Lancement d'une fusée Véronique

Les 50 ans de Kourou : une aventure française et européenne

Dossier : Reconquête spatialeMagazine N°736 Juin 2018
Par Didier FAIVRE (76)

Les pre­mières fusées français­es sont lancées au Sahara. En 1962, il faut trou­ver un autre emplace­ment. Il a été décidé de con­stru­ire ex nihi­lo un cen­tre en Guyane, une folie dev­enue un pari réus­si. Depuis l’Europe spa­tiale a adop­té Kourou d’où décolle aujourd’hui une gamme com­plète de lanceurs. 

De retour au pou­voir en 1958, tan­dis que les Russ­es vien­nent de lancer Spout­nik (1957) et que les Améri­cains créent la Nasa, le général de Gaulle donne une impul­sion nou­velle à la recherche sci­en­tifique : il faut que la France par­ticipe à la course à l’espace.

Il crée pour ce faire en 1959 un comité de recherch­es spa­tiales, présidé par le physi­cien Pierre Auger. Celui-ci pren­dra la tête, quelques années plus tard, du Cen­tre nation­al d’études spatiales. 

Le Cnes naît en 1961, l’année où le pre­mier homme, Youri Gagarine, s’envole pour l’espace.

REPÈRES

« Nous avons à réaliser, vous sur place et la France avec vous, une grande œuvre française en Guyane, et une grande œuvre dont on s’aperçoive dans toutes les régions du monde où se trouve le département. »
Ce sont les mots que prononce le général de Gaulle en voyage officiel en Guyane en mars 1964.

Une folie devenue un pari réussi

Lorsque les pre­miers ingénieurs du Cen­tre nation­al d’études spa­tiales (Cnes), tout juste fondé, posent le pied dans la terre rouge de la Guyane pour étudi­er la pos­si­bil­ité d’implanter une base de lance­ment à Kourou, ils débor­dent d’ambition et de rêves. 

Quelle folie pensent cer­tains à Paris d’engager un tel pro­jet dans ce ter­ri­toire loin­tain et quelque peu oublié. Aujourd’hui, les fous ont réus­si leur pari. Le CSG, Cen­tre spa­tial guyanais, devenu le port spa­tial de l’Europe, est un act­if essen­tiel de l’Europe spatiale. 


Si elle n’atteint que 113 km d’altitude en douze min­utes de vol, la fusée Véronique est bien celle qui per­me­t­tra à la France puis à l’Europe de pren­dre de la hauteur.

Il accom­pa­gne depuis cinquante ans l’aventure spa­tiale française et européenne engagée par les pio­nniers en 1964 sous l’impulsion du général de Gaulle, plaçant la France et l’Europe dans le pre­mier cer­cle des puis­sances spatiales. 

Du Sahara à la Guyane

À ses débuts, le Cnes utilise les champs de tirs mil­i­taires du Cen­tre inter­ar­mées d’essais d’engins spé­ci­aux (CIEES) implan­té en Algérie, sur les ensem­bles Colomb-Béchar et Hammaguir. 

En 1962, l’Algérie devient indépen­dante. Il faut trou­ver une nou­velle base de lance­ment pour pour­suiv­re l’expérimentation des engins spa­ti­aux français. Qua­torze sites sont étudiés par­mi lesquels Kourou, en Guyane. 

Les pio­nniers du spa­tial français choisiront Kourou pour des raisons multiples : 

  • une large ouver­ture sur l’océan Atlan­tique et la pos­si­bil­ité de lancer des engins vers l’Est et le Nord avec un min­i­mum de risque pour la pop­u­la­tion et les biens alentour ; 
  • la prox­im­ité de l’équateur (5,3° nord) qui per­met de béné­fici­er au max­i­mum de la vitesse de la rota­tion de la Terre (effet de fronde) et fait ain­si gag­n­er au lanceur un pré­cieux com­plé­ment de performance ; 
  • la pos­si­bil­ité d’installer des radars et des antennes de télémesure per­me­t­tant de pour­suiv­re le lanceur grâce à la présence de collines ; 
  • une zone à l’abri des cyclones, enfin une vaste zone de savanes peu habitée. 

Une décision qui remonte à 1964

Le choix est clair. La déci­sion d’implanter un champ de tir en Guyane française est actée par arrêté min­istériel en 1964. Mais tout reste à faire. S’il existe quelques infra­struc­tures (aéro­drome, port), il fau­dra dévelop­per des routes, des télé­com­mu­ni­ca­tions, mais aus­si des loge­ments, des écoles, un cen­tre de san­té, des com­merces pour accueil­lir ceux qui con­stru­iront la nou­velle base de lance­ment et qui vivront et tra­vailleront dans la ville spatiale. 

