Densité de débris dans l'espace

Gérer et réduire le risque de collision dans l’espace

Dossier : Reconquête spatialeMagazine N°736 Juin 2018
Par Romain LUCKEN (12)

Le ciel est encom­bré de débris de toute taille. Pour les orbites très basses la dés­in­té­gra­tion par ren­trée dans l’at­mo­sphère se pro­duit rapi­de­ment. Ce n’est plus le cas à 1 200 km, à une alti­tude où l’on veut lan­cer des mil­liers de satel­lite en constel­la­tion. Pour le moment, ces débris sont sui­vis par radar et cata­lo­gués. Des modé­li­sa­tions sont en cours pour des­cendre la limite de sui­vi de 10 à 1 cm. Ulté­rieu­re­ment, on envi­sage de déve­lop­per un « chas­seur » pour col­lec­ter ces débris. 

Autre­fois notre der­nier hori­zon, l’atmosphère ter­restre n’est plus qu’une mince couche de gaz qui nous pro­tège d’un envi­ron­ne­ment hos­tile où les varia­tions ther­miques et les radia­tions rendent la vie presque impossible. 

La conscience éco­lo­gique moderne est née avec les pre­mières images qui, depuis les satel­lites de la guerre froide, ont mon­tré le frêle équi­libre de notre monde. Micro­mé­gas est pas­sé du fan­tasme aux écrans de télévision. 

Soixante ans plus tard, l’orbite ter­restre fait par­tie de notre éco­no­mie en ren­dant acces­sibles un grand nombre de ser­vices en télé­com­mu­ni­ca­tions, car­to­gra­phie, météo­ro­lo­gie et surveillance. 

L’industrie spa­tiale génère aujourd’hui envi­ron 300 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires à l’échelle mon­diale avec une forte crois­sance sou­te­nue par le sec­teur pri­vé et les enjeux liés à la sécu­ri­té. Cette indus­trie a gagné en matu­ri­té fia­bi­li­té qui se rap­prochent de ceux des tech­no­lo­gies terrestres. 

REPÈRES

La collision entre les satellites Iridium-33 et Kosmos-2251 en 2009, qui a généré plus de 1 000 débris de plus de 10 cm et des dizaines de milliers de plus de 1 cm, a marqué la dernière décennie et est représentative des risques de collision qui se multiplient dans l’espace.

Plus d’un million de débris en orbite

Au cours du déve­lop­pe­ment de l’ère spa­tiale, l’homme a lais­sé dans l’espace des cen­taines d’objets intacts (der­niers étages de lan­ceurs, satel­lites en fin de vie, pièces annexes) dont cer­tains ont explo­sé ou cau­sé des col­li­sions, et qui repré­sentent tou­jours un dan­ger pour l’exploitation de l’orbite terrestre. 

“Le lancement de près de 15 000 satellites en orbite basse est prévu pour les dix prochaines années”

Aux orbites les plus basses, la traî­née de l’atmosphère rési­duelle dis­sipe l’énergie ciné­tique des objets en orbite sur une échelle de temps de quelques mois ou années, ce qui entraîne une dimi­nu­tion du demi-grand axe de la tra­jec­toire ellip­tique, jusqu’à ce que l’échauffement ther­mique dégrade les maté­riaux. Sauf excep­tion, comme pour des maté­riaux par­ti­cu­liè­re­ment denses et résis­tants (réser­voirs de vais­seaux spa­tiaux en titane) ou pour des objets très mas­sifs (faible rap­port sur­face sur volume), les objets sont inté­gra­le­ment brû­lés dans l’atmosphère avant de tou­cher le sol terrestre. 

Cepen­dant, au-delà de 400 km, la den­si­té de l’atmosphère devient si faible que les effets de la traî­née ne se font sen­tir que sur l’échelle du siècle. Ain­si, on estime à près d’un mil­lion le nombre d’objets de plus de 1 cm et on recense plus de 17 000 objets de plus de 10 cm. 

Des objets catalogués et suivis

Ces objets sont détec­tés et sui­vis par des radars ter­restres sou­vent pro­prié­té des armées natio­nales, à l’instar du réseau de sur­veillance de l’espace (Space Sur­veillance Net­work, SSN) aux États-Unis ou du radar Graves en France. 

