Cadenas numérique

Un secteur de croissance en profonde réinvention

Dossier : Les métiers du conseilMagazine N°729 Novembre 2017
Par Éric LABAYE (80)

Dans cette ère de réin­ven­tion, le con­seil doit s’ap­pli­quer la recom­man­da­tion qu’il adresse habituelle­ment à ses clients : organ­is­er et pilot­er sa pro­pre révo­lu­tion. Il doit pass­er d’un rôle de con­seiller à un rôle d’ac­teur, accom­pa­g­nant la mise en œuvre sur le ter­rain dans le domaine com­plet des nou­velles activités. 

Depuis 1926, date à laque­lle McK­in­sey a inven­té le méti­er de con­seil en man­age­ment, le vis­age et la réal­ité du con­seil ont spec­tac­u­laire­ment mué. 

“ 40 % de notre activité correspond à des spécialités qui n’existaient pas voilà sept ans ”

En l’espace de neuf décen­nies, ce que l’on qual­i­fi­ait encore il y a peu « d’activité » ou de « pro­fes­sion » a acquis le statut de secteur économique à part entière. 

Source non nég­lige­able de valeur ajoutée pour notre pays, il fig­ure par­mi les pre­miers secteurs en matière de créa­tions nettes d’emplois : l’étude du Cen­tre d’analyse stratégique « Les secteurs créa­teurs d’emploi à moyen terme — 2012 » estime à 150 000 les créa­tions nettes d’emplois en ingénierie, con­seil et ser­vices infor­ma­tiques entre 2010 et 2016. 

Si sa matu­rité et son exten­sion lui ont per­mis de se forg­er une place incon­testable par­mi les grandes fil­ières économiques, il se trou­ve de fac­to soumis aux mêmes boule­verse­ments que ceux qui influ­ent sur tout autre secteur et n’échappe nulle­ment aux grandes ten­dances macroé­conomiques ni aux rup­tures qu’elles entraînent. 

REPÈRES

En France, le secteur du conseil pèse selon les statistiques de l’Insee 27,5 Mds de chiffre d’affaires et 140 000 emplois, soit l’équivalent d’une filière comme la production et distribution d’eau.
Il bénéficie depuis deux ans d’un taux de croissance historique, qui a atteint 8,5 % en 2016 selon l’étude annuelle de Consult’in France, amplifiant ses effectifs de plus de 11 %.


Pas moins de 50 % des dirigeants d’entreprises dans le monde, selon une de nos récentes études, esti­ment que leur groupe devra opér­er un pro­fond change­ment de busi­ness mod­el dans les dix ans à venir. Il n’en va pas autrement pour le con­seil qui, ayant voca­tion à se tenir en per­ma­nence à l’avant-garde de ces muta­tions pour servir au mieux ses clients, con­naît lui aus­si des trans­for­ma­tions fondamentales. 

L’exemple de notre cab­i­net en atteste : nous avons évolué sur la dernière décen­nie plus rad­i­cale­ment qu’au cours des qua­tre-vingts ans précé­dents, au point que 40 % de notre activ­ité actuelle cor­re­spond à des domaines de spé­cial­ité pro­fes­sion­nels qui n’existaient pas encore voilà sept ans. 

CLIENTS ET TECHNOLOGIE TRANSFORMENT LES FONDEMENTS MÊMES DU SECTEUR

Com­mençons par ce con­stat : les besoins des dirigeants d’entreprises en matière de con­seil ont forte­ment évolué jusque dans la nature de la demande. En la matière, bon nom­bre d’entreprises témoignent d’une « sophis­ti­ca­tion » accrue sur plusieurs dimensions. 

MONTÉE EN PUISSANCE DE THÈMES NOUVEAUX

Une récente enquête de McKinsey auprès de 2 000 dirigeants d’entreprises européens révèle que les facteurs d’incertitude liés à la montée du populisme, aux tensions géopolitiques et aux inégalités constituent les principaux freins à l’investissement devant des facteurs plus classiques comme le faible niveau de la demande, le manque d’opportunités intéressantes ou la difficulté d’accès au financement.

Elles se sont dotées au fil des ans de pro­fils cor­re­spon­dant à ceux tra­di­tion­nels des con­sul­tants (notam­ment des tit­u­laires de MBA ou de jeunes man­agers aux expéri­ences très diver­si­fiées), ou ont même recruté par­mi leurs dirigeants d’anciens con­sul­tants. Ce faisant, elles ont inter­nal­isé une par­tie des com­pé­tences qui étaient l’apanage his­torique des cab­i­nets de conseil. 