Tan­dis que le Cen­tre spa­tial guyanais s’installe à Kourou, la France lance, en 1965, son pre­mier satel­lite : Astérix s’élance à bord de la fusée Diamant‑A depuis l’Algérie. C’est ce lance­ment depuis l’ensemble au cœur du Sahara qui fait de la France la troisième puis­sance spa­tiale mondiale. 

Une première fusée lancée le 9 avril 1968

Qua­tre ans à peine après la déci­sion d’implanter le CSG en Guyane, alors que les travaux d’infrastructures sont en cours et que les instal­la­tions de lance­ment sont encore en con­struc­tion, la France lance sa pre­mière fusée-sonde depuis la Guyane. Pour la pre­mière fois, le 9 avril 1968, le CSG entre en opérations. 

“C’est depuis la Guyane que le spatial européen fait face à la rude concurrence américaine”

La France con­firme ses ambi­tions d’établir une poli­tique spa­tiale pro­pre aux côtés des grandes puis­sances, c’est-à-dire de dis­pos­er d’un accès autonome à l’espace sans lequel il n’y a pas de poli­tique spa­tiale qui vaille, il faut donc dévelop­per un lanceur et un pas de tir. 

De 1968 à 1982, 412 fusées et bal­lons s’élanceront depuis le tout pre­mier site de lance­ment du Cen­tre spa­tial guyanais. Si elle n’atteint que 113 km d’altitude en douze min­utes de vol, la fusée Véronique est bien celle qui per­me­t­tra à la France puis à l’Europe de pren­dre de la hau­teur. Elle est la pre­mière pierre de cet édi­fice européen qu’est aujourd’hui le CSG. 

Une ambition partagée par l’Europe

Centre technique à Kourou
Cen­tre tech­nique 51.

Très tôt, l’ambition française devient européenne, le Cen­tre européen pour la con­struc­tion de lanceurs et d’engins spa­ti­aux (Cecles) se laisse con­va­in­cre par la France de con­stru­ire à Kourou un site de lance­ment pour Europa II : l’Europe spa­tiale adopte Kourou et le CSG. 

L’explosion du lanceur Europa II en 1971 et l’échec du pro­gramme mar­quent non pas un renon­ce­ment mais le début d’une nou­velle ambi­tion. C’est autour du pro­gramme Ari­ane, conçu pour un lance­ment depuis Kourou, que l’Europe va se ressoud­er. L’Agence spa­tiale européenne, l’ESA, naît en 1973. Le site Europa est recon­ver­ti en un nou­v­el ensem­ble de lance­ment : pour Ari­ane 1 cette fois. 

Le CSG se met en som­meil au prof­it du développe­ment de ce nou­veau lanceur… et bien plus : une gamme com­plète, de Ari­ane 1 à 4. L’avenir com­mer­cial de l’Europe spa­tiale se des­sine déjà : pen­dant que se con­stru­it ce nou­v­el ensem­ble de lance­ment, trois salles blanch­es ver­ront égale­ment le jour, per­me­t­tant la pré­pa­ra­tion des satel­lites qui mon­teront à bord d’Ari­ane. De quoi séduire les pre­miers clients, notam­ment l’américain Intelsat. 

L’aventure Ariane

Après un pre­mier tir avorté, quinze jours avant, ce 24 décem­bre 1979, Ari­ane 1 s’élance. En 1980, le Cnes crée Ari­ane­space, le tout pre­mier opéra­teur de lance­ments com­mer­ci­aux. L’Europe innove et ouvre la voie. 

Un atout économique pour la Guyane

Avec la saga Ariane et l’entrée de l’Europe sur la scène commerciale, le spatial devient davantage qu’une filière scientifique et technique en Guyane. Il devient un secteur économique porteur et le CSG un site industriel.
Aujourd’hui, le spatial représente 15 % de la création de richesses de la Guyane. Quarante entreprises sont implantées sur la base de lancement, que leur activité soit directement liée au secteur spatial ou aux services nécessaires à son développement et à son maintien en condition opérationnelle.
En Guyane, le spatial représente 4 600 emplois directs, indirects et induits.

Ari­ane 1 emportera notam­ment la sonde Giot­to, qui rejoin­dra la comète Hal­ley et ter­min­era sa car­rière en 1986 avec le lance­ment de Spot, tout pre­mier satel­lite français d’observation de la Terre. 

