Auguste DETOEUF (X1902)

Le redressement par le management avec Auguste DETŒUF

Dossier : L'entreprise en difficultéMagazine N°713 Mars 2016
Par Serge DELWASSE (X86)

Et voilà Auguste Detœuf qui revient tou­jours avec son bon sens :
“S’il est rel­a­tive­ment aisé de rem­plac­er le dirigeant d’une grande entre­prise par un fonc­tion­naire, le petit patron ne peut être rem­placé que par un patron.”
“La dif­fi­culté est que, si l’on ne garde pas le droit de se sépar­er des paresseux, des mau­vais­es têtes, des gens trop mal­adroits, il n’y a plus ni autorité ni pro­duc­tion possibles..”
Il porte même des juge­ments sur les cour­riels et les ERP

Redress­er, c’est d’abord com­bat­tre « quelques lois générales décou­vertes en écoutant par­ler les industriels » :


Auguste Detoeuf.


« Arti­cle pre­mier. – Chaque indus­trie est la plus dif­fi­cile de toutes.
« Art. II. – Toute mod­i­fi­ca­tion apportée à une machine per­met de réalis­er une économie de 10 %.
« Art. III. – On ne fera rien jusqu’après les élections.
« Art. IV. – Il ne faut jamais oubli­er de prévoir l’imprévu.
« Art. V. – Le con­cur­rent ne se rend jamais compte de ses prix de revient.
« Art. VI. – Le four­nisseur n’est pas consciencieux.
« Art. VII. – Le client se croit tout permis. »

Deux problèmes endémiques

En réal­ité, une entre­prise qui va mal a sou­vent deux prob­lèmes endémiques.

Un prob­lème de man­age­ment : « Com­man­der ce n’est pas faire exé­cuter […] les ordres, c’est se faire obéir parce que, dans le fond de leur cœur, vos sub­or­don­nés recon­nais­sent que vous faites bien votre méti­er de chef. Une grande par­tie du désor­dre vient de ce qu’effectivement il n’y a plus de chefs. Il y a des déposi­taires de l’autorité. »

Et un prob­lème de qual­ité : « Il n’est d’industrie durable que celle qui vend de la bonne qualité. »

REPÈRES

L’industriel français « travaille énormément. Comme il paie peu ses collaborateurs, ceux-ci sont médiocres. Mais ça ne lui déplaît pas. Il déteste les collaborateurs éminents.
Aussi est-il obligé de faire le travail de ses subordonnés et n’a‑t-il pas le temps de faire le sien. […] « L’avenir, c’est pour lui le jour lumineux où il se retirera des affaires et donnera sa succession à l’un de ses fils.
À la vérité, il succombera à la tâche, parce que ses fils sont insuffisants et parce que, au fond, il ne croira jamais qu’un autre, quel qu’il soit, puisse faire aussi bien que lui. »

Le courage et la franchise

Pren­dre ses respon­s­abil­ités : « Le plus grand courage, ce n’est pas le courage mil­i­taire qui a l’opinion pour lui : c’est le courage civique, celui qui ose aller con­tre elle. »

“ Il n’est d’industrie durable que celle qui vend de la bonne qualité ”

Ne pas compter sur les sub­ven­tions : « Aide-toi, l’État ne t’aidera pas. » Ni sur les poli­tiques : « Poli­tique. Le cauchemar de l’industrie ; le rêve de l’industriel. »

Repren­dre en main : « S’il est rel­a­tive­ment aisé de rem­plac­er le dirigeant d’une grande entre­prise par un fonc­tion­naire, le petit patron ne peut être rem­placé que par un patron. »

Déléguer, tout en se sou­venant « qu’un inférieur n’est jamais tout à fait franc, tout à fait sincère avec celui dont dépend sa situation ».