Par­al­lèle­ment, elles ont forte­ment dévelop­pé leurs fonc­tions achats et leur ont, pour cer­taines, con­fié un poids prépondérant dans la sélec­tion des presta­tions de con­seil, lesquelles étaient encore il y a peu prin­ci­pale­ment négo­ciées de gré à gré. Elles appliquent égale­ment une approche net­te­ment plus avancée de mesure de l’impact des mis­sions des con­sul­tants, selon des grilles multicritères. 

Enfin, plusieurs grands groupes ont dévelop­pé leurs pro­pres organes de con­sul­tants internes et sont par­fois allés jusqu’à met­tre ces com­pé­tences sur le marché. L’ensemble de ces phénomènes exige de la part du con­seil d’offrir une valeur ajoutée et des apports dis­tinc­tifs tou­jours renouvelés. 

Autre évo­lu­tion notable sur le front de la demande, les pri­or­ités affichées par le lead­er­ship des entre­pris­es ten­dent à faire ressor­tir actuelle­ment quelques grandes thé­ma­tiques qui, pour cer­taines, sont totale­ment inédites et font sur­gir de nou­veaux besoins en matière de conseil. 


La trans­for­ma­tion numérique de l’entreprise et les prob­lé­ma­tiques con­nex­es de cyber­sécu­rité et de pro­tec­tion des don­nées font par­tie des pri­or­ités affichées par le lead­er­ship des entre­pris­es. © NMEDIA / FOTOLIA.COM

Par­mi elles fig­urent tout d’abord la trans­for­ma­tion numérique de l’entreprise et les prob­lé­ma­tiques con­nex­es de cyber­sécu­rité et de pro­tec­tion des don­nées. Vien­nent ensuite la cap­ture des oppor­tu­nités de crois­sance mon­di­ale liées aux grandes ten­dances macroé­conomiques, ain­si que le retour des fusions et acqui­si­tions trans­frontal­ières ; puis, le développe­ment d’organisations agiles, fondées sur une réal­lo­ca­tion dynamique des ressources. 

À ces sujets s’ajoutent enfin la prise en compte du risque géopoli­tique, la mon­tée en puis­sance des régu­la­teurs et l’impératif de con­for­mité ; ain­si que l’identification des attentes du con­som­ma­teur à l’horizon 2030 et la prise en compte des enjeux de long terme liée à la mul­ti­pli­ca­tion des par­ties prenantes. 

Fac­teur majeur de rup­ture, la trans­for­ma­tion numérique de l’économie est par ailleurs en train de rebat­tre les cartes du secteur du con­seil. Les cab­i­nets sont aujourd’hui tenus d’investir mas­sive­ment dans l’acquisition de don­nées per­ti­nentes, de se dot­er de capac­ités extrême­ment pointues en advanced ana­lyt­ics pour en extraire toute la valeur économique, d’adapter leur col­lab­o­ra­tion avec leurs clients vers un mode de tra­vail agile, et d’entrer sur des ter­ri­toires nou­veaux comme l’expérience util­isa­teur et le design sur prototype. 

En out­re, l’intelligence arti­fi­cielle rend dès aujourd’hui pos­si­ble l’automatisation de cer­tains mail­lons his­toriques de la chaîne de valeur du con­seil (en par­ti­c­uli­er les études de marché), tan­dis que le numérique per­met de met­tre en con­tact très facile­ment offre et demande de con­seil et favorise l’essor de con­sul­tants indépen­dants tra­vail­lant en réseaux. 

“ La transformation numérique de l’économie est en train de rebattre les cartes du secteur du conseil ”

Dès lors, le con­seil se trou­ve propul­sé dans une nou­velle dynamique d’innovation à un rythme accru, où la prime ira aux acteurs qui auront con­sen­ti de forts investisse­ments en R & D et qui auront su se dot­er des capac­ités tech­nologiques les plus avancées pour demeur­er un gise­ment de cap­i­tal intel­lectuel à forte valeur ajoutée pour leurs clients. 

Par­tant, les oppor­tu­nités d’évolutions s’élargissent pour tous les acteurs du con­seil et le paysage du secteur tend déjà à se redessin­er, inté­grant peu à peu les cab­i­nets issus de l’audit, les géants de la tech­nolo­gie, les fil­iales de con­sult­ing de grands indus­triels, de petites « bou­tiques » très spé­cial­isées et même des start-up ou des indépendants. 