Ari­ane 2 et Ari­ane 3, ver­sions plus puis­santes, lui suc­cè­dent. Alors que les États-Unis con­nais­sent des revers avec l’accident de la navette Chal­lenger et sus­pendent leurs lance­ments com­mer­ci­aux, Ari­ane­space devient le leader mon­di­al sur le marché ouvert des ser­vices de lance­ment, cap­tant plus de 50 % du marché mondial. 

L’Europe adopte une poli­tique d’évolution des lanceurs pour s’adapter au marché, alors qu’Ari­ane 4 n’a pas encore décol­lé (pre­mier lance­ment en 1988), l’ESA adopte le pro­gramme Ari­ane 5. Son pre­mier vol depuis le CSG aura lieu en 1996. 

Des lancements de tout type

Depuis le Cen­tre spa­tial guyanais décolle aujourd’hui une gamme com­plète de lanceurs : Ari­ane 5, le lanceur lourd, Vega, le lanceur léger, et Soy­ouz le lanceur moyen. Ce dernier s’est élancé pour la pre­mière fois depuis la Guyane en 2011, alors qu’Ari­ane célébrait son 200e vol, rejoint par Vega un an plus tard. 

DES INFRASTRUCTURES EN PLEIN DÉVELOPPEMENT

Aux alentours du CSG, la piste de l’aéroport de Cayenne est allongée ; le « port de Kourou » est devenu une véritable zone portuaire. Opérationnelle dès 1966, la zone de Pariacabo accueille toujours aujourd’hui les navires qui transportent les étages des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz.
Le Centre médicochirurgical de Kourou s’achève. Le bourg de Kourou de quelques centaines d’habitants devient une ville de plusieurs milliers d’habitants. En 1968, lorsque Véronique s’élance, on construit déjà l’ensemble de lancement Diamant. Il devient opérationnel en 1970 avec le premier lancement de Diamant-B2.
De leur côté, les Américains viennent de poser le pied sur la Lune. D’Hammaguir à Kourou, Diamant connaîtra 12 lancements, dont 5 à partir du CSG. Avec lui, le Cnes se familiarise avec la technologie des lanceurs.

Au-delà de ses clients com­mer­ci­aux inter­na­tionaux qui vien­nent y lancer leurs satel­lites, le CSG accueille des mis­sions cru­ciales pour l’Europe spa­tiale, de l’observation de la Terre à l’exploration plané­taire. On se sou­vient de l’ATV, le car­go de rav­i­taille­ment de la Sta­tion spa­tiale inter­na­tionale, de l’IXV, le véhicule de test de ren­trée atmo­sphérique, ou encore de la sonde Roset­ta, qui déposa en 2016 l’atterrisseur Phi­lae sur la comète « Tchouri » il y a deux ans. 

C’est aus­si du CSG, port spa­tial de l’Europe, que sont envoyés sur leur orbite les satel­lites de la con­stel­la­tion Galileo, garante d’un accès autonome à la nav­i­ga­tion par satel­lite, domaine autre­fois exclu­sive­ment réservé aux grandes puis­sances spa­tiales avec le GPS améri­cain et le Glonass russe. 

C’est depuis la Guyane que le spa­tial européen fait face à la rude con­cur­rence améri­caine : le CSG se pré­pare à accueil­lir les futurs lanceurs Vega‑C et Ari­ane 6, l’un pour mieux répon­dre au marché des plus petits satel­lites (en par­ti­c­uli­er les satel­lites d’observation de la Terre Coper­ni­cus), l’autre adap­té aux satel­lites moyens (par exem­ple les satel­lites Galileo) et au marché com­mer­cial des satel­lites de télé­com­mu­ni­ca­tions avec l’objectif de réduire les coûts tout en restant aus­si fiables que leurs prédécesseurs. 

Ren­dez-vous est don­né en 2020, année de lance­ment d’Ari­ane 6, pour con­tin­uer d’écrire cette page d’une his­toire entremêlée d’Europe et de Guyane. L’Europe spa­tiale et son avenir s’élancent de Kourou. 