Sus­citer l’adhésion, en par­ti­c­uli­er en tra­vail­lant avec les instances représen­ta­tives du per­son­nel et les syn­di­cats : « Un salarié accepte de bon cœur de tra­vailler pour un autre s’il con­state d’abord que cet homme tra­vaille plus que lui, ensuite qu’il fait des choses que lui ne ferait pas, […] ensuite [s’il] recon­naît que le chef est juste ; enfin, si le salarié con­state que le patron n’est pas seule­ment guidé par l’intérêt étroit du max­i­mum de béné­fice immé­di­at, mais qu’il agit pour que sa mai­son, cap­i­tal et tra­vail, prospère. »

Le patron « n’essaie pas d’éliminer de préférence le syn­di­cal­iste – même s’il est com­mu­niste. Il fait son méti­er, et, s’il le fait bien, il aura ses ouvri­ers pour lui ; […] ce n’est pas avec la ruse – et j’appelle ruse le mau­vais pré­texte pour licenci­er quelqu’un – qu’on crée une équipe. C’est avec la fran­chise, et la clarté. »

L’honnêteté

« Faire, sans faire savoir, ce n’est rien. L’industriel doit veiller aux cri­tiques, se cor­riger si elles sont justes, les redress­er si elles sont fausses. »

« Il faut être très riche pour se per­me­t­tre d’être hon­nête. Il faut être très riche pour se per­me­t­tre de man­quer d’honnêteté. »

« L’honnêteté est rarement une mar­que d’intelligence, mais c’est tou­jours une preuve de bon sens. »

« Que la con­fi­ance s’étiole, la crise cou­ve ; qu’elle gran­disse, l’argent cir­cule, l’industrie s’anime, le ren­de­ment de l’ouvrier s’accroît, les rela­tions com­mer­ciales devi­en­nent faciles et rapi­des, on gagne du temps et la col­lec­tiv­ité s’enrichit. »

« Seuls des hommes très courageux ou très irréfléchis dis­ent tou­jours ce qu’ils pensent. » Bref, soyez courageux : « En affaires, men­tir n’est jamais néces­saire, est rarement utile, est tou­jours dangereux. »

Recruter

Recruter sem­ble dif­fi­cile et risqué.

“ Ce n’est pas au pied du mur qu’on connaît le maçon c’est tout en haut ”

Ne pas hésiter à embauch­er, même si on n’est pas sûr : « Engagez […] pour une péri­ode d’essai : ce n’est pas au pied du mur qu’on con­naît le maçon ; c’est tout en haut. »

Ne pas hésiter à licenci­er si c’est néces­saire : « Si la pre­mière ini­tia­tive d’un col­lab­o­ra­teur est mal­heureuse, félicitez-le d’avoir osé ; si la sec­onde l’est aus­si, invitez- le à réfléchir avant d’agir ; mais si la troisième ini­tia­tive l’est encore, prenez vous-même celle de lui ôter son poste. »

« La dif­fi­culté est que, si l’on ne garde pas le droit de se sépar­er des paresseux, des mau­vais­es têtes, des gens trop mal­adroits, il n’y a plus ni autorité ni pro­duc­tion possibles. »

La parci­monie reste néces­saire : « [Le] rôle du patron […] ce n’est pas de garder des gens à ne rien faire, c’est de faire tout ce qu’il peut, de mon­tr­er qu’il fait tout ce qu’il peut pour éviter les licen­ciements autres que ceux qui con­stituent de véri­ta­bles sanctions.

Pren­dre des com­man­des, même sans béné­fice, pour ali­menter l’atelier. »

Apprenez à tra­vailler avec le Code du tra­vail et non con­tre lui : « Il y a, Dieu mer­ci, dans la jurispru­dence, assez d’arrêts con­tra­dic­toires, pour fournir des moyens d’action à qui est habile, tra­vailleur et d’esprit droit. »

Le livre : Propos de OL Barenton confiseur de Aguste Detoeuf

UN HOMME SEUL

Le patron d’une firme en difficulté est un homme seul. Seul, il a tendance à s’isoler. Il faut au contraire s’entourer, et s’entourer de bons : « Qui craint d’avoir des collaborateurs éminents n’est pas un Chef. »
En particulier, les SAS, de nos jours, permettent de s’affranchir du formalisme lourd de la SA à conseil d’administration. S’affranchir du formalisme, oui, de la valeur ajoutée, non. « […] le travail des Conseils ne se fait pas en réunion.
Le Conseil, c’est le groupe d’amis expérimentés et agissants qui écartent les décisions hâtives, préparent les voies à la négociation difficile, […] constituent l’élément essentiel de l’entraide et de la solidarité économique. »

