Avions de Southwest Airlines

Vols long-courriers : faire face aux compagnies low-cost

Dossier : Les métiers du conseilMagazine N°729 Novembre 2017
Par Hugo AZERAD
Par Minh VU HONG (05)

Un exem­ple des nou­velles méth­odes de tra­vail : con­seiller les com­pag­nies tra­di­tion­nelles devant les low-cost qui éten­dent leur offre au long-cour­ri­er. Pour garder leur image de mar­que, il faut certes réduire les coûts mais aus­si pro­pos­er des ser­vices innovants. 

Les com­pag­nies à bas coût bous­cu­lent les mod­èles économiques sur court et moyen-cour­ri­er en man­ageant plus fine­ment leurs struc­tures coûts, en aug­men­tant leurs sources de revenus annex­es et en choi­sis­sant des routes en fonc­tion des attentes des voyageurs et non en fonc­tion des hubs. 

Les com­pag­nies tra­di­tion­nelles sont alors face à un dilemme : imiter les com­pag­nies à bas coût ou s’accrocher à leur mod­èle historique ? 

REPÈRES

Quand Herb Kelleher lance Southwest Airlines en 1971 avec trois Boeing 737 pour desservir seulement quelques villes au Texas, rares sont ceux qui auraient parié sur son succès. Encore plus rares sont ceux qui auraient prédit la création d’un business model qui sera ensuite décliné dans d’autres régions du globe.
Quarante-cinq ans plus tard, les compagnies low cost ont démocratisé le transport aérien et ont des profitabilités supérieures aux compagnies traditionnelles.

L’IRRÉSISTIBLE PERCÉE DU LOW COST

Depuis les débuts de South­west, les com­pag­nies low cost se sont sig­ni­fica­tive­ment dévelop­pées et représen­tent main­tenant 25 % du traf­ic aérien mondial. 

Les com­pag­nies à bas coût ont eu leur plus fort impact sur le court et moyen-cour­ri­er avec une part de marché en Europe autour de 40 % en 2015, plus élevée qu’en Asie-Paci­fique ou en Amérique du Nord. 

En Europe, la part des com­pag­nies à bas coût dans le traf­ic aérien varie de manière sig­ni­fica­tive entre les aéro­ports, notam­ment pour des raisons de régu­la­tion locale, de créneaux disponibles et de pri­or­ités de développe­ment pour les compagnies. 

Cer­tains marchés – Espagne, Roy­aume-Uni, Por­tu­gal et Ital­ie par exem­ple – ont été emportés par la « vague » des com­pag­nies à bas coût. En France, Alle­magne ou Benelux où les com­pag­nies tra­di­tion­nelles ont encore une avance con­fort­able, les com­pag­nies à bas coût devraient con­tin­uer à croître dans les années à venir. 


South­west Air­lines, fondée en 1971, a créé un mod­èle de développe­ment qui s’est large­ment répan­du. © MARCHELLO74 / SHUTTERSTOCK.COM

LE MARCHÉ EUROPÉEN SOUS PRESSION

Au Royaume-Uni et dans les pays du sud de l’Europe – Italie, Espagne, Portugal – le low cost représente de 42 à 48 % du marché des courts et moyens-courriers.
En Allemagne, France et Benelux, il est de l’ordre de 25 %.

COURTS ET MOYENS-COURRIERS : UNE CROISSANCE TRÈS MARQUÉE

De 2004 à 2015, la part du low cost courts et moyens-courriers – exprimée en nombre de sièges – a connu une très forte croissance. En Europe, elle est passée de moins de 20 % à 40 %, en Amérique du Nord de 18 à 30 % et en Asie-pacifique de 5 à 25 %.
Notons toutefois qu’en Amérique du Nord cette part de marché s’est stabilisée depuis 2010.

DES COÛTS INFÉRIEURS DE 30 %

La crois­sance est soutenue par l’évolution des com­pag­nies à bas coût : ser­vice rudi­men­taire et pack­ages option­nels à des­ti­na­tion des voyageurs fréquents, voire des petites entreprises. 

Les com­pag­nies à bas coût sont égale­ment plus présentes dans les aéro­ports prin­ci­paux – même Ryanair, habituée des aéro­ports sec­ondaires, a un plan de développe­ment de vols depuis les aéro­ports prin­ci­paux, comme, par exem­ple, Paris-Charles-de-Gaulle. 

En étu­di­ant la struc­ture de coûts des com­pag­nies à bas coût, on con­state qu’elles ont des coûts 30 % inférieurs aux com­pag­nies tra­di­tion­nelles, en grande par­tie grâce à leur struc­ture et à leur organisation. 

Les com­pag­nies à bas coût ont des chaînes de valeur bien plus opti­misées que les com­pag­nies tra­di­tion­nelles, ce qui explique pour moitié la dif­férence de coûts ; l’autre moitié vient des niveaux de ser­vice inférieurs. 