HERVÉ GILIBERT (84), CHIEF TECHNICAL OFFICER - ARIANEGROUP
Par Hervé GILIBERT (84) Chief tech­ni­cal offi­cer — ArianeGroup

DE ARIANE 5, LE LANCEUR PHARE DES ANNÉES 2000,
À ARIANE 6, VECTEUR EUROPÉEN DE 2020

Le lanceur européen Ari­ane 5 vivra son 100e lance­ment à l’automne 2018. Des­tiné ini­tiale­ment à emporter la navette Her­mès, le lanceur Ari­ane 5 s’est focal­isé dès 1992 vers des lance­ments plus clas­siques. L’objectif était de réduire les prix des lance­ments par rap­port à Ari­ane 4, en empor­tant deux satel­lites au lieu d’un seul vers l’orbite de trans­fert géo­sta­tion­naire (GTO). Mal­gré des débuts mar­qués par deux échecs, en juin 1996 et décem­bre 2002, Ari­ane 5 a repris la voie du suc­cès tracée par Ari­ane 4 lors de la décen­nie précé­dente. Forte de sa capac­ité d’emport vers l’orbite GTO accrue peu à peu jusqu’à 10 tonnes, et cap­tant l’essentiel des parts sur le marché des lance­ments com­mer­ci­aux, elle a assuré plus de 80 suc­cès d’affilée, dont quelques mis­sions excep­tion­nelles : la sonde Roset­ta, les téle­scopes Her­schel et Planck, les car­gos spa­ti­aux autonomes ATV vers la Sta­tion spa­tiale inter­na­tionale, et bien sûr les mis­sions Galileo

Décollage Ariane
© CNES / ESA / Arianespace

Largage moteur Ariane
© CNES / ESA / Arianespace

Dès 2020, Ariane prendra le relais avec des coûts en baisse de 40 %

La com­péti­tion sur le marché com­mer­cial ouvert est dev­enue féroce et de nou­veaux types de mis­sions appa­rais­sent, avec notam­ment l’émergence de con­stel­la­tions de satel­lites lancés à « basse altitude ». 

Ces change­ments ren­dent néces­saires l’arrivée d’un nou­veau lanceur et une refonte com­plète du sys­tème de pro­duc­tion Ari­ane : c’est ce que les agences spa­tiales et l’industrie européennes met­tent en place depuis 2014 avec le développe­ment d’Ari­ane 6.

Le lanceur Ari­ane 6 tir­era prof­it des acquis d’Ari­ane 5 mais sera poly­va­lent en ter­mes de mis­sions, plus mod­u­laire dans sa con­cep­tion, et ver­ra ses coûts de pro­duc­tion réduits de 40 % grâce à une refonte com­plète du sys­tème indus­triel. Ari­ane 6 effectuera son pre­mier vol en 2020 et les deux lanceurs seront opérés en par­al­lèle jusqu’en 2022. Ari­ane 5 passera alors totale­ment le relais à Ari­ane 6.

Une triple rupture

Par rap­port au pro­gramme Ari­ane 5 précé­dent, Ari­ane 6 s’inscrit en rup­ture dans trois domaines. 

Tout d’abord, le regroupe­ment des plus gros acteurs européens des lanceurs, Air­bus, le maître d’œuvre inté­gra­teur, et Safran, le motoriste au sein d’ArianeGroup per­me­t­tra une ratio­nal­i­sa­tion indus­trielle, source d’économies.

Ensuite, une nou­velle gou­ver­nance a été créée à tra­vers laque­lle l’Agence spa­tiale européenne a con­fié l’Autorité de con­cep­tion à l’industrie sous la maîtrise d’oeuvre d’ArianeGroup ; dans cette approche l’industrie assume plus de risques sur le marché com­mer­cial tan­dis que les Insti­tu­tions et les États européens s’engagent à une préférence européenne dans le choix des ser­vices de lance­ment pour leurs pro­pres satellites. 

Enfin, la con­cep­tion même du lanceur Ari­ane 6 est nou­velle : c’est un lanceur de forte capac­ité, de la gamme Ari­ane 5 dans sa ver­sion lourde, mais qui est ren­du mod­u­laire en jouant sur le nom­bre de ses boost­ers latéraux (deux pour Ari­ane 62 ou qua­tre pour Ari­ane 64). Ce lanceur pour­ra ain­si se sub­stituer aux deux ver­sions actuelles d’Ari­ane 5 et à Soy­ouz. Doté d’un moteur d’étage supérieur réal­lum­able, il offrira une poly­va­lence totale dans l’espace, cou­vrant ain­si tous les types de mis­sions vers toutes les orbites et répon­dant ain­si aux besoins émer­gents, tels que les déploiements de constellations. 

Aujourd’hui le développe­ment d’Ari­ane 6 bat son plein, les pre­miers équipements sor­tent des usines et entrent en essais. Ren­dez-vous en juil­let 2020 pour le 1er lancement ! 

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