’objet d’une mise en ligne quo­ti­di­enne sur Inter­net. On a env­i­ron 5 000 vélos comp­té par jour, en semaine. C’était mon­té à plus de 10 000 cer­tains jours de la grève. C’est redescen­du à env­i­ron 1 000 pas­sages jour­naliers depuis le début du confinement.

“Le vélo à assistance électrique
a touché des catégories de populations
qui ne s’y seraient pas mises sans cela.”

JR : Le vélo électrique a‑t-il changé les choses ?

AB : Le vélo à assis­tance élec­trique a touché des caté­gories de pop­u­la­tions qui ne s’y seraient pas mis­es sans cela. Par exem­ple, on observe que les nou­veaux usagers du vélo sont générale­ment majori­taire­ment d’anciens pié­tons et usagers des trans­ports en com­mun, tan­dis que les auto­mo­bilistes ne comptent que pour 10 % des nou­veaux usagers. Pour le vélo à assis­tance élec­trique, les anciens auto­mo­bilistes comptent pour 50 % des nou­veaux usagers. Ce nou­veau mode de déplace­ment a donc cap­té des usagers de pro­fils très différents.

JR : Quelles conclusions tirer des observations sur la pratique du vélo ?

AB : On sait, plus générale­ment, que l’usage du vélo est très sen­si­ble aux amé­nage­ments et à la sécuri­sa­tion des voies, avec une évo­lu­tion typ­ique. Au départ, quand les amé­nage­ments sont peu nom­breux, avec peu de sécuri­sa­tion, l’usager-type est plutôt un homme qu’une femme, plutôt jeune, CSP+, poly-diplômé… Typ­ique­ment le jeune cadre se ren­dant à son tra­vail. Avec l’accroissement des amé­nage­ments et leur meilleure sécuri­sa­tion, on voit le pro­fil des usagers chang­er pour un meilleur équili­bre et une plus grande représen­ta­tiv­ité socio­pro­fes­sion­nelle. De même, on sait que l’usage du vélo s’est redévelop­pé ces dernières années dans le cen­tre des grandes villes, plutôt qu’en milieu rur­al ou péri-urbain. Mais, là aus­si, les choses changent petit à petit.

Finale­ment, ce que les crises récentes met­tent bien en lumière, c’est que le vélo, par son côté sobre, est très résilient à l’égard de ces perturbations.


Du même auteur, à pro­pos de l’usage du vélo :
Pourquoi la grève aura des effets durables sur la pra­tique du vélo, Aurélien Bigo, The Con­ver­sa­tion, 13 jan­vi­er 2020

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