On ne peut plus vivre sans l’espace

Dossier : Reconquête spatialeMagazine N°736 Juin 2018
Par Jean-Jacques DORDAIN

L’es­pace nous est main­te­nant deve­nu indis­pen­sable tant pour com­prendre et sur­veiller la Terre que pour y vivre et être infor­mé. Les acteurs se mul­ti­plient, dans le contexte d’un New Space qui enthou­siasme et dérange. 

L’espace est deve­nu, en un peu plus d’une géné­ra­tion, une dimen­sion essen­tielle pour com­prendre la Terre et pour y vivre. 

Com­prendre la Terre, ses com­po­santes, son ori­gine et son évo­lu­tion, en ana­ly­sant toutes les lumières qui nous viennent de l’Univers, en visi­tant tous les corps du sys­tème solaire et sur­tout en décou­vrant notre pla­nète elle-même en pre­nant de la hauteur. 

La révo­lu­tion a bien eu lieu en 1968, mais avec la mis­sion Apol­lo 8, dont l’équipage a rame­né de son périple autour de la Lune le témoi­gnage d’une Terre petite, une, fra­gile et finie, vais­seau de l’espace dans lequel l’humanité est embar­quée et qui fait de cha­cun un astro­naute res­pon­sable du véhi­cule qui l’abrite.

Vivre sur Terre, grâce aux don­nées quo­ti­diennes qui nous viennent de l’espace pour com­mu­ni­quer, voir, pré­voir, écou­ter, navi­guer, sur­veiller, gérer, contrô­ler – l’espace étant le seul moyen légal de col­lec­ter de l’information en tout point de la Terre et de la redis­tri­buer ins­tan­ta­né­ment et par­tout, y com­pris sur des mobiles. 

L’espace contri­bue à rac­cour­cir les dis­tances et le temps, et à faire pro­gres­ser connais­sances et éco­no­mie, les banques les plus riches aujourd’hui étant riches de don­nées plus que d’argent. L’espace a aus­si per­mis d’étendre la sphère éco­no­mique de la Terre au-delà de la pla­nète, bri­sant ain­si sa finitude. 

On ne peut plus vivre sans l’espace et cette dépen­dance fait pas­ser aujourd’hui de l’espace pour tous à l’espace par tous, mul­ti­pliant les acteurs par­mi ceux qui, jusqu’ici, n’étaient que des spec­ta­teurs : de plus en plus de pays, d’entrepreneurs, d’investisseurs, d’écoles et d’universités amènent de nou­velles idées, de nou­velles méthodes et de nou­velles ressources. 

C’est le New Space qui, comme toute nou­velle géné­ra­tion, enthou­siasme et dérange en même temps. Chaque géné­ra­tion a sa bataille d’Hernani, source de pro­grès une fois pas­sée l’écume.

Dans ce grand mou­ve­ment mon­dial, la dimen­sion euro­péenne sera encore la clé du futur. L’Europe est com­plexe, faite de la jux­ta­po­si­tion de plu­sieurs échelles, du régio­nal au com­mu­nau­taire. Au lieu de sim­pli­fier, il est mieux de ras­sem­bler pour uti­li­ser la diver­si­té de l’Europe et faire la dif­fé­rence par ce qui lui est propre : sa culture de la coopé­ra­tion, c’est-à-dire de par­tage des objec­tifs, des res­sources et des résul­tats dans des pro­jets communs. 

C’est ce qui a per­mis à l’Europe, avec des bud­gets bien plus faibles que ceux des autres puis­sances spa­tiales, des conquêtes et des suc­cès uniques. C’est ce qui conti­nue­ra à faire de l’Europe un modèle de conquête durable, pour­vu qu’elle prenne le risque d’innover.

La coopé­ra­tion, c’est d’abord une affaire d’hommes et de femmes qui conjuguent exper­tise et efforts et par­tagent la même pas­sion. Les géné­ra­tions changent et se suc­cèdent mais la pas­sion est la même. 

Je l’ai par­ta­gée avec mes élèves, et je la recon­nais quand je lis leurs témoi­gnages ras­sem­blés dans ce dossier. 

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