Les vignobles Henri MAIRE 1632

Une aventure avant tout humaine

Dossier : L'entreprise en difficultéMagazine N°713 Mars 2016
Par François-Xavier HENRY (91)

Une autre suc­cess sto­ry de retourne­ment. Quels sont les moti­va­tions d’un tel acteur pour lequel il serait plus sim­ple de gér­er une société “nor­male” ? Pour la patrie, les sci­ences (humaines) et la gloire et pour relever un défi auquel per­son­ne ne croit plus. Cela revient à établir un véri­ta­ble con­trat de con­fi­ance avec le per­son­nel en place.

Le méti­er du retourne­ment est struc­turé autour d’investisseurs- acteurs du retourne­ment (fonds de retourne­ment) et de cab­i­nets de presta­tion pour le compte d’investisseurs qui, eux, ne pren­nent pas opéra­tionnelle­ment part au retournement.

Pour ces acteurs, la ques­tion du « pourquoi un tel pro­jet » ne se pose même pas : c’est leur méti­er, leur fonds de commerce.

D’un projet à l’autre

Mais le méti­er est aus­si con­sti­tué d’acteurs indi­vidu­els, qui ont pour seule mar­que com­mer­ciale leur nom et leur track record.

Lorsqu’un retourne­ment est ter­miné, ils par­tent sur un autre dossier au gré des ren­con­tres, avec un statut juridique per­son­nel var­ié et évo­lu­tif ; bref, ce sont des « mer­ce­naires du retournement ».

Pourquoi inve­stir son temps, son énergie et par­fois son argent dans des pro­jets aus­si com­plex­es et risqués, plutôt que de gér­er une société « normale » ?

REPÈRES

Une défaillance d’entreprise laisse généralement une part de marché disponible.
De nombreux prétendants s’empressent de se positionner pour la prendre : concurrents directs ou indirects ou nouveaux acteurs qui apporteront des changements et permettent ainsi à notre civilisation de faire son évolution. D’un point de vue macroéconomique, cela peut paraître sain.
Mais, il ne faut pas oublier qu’une entreprise est avant tout une équipe humaine.

Trois motivations fortes

Pour la patrie, les sci­ences (humaines) et la gloire : trois moti­va­tions pour faire du retourne­ment son méti­er. Relever un défi extra­or­di­naire auquel per­son­ne ne croit plus. Com­bi­en sou­vent les entre­pris­es que nous ren­con­trons sont pris­es dans des bour­biers indescriptibles ?

Sauver une mar­que non leader présente unique­ment en grande dis­tri­b­u­tion à l’heure où celle-ci lance ses pro­pres mar­ques, sauver une entre­prise dis­tribuant ses pro­duits en porte-à-porte : ces sit­u­a­tions d’une grande dif­fi­culté sont autant de défis à relever.

Reconstruire avec ceux qui ont bâti

Le deux­ième aspect, cer­taine­ment le plus enrichissant, est de s’engager dans une aven­ture humaine forte, celle de recon­stru­ire un édi­fice qui s’est écroulé après avoir con­nu ses heures de gloire.

À CHACUN SON MÉTIER

Mon dernier projet de retournement concernait une entreprise vitivinicole de première importance, premier propriétaire de sa région viticole.
Dans un métier qui, certes, correspondait à une de mes passions, mais dans lequel je n’avais pas les compétences techniques, les choses ont été dites clairement dès le début :
« Vous savez faire votre métier de production du vin, je vous fais confiance bien que la confiance n’empêche pas le contrôle. Je fais mon métier de retournement, faites-moi confiance et je vous donnerai même les moyens de voir où on en est. »

Recon­stru­ire avec des per­son­nes qui l’ont bâti grâce à un vrai savoir-faire qu’il faut com­pren­dre et respecter, des com­pagnons qui vous voient arriv­er comme un extrater­restre parce que vous leur dites que vous allez réécrire avec eux en quelques mois l’histoire qu’ils ont mis des années à écrire.

Et vous y arriverez car vous savez com­ment écrire, et eux ont l’expérience qui vous don­nera les mots pour ces pages d’écriture à venir. Dès le diag­nos­tic, vous les impli­querez car ils ont vécu l’échec et auront for­cé­ment des élé­ments d’analyse.

Patrimoine économique

Troisième moti­va­tion : sauver une mar­que, un savoir-faire, une entre­prise parce qu’ils font par­tie de notre pat­ri­moine. Quitte à ce que l’entreprise change fon­da­men­tale­ment de métier.

Il est nor­mal qu’une entre­prise évolue et cette évo­lu­tion peut par­fois être rapi­de voire rad­i­cale. La peur de l’évolution, et notam­ment d’une évo­lu­tion forte, est sou­vent un des freins au change­ment qu’il faut lever rapi­de­ment et de manière très transparente.

Contrat de confiance

Pour que le pro­jet de retourne­ment soit une aven­ture réussie, il faut établir un véri­ta­ble « con­trat de con­fi­ance » avec ceux qui vous seront com­plé­men­taires : vous apportez le savoir-faire de retourne­ment, c’est-à-dire la méthodolo­gie, la vitesse, les ressources, le dis­cerne­ment ; eux appor­tent le savoir-faire métier.

TENIR FACE AU MAUVAIS TEMPS

Aux yeux des salariés, le manager du retournement est le dernier recours pour l’entreprise avant une éventuelle liquidation.
Cela lui confère un devoir complémentaire de loyauté envers les salariés : rester jusqu’au bout quoi qu’il advienne (tout au moins tant qu’il a la confiance des actionnaires).
Cela est valable pour tous les membres de la direction, qui doivent se positionner individuellement : « Je crois au projet et je m’engage à rester jusqu’au bout », ou alors : « Je n’y crois pas et je laisse ma place dès le début. »

Tout d’abord, il faut qu’une base de con­fi­ance s’établisse ; il faut donc don­ner à tous les acteurs les moyens de com­pren­dre où on en est. Si toute vérité n’est pas bonne à dire, le partage de la vérité reste un out­il de moti­va­tion majeur.

