Terreal, fabricant de matériaux en terre cuite

La reprise d’entreprises par les banques se développe

Dossier : L'entreprise en difficultéMagazine N°713 Mars 2016
Par Nicolas MOUTÉ (94)

Le sau­ve­tage d’une entre­prise peut se faire par une inter­ven­tion des créan­ciers qui trans­forment leur dette en capi­tal. Mais cela implique de suivre la socié­té reprise. Une socié­té en dif­fi­cul­té a besoin d’un action­naire actif.
Les banques, long­temps réti­centes à ce type de solu­tion, sont de plus en plus ame­nées à les envi­sa­ger. Cela a été le cas pour de nom­breux LBO au busi­ness plan opti­miste qui n’ont pas résis­té à la crise de 2009.

Dans la pra­tique, la prise de contrôle par les créan­ciers est envi­sa­gée lorsque le prin­ci­pal sou­ci d’une entre­prise est d’ordre finan­cier : un bilan deve­nu inadap­té avec un endet­te­ment trop lourd et un action­naire ne vou­lant ou ne pou­vant pas y remédier.

Bien que cette situa­tion ne soit jamais indé­pen­dante de dif­fi­cul­tés opé­ra­tion­nelles, les enjeux du retour­ne­ment sont alors spécifiques.

REPÈRES

La reprise d’une entreprise en difficulté par ses créanciers est une situation encore peu fréquente en France, mais la donne a significativement changé et le rythme s’est accéléré.
La fin de l’année 2014 a notamment vu une restructuration record dans laquelle le groupe Vivarte (2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires) a été repris par ses créanciers, en échange d’une réduction de 2 milliards d’euros de sa dette et de l’apport de 500 millions d’euros de liquidités.

Des LBO fragilisés

Les der­nières années ont vu une aug­men­ta­tion de ce nombre de situa­tions, liées en par­ti­cu­lier à des opé­ra­tions de LBO (leve­ra­ged buyout, ou acqui­si­tion avec effet de levier).

“ Au premier ralentissement d’activité, le montant de la dette devient insoutenable ”

Cette pra­tique, née aux États-Unis dans les années 1970, voit un fonds d’investissement rache­ter une entre­prise avec un fort recours à l’endettement – sou­vent plus de 50 % et par­fois jusqu’à 80 % du prix.

En France, un grand nombre de ces tran­sac­tions ont été réa­li­sées depuis les années 2000.

Dès lors, au pre­mier ralen­tis­se­ment d’activité, le mon­tant de la dette, cali­bré au plus juste lors de l’acquisition sur la base d’un busi­ness plan opti­miste, devient insou­te­nable pour la société.

Un grand nombre de socié­tés en LBO ont fait face à cette situa­tion depuis la crise de 2009 et, de plus en plus sou­vent, ont vu une prise de contrôle par leurs créan­ciers : Auto­dis­tri­bu­tion, SGD, CPI, RLD, Saur, Frans Bon­homme, Ter­real, Winoa, Vivarte, Alma Consul­ting, etc.


De plus en plus de socié­tés en LBO, comme Ter­real, spé­cia­liste des maté­riaux de construc­tion en terre cuite, ont vu une prise de contrôle par leurs créanciers.
© AGENCE WELLCOM / TERREAL

Abandonner des créances ou recapitaliser

En pre­mier lieu, lorsqu’il est néces­saire de reca­pi­ta­li­ser la socié­té et de restruc­tu­rer son bilan, les action­naires sont cen­sés appor­ter de l’argent frais, en échange de conces­sions de la part des créan­ciers (rééche­lon­ne­ment de la dette, aban­don d’une par­tie de la dette res­tante, etc.).

Mais que faire si l’actionnaire refuse ou n’est pas en mesure de le faire, ce qui est jus­te­ment le cas de cer­tains LBO ?

Quelle que soit la rai­son de la « défaillance » de l’actionnaire, les prê­teurs peuvent envi­sa­ger la conver­sion d’une par­tie de leur dette en capi­tal, le plus sou­vent asso­ciée à une prise de contrôle de la société.

Bien que ce soit l’esprit qui pré­vaut lors des mon­tages LBO (les ban­quiers prennent moult sûre­tés sur les actions des socié­tés concer­nées), ce type de tran­sac­tion a his­to­ri­que­ment été moins cou­rant en France qu’ailleurs en Europe.

Les banques sem­blaient jusqu’à pré­sent pré­fé­rer des aban­dons de créances, sou­vent lourds, afin d’aider un action­naire (his­to­rique ou nou­veau) à reca­pi­ta­li­ser la socié­té à leur place.