DE NOUVEAUX IMPÉRATIFS POUR LE CONSEIL

Les attentes quant à l’apport des cab­i­nets évolu­ent au point de redéfinir jusqu’aux fonde­ments de notre métier : 

LE CONSEIL EN MANAGEMENT CLASSIQUE SE TRANSFORME

S’agissant des principaux acteurs historiques du conseil en management, leur activité prend de nouveaux contours et se diversifie amplement, au point qu’en moyenne la part de conseil en stratégie classique qui constituait encore 60 à 70 % de leur activité il y a trente ans ne représente plus que 20 % de leurs interventions, selon une étude universitaire menée par C. M. Christensen, D. Wang et D. Van Bever.

nous devons pass­er du rôle clas­sique de « con­seillers », à un rôle « d’acteurs de l’écosystème de nos clients », parte­naires à long terme de l’entreprise accom­pa­g­née dans la réal­i­sa­tion de sa trans­for­ma­tion, et impliqués plus directe­ment dans l’atteinte des résultats. 

Une mue doit alors s’opérer pour bas­culer d’un par­a­digme d’interventions ponctuelles en mode pro­jet (celui des mis­sions), vers un accom­pa­g­ne­ment plus con­tinu mêlant presta­tions intel­lectuelles et solu­tions. Une telle mod­erni­sa­tion du posi­tion­nement sup­pose de maîtris­er cinq impérat­ifs fondamentaux. 

UNE PALETTE D’EXPERTISES À LA FOIS PLUS LARGE ET PLUS POINTUE

Plus que jamais, la valeur du cap­i­tal humain demeure l’actif essen­tiel du con­seil, mais le spec­tre de ses exper­tis­es ne cesse de s’affiner pour con­serv­er toute sa pertinence. 

Ain­si, à la dizaine de pôles de com­pé­tences sec­to­riels pré­valant dans les années 1980 s’est ajoutée une dimen­sion matricielle avec des spé­cial­i­sa­tions fonc­tion­nelles, puis ces deux axes n’ont cessé de se sub­di­vis­er pour définir des domaines de com­pé­tences tou­jours plus pointus. 

« Nous devons passer du rôle classique de “conseillers” à un rôle “d’acteurs de l’écosystème de nos clients” »

Au point qu’un cab­i­net ayant voca­tion à servir tous les secteurs doit aujourd’hui jus­ti­fi­er d’une exper­tise incon­testée sur une palette d’au moins 200 domaines. 

Avec ce dou­ble effet de mul­ti­pli­ca­tion et d’approfondissement com­biné à une barre de l’excellence qui ne cesse de s’élever, ce sont sans con­teste l’ampleur des expéri­ences et la qual­ité de la recherche qui font la dif­férence au sein du conseil. 

DES MODÈLES D’INTERVENTION INNOVANTS

Il s’agit de pro­pos­er un ser­vice con­tinu de « stratégie en action ». Pour mieux répon­dre aux besoins des décideurs, le con­seil avait déjà con­nu une pre­mière grande évo­lu­tion dans les années 1990 afin de sécuris­er la réal­i­sa­tion des pro­jets, en dévelop­pant ses capac­ités en excel­lence opérationnelle. 

Aujourd’hui, il doit offrir un engage­ment per­ma­nent et plus opéra­tionnel encore aux côtés de l’entreprise, notam­ment à tra­vers des nou­veaux types de ser­vices en con­tinu ou des offres avec une forte com­posante tech­nologique : des solu­tions récur­rentes basées sur des logi­ciels (qui sont au fond une décli­nai­son sous forme de pro­duits du cap­i­tal intellectuel). 

Mais son offre doit pou­voir aller jusqu’à livr­er clés en main des activ­ités nou­velles à ses clients. C’est d’ailleurs dans cette optique que notre cab­i­net a dévelop­pé ses capac­ités à inter­venir selon un mod­èle dit « BOT » (build, oper­ate and trans­fer), en ver­tu duquel nous sommes amenés à pro­to­typer, puis à incu­ber et opér­er pen­dant un temps une nou­velle ligne de busi­ness, avant de la trans­fér­er à nos clients. 