La finance et la comptabilité

Le prof­it n’est que la con­séquence d’une entre­prise bien gérée : « Être dés­in­téressé, ce n’est pas mépris­er l’argent, c’est avoir pour mobile essen­tiel le désir d’accomplir une tâche d’intérêt com­mun. Si ce désir est dom­i­nant, l’ordre existe ; sinon le désor­dre naît. »

Man­agez au cash. Tirez sur les four­nisseurs : « Paiement comp­tant. Paiement dont le retard n’excède pas deux mois. »

“ Savoir économiser, mais savoir dépenser ”

Abusez de la force que vous donne votre sit­u­a­tion dif­fi­cile : « Il y a des gens dont la puis­sance est faite de tout l’argent qu’ils ont prêté. Il y en a d’autres dont toute la force est dans l’argent qu’ils doivent. »

Stoppez tous les investisse­ments dont le retour est inférieur à six mois pour faire men­tir l’adage qu’« un cap­i­tal investi ne se rend jamais ».

Ne man­agez pas au compte de résul­tat ou au bilan : « Com­bi­en de financiers jugent une affaire indus­trielle sur son bilan ?
– Regardez ce bilan, dis­ait-on à M. Bar­en­ton, et dites-moi si l’affaire est bonne.
– Je vois, répon­dit-il, beau­coup de ren­seigne­ments sur les dimen­sions du navire, mais il faudrait un ban­quier pour en déduire l’âge du capitaine. »

« Un bilan est inéluctable­ment faux. » Il est indis­pens­able que vous ayez votre pro­pre bilan, où chaque poste est réé­val­ué à sa valeur de marché. C’est celui qui vous per­me­t­tra de réc­on­cili­er tré­sorerie et compte de résultat.

N’hésitez pas à reparamétr­er, voire chang­er, l’ERP (ou PGI, progi­ciel de ges­tion inté­grée) après avoir remis à plat la compt­abil­ité ana­ly­tique qui n’est prob­a­ble­ment pas adap­tée à vos enjeux.

Surtout, ne déléguez pas les choix de paramé­trage : « Le seul homme à qui on demande de l’initiative dans la compt­abil­ité, c’est celui qui est chargé de l’organiser. Et peut-être vaut-il mieux que ce ne soit pas un comptable. »

La production

L’objectif est bien enten­du de remon­ter le niveau de sat­is­fac­tion des clients :

“ La bonne humeur, c’est le soleil qui fait mûrir l’idée ”

« Essayez d’enfoncer dans la tête de vos ingénieurs cette idée : quand un client se plaint, il y a qua­tre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour qu’il ait rai­son. Et si un jour vous par­venez à les con­va­in­cre, il y aura qua­tre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que les clients ne se plaig­nent plus. »

Com­mencer par ranger l’usine : « On tra­vaille mal dans une usine où l’on ne voit pas clair, et, pour qu’on y voie clair, il faut un bon éclairage et une bonne compt­abil­ité » (sachant que vous avez traité la compt­abil­ité au point précédent).

Pour des raisons mys­térieuses, en effet, une usine rangée est plus pro­duc­tive qu’une usine mal rangée ; de manière générale, on y gagne de l’efficacité.

S’appuyer sur la maîtrise en par­ti­c­uli­er, et, plus générale­ment, sur les anciens qui con­nais­sent toutes les ficelles du méti­er : « Le per­son­nage essen­tiel d’une indus­trie, c’est le con­tremaître. Il faut cinq ans pour faire un ouvri­er ; dix ans pour faire un ingénieur ; vingt ans pour faire un contremaître. »

Les achats

Le levi­er est puis­sant. Autant on ne redresse pas une entre­prise unique­ment en réduisant les coûts, autant baiss­er ses coûts d’achat per­met de baiss­er ses prix de vente et, sans dégrad­er sa marge, de repren­dre pied chez les clients.

Portrait d’Auguste Detœuf par Roger Wild.
Por­trait d’Auguste Detœuf par Roger Wild.

