Sept clés pour réussir les cent premiers jours d’un dirigeant

Dossier : L'entreprise en difficultéMagazine N°713 Mars 2016
Par Richard DELORME (76)

Il faut pren­dre le pouls de l’en­tre­prise, ras­sur­er, con­va­in­cre et motiv­er les salariés. lancer des actions des­tinées à relancer à court terme l’activité et les ventes, à réduire les coûts et en même temps se don­ner les moyens d’assurer la mise en œuvre effec­tive des actions décidées et obtenir les résul­tats annoncés.À ce stade, la stratégie à long terme n’est pas con­nue et vien­dra plus tard .

Dans une sit­u­a­tion de crise avérée, le nou­v­el arrivant con­cen­tre à la fois espoirs et craintes : espoirs qu’avec un œil neuf et une approche en rup­ture avec le man­age­ment précé­dent, il puisse redress­er la situation.

Mais aus­si, craintes et anx­iété, le change­ment de man­age­ment étant sou­vent révéla­teur des dif­fi­cultés et annon­ci­a­teur de restructurations.

“ Si vous ne connaissez pas le terrain, vous ne pourrez y mener vos
troupes ”

Alors que la sit­u­a­tion est dégradée et que la péren­nité de l’entreprise est éventuelle­ment en cause, il doit met­tre à prof­it cette péri­ode cri­tique des pre­mières semaines pour créer ou recréer la con­fi­ance et pour asseoir sa crédi­bil­ité en interne (man­age­ment, IRP, salariés) comme à l’égard de l’extérieur (clients, four­nisseurs, ban­quiers, actionnaires).

Mais il doit, con­comi­ta­m­ment, pren­dre les mesures de sauve­g­arde indis­pens­ables car, s’il ne le fait pas rapi­de­ment, il aura beau­coup de mal à redress­er la barre par la suite.

Les exem­ples et con­tre-exem­ples ne man­quent pas, que ce soit dans la sphère poli­tique ou en entreprise.

REPÈRES

Après avoir recueilli le témoignage de nombreux dirigeants et observé depuis plus de quinze ans des managers de crise en mission, Frédéric Marquette, associé d’EIM, a publié dans un ouvrage intitulé Cent jours pour réussir – Paroles de dirigeants1 cinquante recommandations qui font l’objet d’un clair consensus.
Sept points se dégagent et apparaissent à la fois comme essentiels et applicables à la plupart des prises de fonctions en situation de crise.

Comprendre où l’on met les pieds

L’une des erreurs fréquentes est de se ras­sur­er avec des solu­tions toutes faites qui ont réus­si ailleurs mais seront inadap­tées dans un nou­veau contexte.


Faire l’éponge.

Même si le temps est comp­té, pour pou­voir pren­dre les bonnes déci­sions, il faut pren­dre le pouls de l’entreprise. « Si vous ne con­nais­sez pas le ter­rain local, ses reliefs, ses forêts, ses dan­gers, vous ne pour­rez y men­er vos troupes » (Sun Tzu).

Il faut rapi­de­ment com­pren­dre la sit­u­a­tion, l’état réel de la tré­sorerie et les prévi­sions à court terme, les attentes des action­naires, des ban­quiers et des tiers : dis­cern­er leurs pri­or­ités réelles, leurs attentes, expliciter le non-dit en allant par­fois au-delà du discours.

Com­pren­dre aus­si les proces­sus et l’organisation , mais surtout les hommes.

Au-delà de l’organigramme, quelles sont l’importance et l’influence de cha­cun ? Sur qui peut-on compter ? Dans ces sit­u­a­tions, l’attitude et les qual­ités humaines sont aus­si impor­tantes que les compétences.

Agir, décider, garder le tempo

Cette prise d’informations doit être menée en quelques semaines et, par­fois, en quelques jours dans des sit­u­a­tions de grande urgence.

