Usine ALTEO à Gardanne

Le carve-out : réussir la transformation

Dossier : L'entreprise en difficultéMagazine N°713 Mars 2016
Par Antonin MARCUS (05)

Un carve-out cor­res­pond à la ces­sion de tout ou par­tie d’une acti­vi­té, en prin­cipe non stra­té­gique, par un groupe. L’objectif est donc de res­tau­rer une valeur éco­no­mique durable pour la par­tie cédée. Cela se pré­pare très en amont, avec l’adhésion des diri­geants et des employés, et doit s’inscrire dans une vision glo­bale des nou­veaux actionnaires.

Les ces­sions sont moti­vées par une mul­ti­tude de fac­teurs. Elles prennent dif­fé­rentes formes, de l’introduction en Bourse à la ces­sion à un concur­rent. Elles concernent aus­si bien des filiales auto­nomes et ren­tables que des agglo­mé­ra­tions de branches d’activités non stratégiques.

“ Pour une équipe dirigeante, vendre est un signe de maturité ”

En cas de situa­tions opé­ra­tion­nelles et finan­cières déli­cates, ces enti­tés peuvent aus­si être cédées à des inves­tis­seurs experts de ces situa­tions, sou­vent des fonds d’investissement ayant l’expertise adéquate.

Ce der­nier cas est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant : la prise d’autonomie impose à l’entité détou­rée de se réin­ven­ter, de manière indé­pen­dante, avec un nou­veau par­te­naire de réfé­rence. À la clé, le plus sou­vent, une régé­né­ra­tion de l’outil indus­triel et une évo­lu­tion du modèle d’affaires, pour per­mettre d’écrire une nou­velle page de l’histoire de l’entité.

Le cas d’Alteo vien­dra illus­trer par les faits que le carve-out est avant tout une trans­for­ma­tion qui se pré­pare en amont et qui se gère méti­cu­leu­se­ment tant tech­ni­que­ment qu’humainement.

REPÈRES

Depuis plusieurs années, près de la moitié des opérations de fusion- acquisition résultent d’une décision par certains grands groupes de céder une partie de leurs activités.
Les récents exemples tels que la cession de Bostik par Total en 2014, rachetée par Arkema – elle-même dans le giron du groupe pétrolier jusqu’à son introduction en Bourse en 2006 –, font même de la France un pays extrêmement actif en termes de cessions d’activités par des grandes entreprises.

Le désinvestissement a de l’avenir

Vendre, pour cer­tains, c’est un peu mou­rir. C’est une déci­sion lourde que de se sépa­rer d’une par­tie de soi qui implique le départ de com­pé­tences spé­ci­fiques ou la sor­tie de cer­taines zones géographiques.

Néan­moins, se désen­ga­ger d’activités non stra­té­giques per­met aus­si de trou­ver les moyens de sa renais­sance, en se concen­trant sur les acti­vi­tés qui feront la force du groupe à terme. C’est en quelque sorte l’application au niveau microé­co­no­mique de la théo­rie de la spé­cia­li­sa­tion des éco­no­mies de Ricardo.

Pour autant, il ne s’agit pas d’opérations de pur arbi­trage finan­cier. Chaque groupe doit aujourd’hui mettre en place une réflexion stra­té­gique pour iden­ti­fier les acti­vi­tés qui pro­duisent l’avantage rela­tif le plus impor­tant et celles dont le désa­van­tage rela­tif est le plus lourd de consé­quences. Pour une équipe diri­geante, vendre est donc le signe qu’un seuil de matu­ri­té a été franchi.

L’autocritique sert ici de rampe de lan­ce­ment pour se renou­ve­ler et finan­cer sa stra­té­gie de recen­trage ou de redéploiement.

Un passage parfois obligé

“ Imaginez transformer votre salon en un appartement autonome ”

Mais des ces­sions se font sou­vent sous la contrainte. Vendre est alors le pas­sage obli­gé pour ren­for­cer son indé­pen­dance ou assu­rer sa survie.

C’est le cas de groupes for­te­ment endet­tés, ou ne pou­vant affron­ter tous les obs­tacles en même temps, et qui uti­li­se­ront par exemple les liqui­di­tés déga­gées pour assai­nir leur bilan.