C’est prob­a­ble­ment là où vos col­lab­o­ra­teurs seront les moins bons. L’acheteur « est un homme aimé, et qui se sait aimé. Les four­nisseurs l’adorent, et le lui mon­trent bien […]. Il est libre d’indiquer à un vis­i­teur le prix qu’il a lu sur une offre de con­cur­rent, libre d’égarer cette offre, libre de plac­er en tête du dossier la propo­si­tion qu’il juge favorable.

Il n’est pas mal­hon­nête : il ne voudrait pas pour un empire ni même pour un pour­boire, com­met­tre une indélicatesse.

Mais il est libre. Et quel plus noble usage faire de sa liber­té, que de ren­dre ser­vice à ses amis ? » Il fau­dra donc vous y met­tre, en atten­dant de trou­ver un acheteur digne de ce nom.

Atten­tion néan­moins, acheter mieux veut par­fois dire accepter de dépenser : « Il n’y a pas d’un côté les recettes et de l’autre les dépens­es. Il y a d’un côté les recettes et les dépens­es utiles, et de l’autre les dépens­es inutiles. Savoir économiser, mais savoir dépenser. »

Par exem­ple, il faut être généreux sur les frais com­mer­ci­aux : « En affaires comme ailleurs, entre deux solu­tions qui parais­sent indif­férentes, c’est le sen­ti­ment qui décide. Le déje­uner d’affaires est utile, à cause de la rela­tion qui unit les sen­ti­ments et l’estomac. »

Et sur les frais de déplace­ment : « Les économies de voy­age sont de mau­vais­es économies. »

Le commerce

« On appelle bon vendeur un homme qui est cer­tain que ce qu’il vend est de la meilleure qual­ité, quoi qu’il vende. »

Vous n’êtes pas un vendeur-né ? Vous com­prenez main­tenant pourquoi il fal­lait tra­vailler la qual­ité des pro­duits. « La sym­pa­thie du client pour le vendeur vient de ce que le vendeur est sym­pa­thique. » Le plus sim­ple ? Aimez vos clients, ils vous aimeront à leur tour.

Le management

Créez de la valeur par le man­age­ment. Met­tez du bon sens : « Bon sens et logique : un chef. Bon sens sans logique : un employé. Logique sans bon sens : une cat­a­stro­phe. De là, l’échec de beau­coup de polytechniciens. »

De la sim­plic­ité : « Évitez que votre per­son­nel ne passe son temps à ren­dre compte des choses qu’il aurait pu faire, s’il n’avait pas été obligé de ren­dre compte. »

De l’humain : le cour­riel n’est pas un out­il de man­age­ment. « Si une dis­cus­sion est entamée par cor­re­spon­dance, la ques­tion doit être réglée du pre­mier coup. Si elle ne l’est pas, prenez le train, vous y gagnerez. »

De l’urgence : « Lorsque plusieurs ques­tions urgentes se présen­tent à la fois, choi­sis­sez la plus embê­tante : c’est cer­taine­ment la plus pressée. »

Du plaisir : « Ayez de la bonne humeur. L’idée, c’est la semence : le tra­vail la fait lever ; mais la bonne humeur, c’est le soleil qui la fait mûrir. »

POUR ALLER PLUS LOIN

Wikipedia
Philippe Oblin (46),
La Jaune et la Rouge n° 505, mai 1995
Auguste Detoeuf, Propos de O.L. Barenton, confiseur, Les Éditions d’organisation, 1986.
Pages retrouvées, Éditions du Tambourinaire, 1955.

Voire un brin de folie : « Il n’est pas dif­fi­cile dans une indus­trie de faire le néces­saire ; mais c’est en faisant le super­flu qu’on gagne de l’argent. Traitez les hommes comme des machines, ils ren­dent le néces­saire ; traitez- les comme des hommes, peut-être en obtien­drez-vous le superflu. »

Mais surtout, soyez un chef. Le chef est là pour régler les prob­lèmes, pas pour être chef : « Il y a le chef à qui on n’annonce que les bonnes nou­velles, et le chef à qui on n’apporte guère que les embête­ments : le sec­ond est un homme heureux. »

Exit le « je ne veux pas de prob­lèmes, je ne veux que des solutions » .

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