En effet, les pre­mières déci­sions doivent inter­venir rapi­de­ment, en tout état de cause, avant la fin du pre­mier mois. Pour cela, il est néces­saire de renon­cer à la per­spec­tive ras­sur­ante d’une com­préhen­sion exhaus­tive de la sit­u­a­tion, mais au con­traire aller à l’essentiel et faire con­fi­ance à son méti­er et à son intuition.

L’indécision est ici un péché capital.

C’est évidem­ment un exer­ci­ce par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile, mais indis­pens­able si l’entreprise doit être réor­gan­isée ou restruc­turée, compte tenu des délais des procé­dures d’information-consultation des IRP et des aléas inhérents à la mise en œuvre des PSE.

Viser des premières victoires rapides

Dans les sit­u­a­tions de crise, l’horizon de temps est claire­ment le court terme et les pre­mières actions ont pour objet la recherche de quick wins plutôt que de vis­er et d’annoncer des objec­tifs très ambitieux pour le long terme. Avant de penser à l’avenir, il faut sur­vivre et repren­dre la maîtrise de son destin.

La mesure détermine les comportements.
La mesure déter­mine les comportements.

Il est préférable d’engager un plan d’action pré­cis et jalon­né, per­me­t­tant d’atteindre rapi­de­ment des résul­tats con­crets, « son­nants et trébuchants », avec comme pri­or­ité les clients et les ventes, le BFR et la trésorerie.

Cela per­me­t­tra de focalis­er l’action des équipes, de don­ner un élan, de créer ou de recréer la con­fi­ance, que ce soit la con­fi­ance des équipes en elles-mêmes, des équipes en leur patron, la con­fi­ance des « com­man­di­taires » (le supérieur hiérar­chique, le groupe, ou les action­naires, suiv­ant le cas) ou celle des partenaires.

Il s’agit de mon­tr­er au fur et à mesure que le nou­veau patron fait ce qu’il avait dit, obtient des résul­tats et tient ses promesses.

Et, au sein de l’équipe, cha­cun doit aus­si savoir ce que l’on attend de lui et quelles sont ses priorités.

Il faut cepen­dant pren­dre garde : ce plan d’action à court terme n’est pas la stratégie. Il vise des pre­mières vic­toires utiles. La stratégie n’est pas con­nue à ce stade : il faut se don­ner plus de temps pour la définir.

Ce plan à court terme ne pré­tend pas non plus à l’exhaustivité. Il faut aller à l’essentiel, s’attacher aux « 80/20 », aux sujets en nom­bre lim­ité qui fer­ont l’essentiel des résultats.

Contrôler le plan de marche

“ Montrer que le nouveau patron fait ce qu’il avait dit ”

Définir les pri­or­ités à court terme, engager rapi­de­ment de pre­mières actions est impor­tant mais ne suf­fit pas. Il faut se don­ner les moyens d’assurer la mise en œuvre effec­tive des actions décidées et d’obtenir les résul­tats annoncés.

Le report­ing est, à ce titre, essen­tiel : la mesure déter­mine les com­porte­ments. Dotées d’un report­ing ajusté, partagé, les équipes ten­dront d’elles-mêmes vers les com­porte­ments souhaités, vers les objec­tifs définis.

Il faut donc rapi­de­ment met­tre en place quelques indi­ca­teurs per­ti­nents, en visant la sim­plic­ité et l’efficacité plus que la per­fec­tion, et instituer un con­trôle rap­proché, à la semaine, de l’avancement du plan d’action défini.

Différer les grands projets structurels

Des fourmis donnent l'exemple
Des évo­lu­tions mais pas de révolutions.

L’un des pièges fréquem­ment ren­con­trés est de vouloir dérouler un proces­sus logique con­sis­tant d’abord à définir ou à met­tre à jour la stratégie, puis à éval­uer son impact sur l’organisation, les hommes, les sys­tèmes d’information, etc., avant d’engager les équipes dans l’exécution des plans, le tout à grand ren­fort de consultants.