Les compagnies low cost optimisent la rotation de leurs avions.
Les com­pag­nies low cost opti­misent la rota­tion de leurs avions.

DES ÉCONOMIES SUR TOUS LES POSTES

Dans les compagnies low cost, la recherche de gains est systématique dans tous les domaines.
Ces gains touchent aussi bien les salaires que la productivité des employés (4 % du coût total), les repas payants (3 %), la limitation des services aux clients et la plus grande densité de sièges (9 %), la flotte d’avions généralement récente, ce qui permet de gagner sur les rotations, les coûts d’exploitation, le carburant et le nombre de sièges (6 %), les frais de vente avec peu d’intermédiation (4 %), les coûts de structure de la compagnie (2 %), les droits de trafic et redevances aéroportuaires (1 %).

LA BATAILLE DU LONG-COURRIER

Le long-cour­ri­er est la prochaine étape pour les com­pag­nies à bas coût. En Europe, Nor­we­gian Air ou Wow Air ont lancé les hos­til­ités en 2016 et début 2017 avec des offres low cost long-cour­ri­ers vers de nom­breuses des­ti­na­tions aux États-Unis, notam­ment New York, Los Ange­les, Mia­mi ou encore Boston. 

Hôtesse de l'air
Les com­pag­nies low cost ont ren­du les repas à bord payants. © RUBEN M RAMOS / SHUTTERSTOCK.COM

Les avan­tages des com­pag­nies à bas coût sur les voy­ages plus courts sont aus­si applic­a­bles au long-cour­ri­er, même si l’impact est moin­dre. La dif­férence de coûts entre les com­pag­nies à bas coût et les com­pag­nies tra­di­tion­nelles va poten­tielle­ment jusqu’à 20 %, et pour les voyageurs, la dif­férence nette de prix pour­rait ain­si devenir déci­sive dans leur critère d’achat.

La men­ace va s’amplifier sur le long terme avec encore plus de com­pag­nies à bas coût présentes sur les routes prin­ci­pales inter­con­ti­nen­tales depuis l’Europe vers New York, Sin­gapour ou Shanghai. 

Des alliances sont égale­ment en train de se for­mer, comme celle entre La Com­pag­nie et Cor­sair avec easy­Jet à Paris pour faire con­cur­rence à Air France. 

LES CHANCES DES COMPAGNIES TRADITIONNELLES EUROPÉENNES

Les lignes long-cour­ri­ers représen­tent une part essen­tielle de la prof­itabil­ité des com­pag­nies tra­di­tion­nelles et de leur attrac­tiv­ité, et la con­cur­rence des com­pag­nies low cost est une men­ace claire­ment identifiée. 

Com­ment les com­pag­nies tra­di­tion­nelles peu­vent alors garder leur avan­tage sur le long-cour­ri­er ? En agis­sant suiv­ant qua­tre grands axes. 

SE DÉMARQUER DES COMPAGNIES LOW COST

Le pre­mier axe est l’enrichissement et le développe­ment de la dif­féren­ci­a­tion pro­duit et l’expérience consommateur. 

La ten­ta­tion est grande de bat­tre les com­pag­nies à bas coût à leur pro­pre jeu, mais les com­pag­nies tra­di­tion­nelles peu­vent main­tenir leur avan­tage com­péti­tif en restant sur leur ter­rain de jeu. Inve­stir dans leurs points forts – ser­vice, cou­ver­ture géo­graphique et expéri­ence client – leur don­nera de plus grandes chances de suc­cès que copi­er les com­pag­nies à bas coût. 

Les avions récents consomment moins et sont moins coûteux à entretenir.
Les avions récents con­som­ment moins et sont moins coû­teux à entretenir.

Les com­pag­nies tra­di­tion­nelles peu­vent utilis­er les mêmes méth­odes de « dépack­ag­ing », non pas pour dimin­uer le niveau de ser­vice mais pour aug­menter leur dif­féren­ci­a­tion en offrant des ser­vices inno­vants aux­quels les voyageurs accorderont de l’importance.

DES RECETTES SOUVENT TRANSPOSABLES AU LONG-COURRIER

Il sera sans doute difficile de gagner sur la rotation des appareils car les contraintes sont très différentes de celles du court ou moyen-courrier.
Mais les autres recettes sont soit partiellement applicables – c’est le cas pour la densité des sièges, les services inclus dans le tarif de base ou la productivité du personnel – soit totalement applicables.

REPENSER L’ESPACE INTÉRIEUR ET LES ROUTES

La com­préhen­sion de l’utilisation de l’espace et des coûts en cab­ine est cri­tique pour déter­min­er les routes les plus prof­ita­bles ain­si que les class­es de sièges cor­re­spon­dantes. Si néces­saire, les com­pag­nies tra­di­tion­nelles peu­vent recon­fig­ur­er les cab­ines pour les adapter aux dif­férentes routes. 