Des réticences historiques

Pour­quoi cet arbi­trage par­fois sur­pre­nant ? Au-delà de la spé­ci­fi­ci­té des situa­tions, les rai­sons dépendent des pra­tiques ou des spé­ci­fi­ci­tés de tel ou tel éta­blis­se­ment de cré­dit. La réti­cence des banques est d’abord psy­cho­lo­gique : ce n’est pas une démarche ano­dine, et géné­ra­le­ment pas de « pre­mière intention ».

“ Beaucoup de banques ne souhaitent pas être associées à la gestion de ces situations ”

De fait, lors des pre­mières dif­fi­cul­tés, c’est plu­tôt un rééche­lon­ne­ment de la dette qui est favo­ri­sé (amend & extend). D’autre part, en matière de droit des faillites, le cadre fran­çais a long­temps été consi­dé­ré comme favo­rable aux action­naires, au détri­ment des créan­ciers. C’est de moins en moins le cas.

La troi­sième réti­cence touche à la dimen­sion « réputation/ poli­tique » : les dos­siers d’entreprises en dif­fi­cul­té sont tou­jours com­plexes et sou­vent visibles. Ils peuvent notam­ment s’accompagner de plans sociaux.

Beau­coup d’établissements ban­caires ne sou­haitent pas être asso­ciés à la ges­tion de ces situa­tions. S’y ajoutent les risques juri­diques : ges­tion de fait, sou­tien abu­sif, coem­ploi, etc. Autant d’enjeux qui, à tort ou à rai­son, inquiètent cer­tains créanciers.

Des problèmes comptables, humains et financiers

La conver­sion d’une dette en capi­tal a des effets néga­tifs sur le bilan des banques. De plus, si une banque se retrouve action­naire majo­ri­taire, se posent des pro­blé­ma­tiques de conso­li­da­tion de la socié­té au sein des comptes de la banque.

De façon plus ou moins consciente, cer­tains ban­quiers ne veulent pas maté­ria­li­ser des pertes sur leurs créances. Ajou­tons que peu de prê­teurs dis­posent d’équipes dimen­sion­nées pour suivre, en tant qu’actionnaire de contrôle, une socié­té en difficulté.

Au-delà du ren­for­ce­ment du bilan, il faut le plus sou­vent appor­ter des liqui­di­tés (new money) pour finan­cer, par exemple, un plan de restruc­tu­ra­tion opé­ra­tion­nelle ou de relance de l’activité.

Les syn­di­cats ban­caires sont très dis­per­sés. Dans de nom­breux cas, ils ne sont pas consti­tués d’un ou deux créan­ciers, mais peuvent comp­ter des dizaines de prê­teurs, aux hori­zons et aux enjeux très divers. Il est alors dif­fi­cile au syn­di­cat des prê­teurs, en l’absence d’un chef de file natu­rel, de se struc­tu­rer de façon forte.

Un contexte en forte évolution

Pour autant, beau­coup de ces pro­blèmes ont évo­lué, au point que, en France, les prê­teurs sont main­te­nant de plus en plus à même, le cas échéant, de prendre en main la des­ti­née de l’entreprise.

Récem­ment, par exemple, le prin­ci­pal prê­teur obli­ga­taire de Cour­te­paille, le fonds ICG, en a pris « brus­que­ment » le contrôle, au détri­ment de son action­naire pré­cé­dent, le fonds Fon­da­tions Capital.

Cet exemple reste par­ti­cu­lier par sa rapi­di­té, en rai­son d’une struc­ture juri­dique spé­ci­fique. Néan­moins, des chan­ge­ments de fond ont eu lieu.

Des procédures préventives plus efficaces

PORTAGE ACTIONNARIAL

Une innovation a été tentée récemment sur certains dossiers et l’avenir indiquera s’il s’agit d’une exception ou d’une solution pérenne : la mise en gestion de la société par les banques auprès d’une société de gestion spécialisée (« portage actionnarial »).
Cette dernière devient actionnaire de la société, et lui apporte le soutien actif nécessaire à sa relance.
Mais un accord avec les créanciers leur permet de récupérer tout ou partie de leur exposition lors de la vente de la société.

Le contexte juri­dique du droit des faillites a signi­fi­ca­ti­ve­ment évo­lué. Une inno­va­tion impor­tante est venue de la créa­tion de la pro­cé­dure de sau­ve­garde (intro­duite il y a dix ans), sui­vie d’évolutions suc­ces­sives (par exemple l’introduction de la sau­ve­garde finan­cière accé­lé­rée en 2010, puis de la sau­ve­garde accé­lé­rée en 2014).