Les équipes se trou­vent alors mobil­isées dans la pré­pa­ra­tion d’un plan à trois ou cinq ans, dans la refonte com­plète du report­ing (il en faut un, mais sim­ple, et vite), dans la mise en place d’un nou­veau sys­tème infor­ma­tique, etc.

Ces grands pro­jets, qui tar­dent sou­vent à pro­duire des résul­tats, sont très con­som­ma­teurs d’énergie, détour­nent les équipes des affaires quo­ti­di­ennes et des pri­or­ités immé­di­ates. Ils sont donc préju­di­cia­bles aux résul­tats con­crets immé­di­ats et engen­drent sou­vent beau­coup de frus­tra­tion et de découragement.

À ce stade, la stratégie à long terme n’est pas con­nue et, en sit­u­a­tion de crise, la pri­or­ité est aux actions des­tinées à relancer à court terme l’activité et les ventes, à réduire les coûts et à maîtris­er le BFR, à sécuris­er la sit­u­a­tion financière.

Ces actions pro­cureront le temps néces­saire pour con­duire, dans une deux­ième étape, un plan de trans­for­ma­tion au ser­vice d’une stratégie dont la réflex­ion aura pu être menée à son terme et pour des objec­tifs bien définis.

Éviter les grands shows

Atten­tion aux grands-mess­es, aux dis­cours lyriques : les grandes incan­ta­tions et appels aux valeurs ne sont plus audi­bles aujourd’hui.

De même, arriv­er en sauveur et abuser de la notion d’héritage se retourn­era sou­vent con­tre celui qui use de ces arti­fices. Point n’est ques­tion de grand show médi­a­tique ni d’effets de manches.

Communiquer avec simplicité et cohérence

Au com­mence­ment était le verbe. La com­mu­ni­ca­tion est un des actes essen­tiels du leader, qui accom­pa­gne et sous-tend l’action. Expli­quer, déléguer, entraîn­er, motiv­er, féliciter : finale­ment, tout passe par des mots.

“ La communication doit être permanente et ne se délègue pas ”

La com­mu­ni­ca­tion doit donc être per­ma­nente, tout au long des cent jours. Et elle ne se délègue pas. Le patron doit incar­n­er le change­ment qu’il propose.

La com­mu­ni­ca­tion effi­cace doit être sim­ple, con­crète, proche du ter­rain. Quelques images ou mesures sym­bol­iques pour­ront ren­forcer le discours.

LES RÈGLES DU JEU COLLECTIF

Un patron est un guide. Comme un chef d’orchestre, il donne à son équipe le la et le tempo, fixe les priorités, organise le travail.
Mais il est aussi l’initiateur et le garant des règles du jeu collectif. Il est donc à la fois, l’entraîneur (le « coach ») et l’arbitre. Cette aptitude du dirigeant a été démontrée comme étant l’une des caractéristiques des organisations « surperformantes ».
D’autre part, l’autorité est une des rares choses qui s’usent si l’on ne s’en sert pas.
Pour donner quelques exemples : les réunions commencent à l’heure, les engagements sont tenus, les délais respectés, on joue collectif, on arrive avec des solutions et pas uniquement avec des problèmes, l’erreur est admise mais la transparence est non négociable, bad news first, etc.

La bonne com­mu­ni­ca­tion passe avant tout par la cohérence : cohérence entre les dis­cours et les actes, entre la com­mu­ni­ca­tion interne et externe, entre les injonc­tions et l’exemple donné.

N’annoncer que ce qui pour­ra être tenu, sinon se taire.

Des règles à retenir

Ce ne sont que quelques règles par­mi les cinquante pro­posées dans Cent jours pour réus­sir – Paroles de dirigeants. Bien sûr, il ne s’agit pas de recettes de suc­cès toutes faites. L’expérience et la per­son­nal­ité du nou­veau respon­s­able, son adéqua­tion à ses nou­velles fonc­tions sont décisives.

Essen­tielles dans les con­textes de redresse­ment, ces règles s’appliquent très large­ment à toute prise de fonctions.

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1. Aux édi­tions Leduc, col­lec­tion « Alisio ».

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