Car on ne peut deman­der aux salariés de s’engager avec abné­ga­tion sans, en retour, leur dire où en est l’entreprise.

Informer le personnel régulièrement

Sans dévoil­er cer­tains élé­ments stratégiques que vous ne partagerez qu’avec les action­naires, vous devez com­mu­ni­quer en toute trans­parence sur l’avancement du plan de retourne­ment, via des points trimestriels avec vos salariés par exem­ple, ou encore la pub­li­ca­tion de petits indi­ca­teurs facile­ment com­préhen­si­bles à un rythme au moins mensuel.

Toute­fois, ces grands-mess­es ne doivent pas être l’objet de dif­fu­sion de chiffres dans tous les sens : l’entreprise, à cette phase de sa vie, est gérée plus par pro­jets que par objec­tifs chiffrés.

Un contrat bilatéral

En tout état de cause, l’établissement de ce con­trat de con­fi­ance est dif­fi­cile : là se trou­ve une des com­pé­tences majeures req­ui­s­es pour men­er à bon terme un retourne­ment. Le con­trat ini­tial est uni­latéral : même si, dans cer­tains cas, les salariés ont émis un avis (favor­able ou non) sur votre arrivée, ils ne vous ont pas choisi. Il faut donc trans­former un con­trat uni­latéral subi en con­trat bilatéral.

Il ne s’agit pas de faire suc­comber vos salariés au syn­drome de Stock­holm, mais d’apporter une réelle moti­va­tion pour qu’ils don­nent le meilleur d’eux-mêmes au prof­it de la société, à un moment où eux-mêmes et la société sont en échec.


La société Hen­ri Maire a engagé un retourne­ment global.

CINQ ANS POUR SAUVER LES DOMAINES HENRI MAIRE

La société Henri Maire, plus grand propriétaire du Jura avec 300 hectares, rachetés à la famille du fondateur en 2010 par le fonds de retournement Verdoso Industries, a dû engager un retournement sur tous les fronts :
restructuration et relance de la force de vente, plan d’arrachage et replantation de plus de 50 hectares de vignes, nouvelles méthodes de culture, investissement de remise à niveau dans le chai pour la cuverie et la futaille, ainsi que dans l’outil de mise en bouteille.
Après deux opérations de croissance externe réalisées en 2013 en rachetant des négociants basés à Nuits-Saint-Georges, la majorité a été cédée début 2015 au groupe Boisset, un des acteurs majeurs français du vin.

Un engagement moral de toutes les parties

La moti­va­tion des salariés est évidem­ment pri­mor­diale pour per­me­t­tre le retourne­ment. Pour men­er les acteurs du pro­jet de la posi­tion actuelle à la posi­tion cible, on peut les con­train­dre en les pous­sant vers la posi­tion cible, ou bien les y attir­er en leur don­nant envie d’y aller, et même d’y aller vite. L’une des méth­odes est évidem­ment plus effi­cace que l’autre.

Plus ils seront motivés, plus ils avanceront vite. C’est là le rôle prin­ci­pal du meneur du pro­jet de con­duite du change­ment, et c’est là la prin­ci­pale com­pé­tence qui est req­uise de lui.

Ambition et réalisme

Il faut alors définir pour chaque acteur de l’entreprise des objec­tifs réal­istes mais ambitieux, de manière à attein­dre l’objectif de retourne­ment. Vous devrez évidem­ment réus­sir à faire que cha­cun adhère au pro­jet en com­mençant par vos sub­or­don­nés directs, c’est-à-dire générale­ment le comité de direc­tion, avec la dou­ble dif­fi­culté de les faire adhér­er tout en leur fix­ant à eux aus­si des objec­tifs ambitieux.

Et en tirant les con­séquences qui s’imposent dès lors que l’un d’eux n’adhère pas. L’engagement majeur des salariés à vos côtés con­siste à fournir le meilleur d’eux-mêmes pour tenir leurs objectifs.

Faire bien avec peu

Dans une société en retourne­ment, les moyens sont générale­ment lim­ités en ressources matérielles, humaines ou finan­cières, et l’enjeu tem­porel est majeur.

La solu­tion qu’on essaie de met­tre en œuvre est impar­faite ; elle est juste économique­ment équili­brée et donc meilleure que celle qui exis­tait au début du retournement.

L’objectif est de « faire bien avec peu ». L’apprentissage de l’échec et son accep­ta­tion sont notam­ment impor­tants. Chaque man­ag­er doit tenir compte de cette lim­i­ta­tion de moyens dans l’évaluation de la per­for­mance de son équipe afin de ne pas brid­er l’engagement des salariés qui se bat­tent pour sauver l’entreprise.

Tout cela influ­ence le lien social avec les salariés et requiert une péd­a­gogie adap­tée de tous les man­agers de l’entreprise.

Primauté de la dimension humaine

Le retourne­ment con­tient, au-delà des savoir-faire tech­niques, une dimen­sion humaine majeure qui revêt plusieurs aspects.

Pour celui qui s’engage dans un tel pro­jet, il s’agit d’un véri­ta­ble choix de vie pro­fes­sion­nel très impli­quant, notam­ment dans la rela­tion humaine qui se crée entre le man­ag­er (par­fois action­naire) et les salariés, mais aus­si par la sim­ple accep­ta­tion du man­dat don­né par les actionnaires.

Out­re les enjeux économiques pour les investis­seurs, le retourne­ment est une aven­ture humaine.

Poster un commentaire