In fine, les analy­ses peu­vent aider à redéfinir les mod­èles économiques des routes et aider les com­pag­nies tra­di­tion­nelles à s’approcher un peu plus d’un opti­mum de coûts, notam­ment par rap­port à des analy­ses plus basiques de type « coût par siège kilo­mètre offert ». 

Ain­si, les béné­fices sup­posés des class­es busi­ness et plus (par exem­ple pre­mière) sont sou­vent suré­val­ués, sachant qu’elles ont moins de sièges et ont un coût de ser­vice plus élevé. 

TRANSFORMER LE MODÈLE OPÉRATIONNEL

Comme évo­qué plus haut, au moins la moitié de l’avantage com­péti­tif des com­pag­nies à bas coût vient de leur effi­cac­ité opéra­tionnelle. Les com­pag­nies tra­di­tion­nelles doivent franchir trois étapes pour réduire leur écart. 

JOUER SUR LES SERVICES

Les services sont le domaine dans lequel les compagnies traditionnelles peuvent vraiment se différencier. Le voyageur est toujours le roi, et en prendre soin, le comprendre voire le surprendre avec des services dédiés ou des innovations est une manière de renforcer l’image de marque d’une compagnie, d’avoir des clients heureux et de surclasser les compagnies à bas coût.
La quantité massive de données collectées via les programmes de fidélité et les cartes de crédit peuvent aider les compagnies aériennes à créer des services sur-mesure.

Tout d’abord, amélior­er et déploy­er des proces­sus lean le long de la chaîne de valeur et utilis­er des approches de bench­mark­ing avancées pour iden­ti­fi­er et mesur­er les écarts de com­péti­tiv­ité avec les con­cur­rents et amorcer des pro­grammes de trans­for­ma­tion dans les domaines pertinents. 

Ensuite, don­ner du pou­voir aux organ­i­sa­tions achat afin d’améliorer les pra­tiques, out­ils et organ­i­sa­tions, des achats jusqu’au paiement et de met­tre en place des approches inno­vantes de sourc­ing pour faire bouger les lignes et activ­er du poten­tiel non exploité (par exem­ple, l’optimisation col­lab­o­ra­tive des opéra­tions au sol ou la restau­ra­tion pour­rait per­me­t­tre des économies jusqu’à 15 %). 

Enfin, con­clure de nou­veaux accords avec les employés. Le change­ment doit com­mencer à la base. Le sup­port des équipes opéra­tionnelles est pri­mor­dial pour per­me­t­tre aux organ­i­sa­tions de rat­trap­er leur retard de compétitivité. 

METTRE EN PLACE DES DIVISIONS LOW COST DÉDIÉES

La bataille du long-cour­ri­er peut se gag­n­er sur le court et moyen-cour­ri­er puisque le traf­ic crois­sant dans les hubs reste un dif­féren­ci­a­teur cru­cial pour le mod­èle économique du long-courrier. 

En cabine d'un avion
La bonne util­i­sa­tion de l’espace en cab­ine est un élé­ment critique.
© ROBERT HOETINK / FOTOLIA.COM

Plutôt que de dégrad­er le niveau des opéra­tions pour se met­tre au niveau des com­pag­nies à bas coût – ce qui n’aurait que des effets négat­ifs sur l’image de mar­que – il est préférable que les com­pag­nies tra­di­tion­nelles créent des fil­iales dédiées au low cost, comme sont déjà en train de le faire quelques grandes com­pag­nies européennes avec Vueling/Level, Transavia, Eurow­ings ou encore Joon d’Air France. 

La clé est de con­stru­ire un mod­èle low cost depuis zéro, plutôt que d’adapter un mod­èle de com­pag­nie tra­di­tion­nelle. Ces nou­velles com­pag­nies à bas coût doivent aus­si avoir la lib­erté d’utiliser des réseaux de lignes plus favor­ables, même si elles entrent en con­cur­rence avec les com­pag­nies prin­ci­pales ou mères. 

S’ENVOLER VERS L’AVENIR

Avec leurs prof­its plus élevés que toutes leurs con­cur­rentes, les com­pag­nies à bas coût for­cent les com­pag­nies tra­di­tion­nelles à réex­am­in­er leurs mod­èles his­toriques. Le champ de bataille se déplaçant du court, moyen-cour­ri­er vers le long-cour­ri­er, les com­pag­nies tra­di­tion­nelles peu­vent en sor­tir vic­to­rieuses en revis­i­tant leurs modes de fonc­tion­nement et en se démar­quant avec une expéri­ence client exceptionnelle.

Poster un commentaire