Fins de vie moins incertaines

Alors qu’un satellite de télécommunications en orbite géostationnaire coûte de l’ordre de 200 millions d’euros, le prix d’un satellite de OneWeb sera d’à peine quelques millions d’euros (pour les premières générations), pour une masse dix fois inférieure.
Les processus de fabrication sont standardisés et automatisés, avec des méthodes inspirées de l’industrie automobile. L’industrie spatiale pourra sûrement faire face sur le long terme à ce défi, mais la transformation des modes de production induit beaucoup d’incertitude, notamment sur le taux d’échec de la manœuvre de désorbitation en fin de vie.

La figure 1 montre la dis­tri­bu­tion des objets cata­lo­gués par l’US Air Force en alti­tude et en incli­nai­son du plan d’orbite. On y dis­tingue les orbites hélio­syn­chrones, autour de 800 km et avec des incli­nai­sons proches de 95°. Ces orbites, par­ti­cu­liè­re­ment utiles pour l’observation de la Terre, pré­sentent de loin la plus forte den­si­té de débris, avec près de 10-7 objets de plus de 10 cm par km³. 

L’orbite géo­sta­tion­naire, qui sert de relais notam­ment pour les télé­com­mu­ni­ca­tions et la télé­vi­sion, est éga­le­ment encom­brée. His­to­ri­que­ment, une grande part des béné­fices de l’activité spa­tiale est réa­li­sée par les opé­ra­teurs de satel­lites de télé­com­mu­ni­ca­tions en orbite géostationnaire. 

Le prix des bandes pas­santes a for­te­ment chu­té en 2016 et 2017 pour ce type de ser­vices et on pré­dit aujourd’hui que la cou­ver­ture inter­net par des méga­cons­tel­la­tions en orbite basse devien­dra un enjeu éco­no­mique majeur qui pour­rait bou­le­ver­ser le sta­tu quo. 

La menace des mégaconstellations de satellites


La trace de l’Homme dans l’espace. Den­si­té d’objets réfé­ren­cés en fonc­tion de l’altitude et de l’inclinaison du plan d’orbite.

Boeing a annon­cé la mise en orbite de 2 956 satel­lites à 1 200 km, tout comme le consor­tium Air­bus One­Web qui a déjà com­men­cé à Tou­louse la fabri­ca­tion en série des 1 000 satel­lites éga­le­ment des­ti­nés à rejoindre des orbites à 1 200 km. 

Spa­ceX a rejoint la course en 2015 avec sa constel­la­tion Star­link de plus de 4 425 satel­lites sur des orbites entre 1 100 et 1 325 km. Au total, le lan­ce­ment de près de 15 000 satel­lites en orbite basse est pré­vu pour les dix pro­chaines années. 

Même si cer­taines de ces annonces res­te­ront lettre morte, cela repré­sente un enjeu sans pré­cé­dent pour l’ensemble de l’industrie spa­tiale. Le sec­teur des télé­com­mu­ni­ca­tions inter­net est for­te­ment com­pé­ti­tif, notam­ment avec la concur­rence de tech­no­lo­gies ter­restres telles que la fibre optique, et tous les coûts de déve­lop­pe­ment, qua­li­fi­ca­tion, pro­duc­tion et exploi­ta­tion doivent être tirés vers le bas. 

Des orbites plus basses donc plus risquées

Afin de limi­ter la puis­sance du satel­lite (et donc son coût) et la latence lors de la com­mu­ni­ca­tion, les opé­ra­teurs ont inté­rêt à choi­sir une orbite la plus basse pos­sible. Or le pre­mier mini­mum de la courbe de la den­si­té de débris en fonc­tion de l’altitude se trouve aux alen­tours de 1 200 km. 

Collisions en cascade

en cascade Le seuil du syndrome de Kessler, qui prédit que les collisions en cascade entre des objets inertes en orbite puissent faire augmenter le nombre de débris de façon exponentielle même en l’absence de nouveaux lancements, risque d’être atteint en quelques années à peine.
Ce seuil est déjà atteint en orbite héliosynchrone mais avec un temps caractéristique de l’ordre du siècle.
Le syndrome de Kessler pose un problème éthique important puisqu’un comportement irresponsable risquerait de priver les générations futures de l’accès à l’espace.

Tous les opé­ra­teurs se pro­jettent donc sur des orbites com­prises entre 1 100 et 1 300 km. Les satel­lites défaillants et res­tant inertes sur leur orbite inter­sec­te­ront la tra­jec­toire de cen­taines d’objets appar­te­nant à dif­fé­rents concur­rents, les obli­geant à manœu­vrer pour évi­ter une collision. 