De façon géné­rale, les textes ont faci­li­té le recours aux pro­cé­dures pré­ven­tives (man­dat ad hoc et conci­lia­tion), celles-ci per­met­tant d’éviter la sur­ve­nance de l’état de ces­sa­tion des paie­ments à par­tir duquel le trai­te­ment des dif­fi­cul­tés devient plus lourd et plus com­plexe. Elles ont aus­si mis l’accent sur la faci­li­ta­tion de solu­tions entre créan­ciers et actionnaires.

Et la ten­dance conti­nue, comme en témoigne l’article 238 de la loi Macron de 2015, qui donne le droit au tri­bu­nal sai­si d’une pro­cé­dure de redres­se­ment judi­ciaire d’ordonner une aug­men­ta­tion de capi­tal ou une ces­sion de leurs parts par les action­naires oppo­sés au plan de redressement.

Une dis­po­si­tion très sym­bo­lique, puisqu’elle touche au droit de pro­prié­té. Ain­si, le droit fran­çais des faillites n’est plus le prin­ci­pal frein à une éven­tuelle évic­tion par les créan­ciers d’actionnaires his­to­riques défaillants.

Une évolution des esprits

D’autres freins, tels que les consé­quences comp­tables ou de répu­ta­tion, ain­si que le besoin d’apporter de nou­velles liqui­di­tés à la socié­té, s’effacent len­te­ment mais sûre­ment. Les cas pra­tiques de prise de contrôle par les créan­ciers ouvrent la voie et per­mettent de trou­ver des solu­tions – ou font tout sim­ple­ment évo­luer les esprits.

Le fait que la plu­part des dos­siers de conver­sion de dette en capi­tal aient été menés par des fonds d’investissement spé­cia­li­sés ayant rache­té de la dette sur le mar­ché secon­daire, à un prix très déco­té, plu­tôt que par les banques d’origine, illustre aus­si qu’un frein pro­vient d’une cer­taine fri­lo­si­té des acteurs historiques.

Enfin, l’effort asso­cié à une prise de contrôle par les créan­ciers paraît d’autant plus faible que le coût de l’inaction s’est révé­lé impor­tant sur de nom­breux dossiers.

Assurer le suivi de la société reprise

S’il semble que la prise de contrôle par les créan­ciers soit aujourd’hui une piste concrè­te­ment ouverte en France, les banques com­mencent tout juste à abor­der la ques­tion sui­vante, à savoir le sui­vi même de la socié­té ain­si reprise.

Une prise de contrôle par les créan­ciers n’est pas un gage auto­ma­tique de suc­cès, comme le montre la restruc­tu­ra­tion de l’imprimeur CPI, dont les banques ont pris le contrôle en 2009, pour fina­le­ment essuyer la perte de la majeure par­tie de leur expo­si­tion en 2013 lors d’une nou­velle restruc­tu­ra­tion – alors même que la socié­té se porte de façon satisfaisante.

“Une société en difficulté a besoin d’un actionnaire actif”

Une socié­té en dif­fi­cul­té a besoin d’un action­naire actif qui lui apporte le sou­tien néces­saire à son suc­cès. Ce constat est d’autant plus vrai pour une PME dont les équipes de direc­tion, même les plus com­pé­tentes, peuvent vite se retrou­ver débor­dées par la mul­ti­pli­ci­té des enjeux.

Ce besoin d’un acti­visme fort, asso­cié à une grande flexi­bi­li­té et à une capa­ci­té finan­cière, est rare­ment com­pa­tible avec le mode de gou­ver­nance des banques.

Dans la plu­part des cas pas­sés, ces der­nières ont pré­fé­ré prendre au plus vite leurs dis­tances avec la socié­té et en confier la gou­ver­nance à un conseil de sur­veillance consti­tué d’administrateurs indé­pen­dants, certes com­pé­tents mais fina­le­ment sans pou­voir de déci­sion fort – sauf lorsque, par­mi les prê­teurs, un fonds d’investissement spé­cia­li­sé s’était entre-temps invi­té à la table et en avait pro­fi­té pour prendre les rênes de l’entreprise, par exemple Oak­tree pour SGD (fla­con­nage verre), ICG pour Via Loca­tion (loca­tion de camions et véhi­cules uti­li­taires), KKR pour Winoa (trai­te­ment du métal).

La prise de contrôle d’une socié­té est un enjeu impor­tant pour les créan­ciers dans les années à venir. Mal­gré les pro­grès d’ores et déjà réa­li­sés, les méca­nismes de conver­sion de la dette en capi­tal et l’efficacité du sui­vi et du sou­tien de l’entreprise à relan­cer impliquent des défis qui res­tent à résoudre.

Cet enjeu est d’autant plus impor­tant que les condi­tions de cré­dit actuel­le­ment favo­rables, notam­ment pour les mon­tages LBO, ouvrent la porte à tou­jours plus de situa­tions de ce type.

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