UNE CAPACITÉ À COPRODUIRE LA TRANSFORMATION DE BOUT EN BOUT

Carte d'intelligence artificielle
L’intelligence arti­fi­cielle rend dès aujourd’hui pos­si­ble l’automatisation de cer­tains mail­lons his­toriques de la chaîne de valeur du con­seil. © JCWAIT / FOTOLIA.COM

Accéléra­tion du temps, com­plex­ité crois­sante des enjeux, muta­tion des envi­ron­nements, porosité de plus en plus forte entre secteurs, hyperconcurrence… 

Ces phénomènes génèrent des exi­gences nou­velles pour les con­sul­tants, aux­quels il revient de réelle­ment s’engager sur les résul­tats et de maîtris­er toutes les com­pé­tences sur un périmètre élar­gi, notam­ment sur « l’aval » du programme. 

Ce vaste domaine intè­gre ain­si l’accompagnement de la mise en œuvre sur le ter­rain et la tech­nolo­gie asso­ciée, ou encore des capac­ités très spé­ci­fiques comme le retourne­ment d’activités, la mod­éli­sa­tion et le pro­to­ty­page, voire le design. 

L’APTITUDE À FAIRE ÉVOLUER L’ORGANISATION, À L’ÉCHELLE MONDIALE ET DANS LA DURÉE

Pour les dirigeants de groupes mon­di­al­isés, la trans­for­ma­tion représente un défi majeur. Le con­seil doit être capa­ble de les aider à imprimer, en l’espace de quelques mois, des change­ments d’envergure à l’échelle d’effectifs pou­vant attein­dre 100 000 per­son­nes. Cela exige des con­sul­tants de savoir tra­vailler avec une égale effi­cac­ité avec toutes les strates de l’entreprise, de la salle du con­seil au terrain. 

Par ailleurs, être présent sur toutes les géo­gra­phies et dis­pos­er d’un véri­ta­ble mail­lage plané­taire con­stitue à l’évidence un avan­tage com­para­tif fon­da­men­tal pour un cabinet. 

Mais il est surtout cru­cial de dis­pos­er d’une maîtrise appro­fondie du trans­fert de com­pé­tences, demande pri­mor­diale de la part des clients, afin de per­me­t­tre aux divers éch­e­lons de s’approprier pleine­ment la trans­for­ma­tion, de pou­voir la pilot­er jusqu’à son terme et surtout de l’ancrer dans la durée. 

Réunion de conseil
Les con­sul­tants doivent savoir tra­vailler avec une égale effi­cac­ité avec toutes les strates de l’entreprise, de la salle du con­seil au terrain.
© ADAM GREGOR / FOTOLIA.COM

LE NOUVEAU CONSULTANT

Il doit apporter un accompagnement plus fort, extensif et pointu aux dirigeants d’entreprises, mais aussi une capacité à couvrir le champ complet qui s’étend de la conception des grandes orientations à leur déploiement opérationnel et à leurs répercussions in fine sur la qualité de l’expérience client.

L’ACCOMPAGNEMENT AFIN D’ÉLARGIR L’HORIZON DE L’ENTREPRISE

La crise de 2008 a accéléré la trans­for­ma­tion de la con­cep­tion de l’entreprise et de la valeur dont elle est por­teuse, avec un poids crois­sant de la dimen­sion socié­tale, si bien que les dirigeants intè­grent aujourd’hui dans leur champ de déci­sion des par­ties prenantes infin­i­ment plus nom­breuses et diver­si­fiées, allant du con­som­ma­teur, aux lead­ers d’opinion, en pas­sant par les régu­la­teurs. On passe ain­si de la share­hold­er val­ue à la stake­hold­er val­ue.

Dès lors, il importe de pou­voir aider les entre­pris­es à réin­ven­ter leur dia­logue avec l’ensemble de ces par­ties, ce qui sup­pose d’être en inter­ac­tions con­stantes avec ces types d’acteurs très divers pour pou­voir apporter aux clients des per­spec­tives nova­tri­ces et com­plètes sur toutes les dimen­sions du stake­hold­er man­age­ment, qui devient une com­posante fon­da­men­tale de la stratégie et de la posi­tion concurrentielle. 

Dans cette ère de réin­ven­tion pour le con­seil et son offre, l’obligation pour les acteurs que nous sommes con­siste au fond, afin de péren­nis­er notre per­ti­nence et notre dif­féren­ci­a­tion, à appli­quer la recom­man­da­tion que nous adres­sons à nos clients con­fron­tés à une sit­u­a­tion d’ultra-concurrence ou se situ­ant sur la « fron­tière tech­nologique » : organ­is­er et pilot­er sa pro­pre mutation.

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