La figure 2 pré­sente un graphe de la pro­ba­bi­li­té d’occurrence d’un évé­ne­ment lié à une acti­vi­té humaine en fonc­tion de son coût pour les assu­reurs, déter­mi­né à par­tir de dif­fé­rentes sources publiques. Ces don­nées, repré­sen­tées en échelle loga­rith­mique, ne consti­tuent qu’un ordre de grandeur. 

La courbe de ten­dance verte repré­sente l’intervalle dans lequel un risque est accep­table pour le sec­teur pri­vé. On observe que l’opération de satel­lites en orbite hélio­syn­chrone est d’ores et déjà une acti­vi­té par­ti­cu­liè­re­ment ris­quée. Le risque de col­li­sion pour les pre­miers satel­lites de One­Web ou de Star­link autour de 1 200 km sera lar­ge­ment accep­table mais la mul­ti­pli­ca­tion de constel­la­tions avec une fia­bi­li­té impar­faite fera aug­men­ter le risque de col­li­sion de plu­sieurs ordres de gran­deur et peut com­pro­mettre leur rentabilité. 

Modéliser l’évolution des débris pour gérer les risques associés

Pour répondre aux besoins des opé­ra­teurs de méga­cons­tel­la­tions en termes de ges­tion du risque lié aux col­li­sions en orbite, de nou­veaux ser­vices ont été conçus et déve­lop­pés par la socié­té Share My Space, créée en juin 2017. Elle donne accès à des modèles d’évolution de la den­si­té de débris spa­tiaux actua­li­sés quo­ti­dien­ne­ment, en pre­nant en compte l’ensemble des satel­lites du client dans le cal­cul du risque global. 

Cela per­met de réagir en temps réel aux évé­ne­ments qui se pro­duisent sur les orbites d’exploitation, en ajus­tant les para­mètres des futurs satel­lites, avec éven­tuel­le­ment des impacts sur le desi­gn (par exemple pour le sys­tème pro­pul­sif), et de s’assurer que les niveaux de fia­bi­li­té sont satis­fai­sants sur le long terme. Une ver­sion web sim­pli­fiée de l’outil de simu­la­tion Indemn est dis­po­nible gra­tui­te­ment à la demande. 

Suivre les débris de 1 cm à 10 cm

Courbe des risques acceptables
Prin­ci­paux risques liés à l’activité humaine en 2018. La pro­ba­bi­li­té annuelle est repré­sen­tée pour un élé­ment (un loge­ment, un auto­mo­bi­liste, ou un pas­sa­ger aérien moyen…). La zone verte repré­sente une région de risque accep­table par la socié­té. La flèche repré­sente la ten­dance pour la pro­chaine décen­nie..

Les bases de don­nées actuelles ne recensent que les débris de plus de 10 cm qui ne repré­sentent que 2 % des objets pou­vant cau­ser des col­li­sions sévères. La néces­si­té d’une meilleure carac­té­ri­sa­tion des objets dont la taille typique est com­prise entre 1 et 10 cm a été sou­li­gnée par plu­sieurs acteurs. 

Par ailleurs de nou­veaux algo­rithmes sont en cours de déve­lop­pe­ment pour iden­ti­fier les débris de ce type à par­tir des don­nées des radars. Cette iden­ti­fi­ca­tion per­met­tra de pré­ve­nir un grand nombre de col­li­sions pour les­quelles les opé­ra­teurs ne sont pas pro­té­gés à l’heure actuelle. 

En outre, cette car­to­gra­phie contri­bue­ra à amé­lio­rer signi­fi­ca­ti­ve­ment le modèle sta­tis­tique d’Indemn. Ce logi­ciel est un outil de modé­li­sa­tion du risque, donc il s’adresse natu­rel­le­ment aux assu­reurs des mégaconstellations. 

Des technologies pour capturer les débris

Dans une pers­pec­tive de long terme, Share My Space contri­bue au déve­lop­pe­ment de tech­no­lo­gies qui per­met­tront de cap­tu­rer plu­sieurs débris sur des orbites voi­sines avec un chas­seur qui ache­mi­ne­ra les objets vers un centre de sto­ckage en orbite, en vue de leur recyclage. 

Un consor­tium est en cours de défi­ni­tion avec notam­ment le Centre spa­tial de l’École polytechnique.

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