D’autres ces­sions ne sont que la consé­quence d’autres opé­ra­tions capi­ta­lis­tiques : la fusion en cours entre les géants du ciment Lafarge et Hol­cim par exemple. Les deux groupes estiment à plu­sieurs mil­liards d’euros le total des reve­nus des acti­vi­tés à céder, et les jus­ti­fient aus­si bien par des rai­sons de dou­blons géo­gra­phiques que pour anti­ci­per les demandes éven­tuelles des auto­ri­tés de concurrence.

DIFFÉRENTS TYPES DE CESSION

Pour concevoir un carve-out, la première chose est de définir le périmètre de l’entité à céder. Ensuite, il est important d’arrêter l’objectif principal du cédant : ce peut être la maximisation aussi bien de la valeur de l’entité cédée que de la probabilité de bonne réalisation de l’opération.
Il est donc primordial de comprendre les différents cadres de sortie et de choisir le bon, selon la finalité de l’opération.
La scission (par exemple via une introduction en Bourse) a en commun avec la cession une certaine prise de distance de la société vendeuse avec l’entité désinvestie. L’actionnariat demeure souvent le même et reçoit alors des titres de la nouvelle société.
La cession à un concurrent, également assez classique, permet au repreneur de consolider sa position sur le marché et au vendeur d’optimiser la valeur de l’opération.
Enfin, la cession à un investisseur expert (fonds d’investissement ayant le savoir-faire requis) a habituellement pour objectif de donner une pleine autonomie à la société et de permettre au nouvel actionnaire de référence de l’accompagner dans sa transformation.
Ces situations présentent de nombreuses complexités mais aussi de multiples possibilités de développement.

Des prérequis

Ima­gi­nez trans­for­mer votre salon en un appar­te­ment auto­nome. Il faut défi­nir l’espace, lui don­ner une exis­tence juri­dique, vali­der le pro­jet avec ses occu­pants, réflé­chir à la façon d’organiser son fonc­tion­ne­ment dif­fé­rem­ment et de manière auto­nome, sans gêner les voi­sins à venir et actuels, etc.

Il s’agit de faire des tra­vaux de trans­for­ma­tion pos­si­ble­ment lourds, tout en garan­tis­sant le mini­mum de gêne pour les habitants.

L’image s’arrête là, tant les pro­blèmes posés par une opé­ra­tion de carve-out sont autre­ment plus com­plexes compte tenu des inté­rêts opé­ra­tion­nels, humains et éco­no­miques à l’œuvre, sans comp­ter l’immixtion de nom­breux acteurs (syn­di­cats, clients, four­nis­seurs, admi­nis­tra­tion, etc.).


L’usine de Gar­danne, le prin­ci­pal site indus­triel d’Alteo, vit une nou­velle aven­ture sous l’égide de HIG Capital
depuis la reprise de la socié­té auprès de Rio Tin­to Alcan.

Se préparer en amont

Un carve-out est la trans­for­ma­tion par excel­lence pour l’activité cédée. La tran­si­tion vers une situa­tion auto­nome néces­site de tra­vailler avec toutes les par­ties pre­nantes (ven­deur, repre­neur, diri­geants, employés) avec effi­ca­ci­té et dans le res­pect de la culture de l’entreprise.

“ L’objectif est de restaurer une valeur économique durable ”

Ven­deur comme acqué­reur doivent pré­pa­rer la reprise en amont de manière très pré­cise non sans anti­ci­per les obs­tacles inhé­rents à ce type d’opération. Il est pri­mor­dial, par exemple, que l’outil infor­ma­tique, la remon­tée des chiffres, la livrai­son des clients ou encore les res­sources humaines puissent fonc­tion­ner cor­rec­te­ment une fois le « cor­don ombi­li­cal » coupé.

L’acquéreur doit ain­si s’assurer de la bonne conti­nui­té des opé­ra­tions de l’entité reprise et limi­ter autant que pos­sible le reten­tis­se­ment de la sépa­ra­tion sur la socié­té, ses employés et leur moti­va­tion, tout en main­te­nant de bonnes rela­tions avec les clients et fournisseurs.

Pour le ven­deur, il ne s’agit pas seule­ment de réa­li­ser une opé­ra­tion lucra­tive, mais aus­si de choi­sir le bon repre­neur pour l’entité cédée. Il doit vali­der que le repre­neur a la capa­ci­té finan­cière et le savoir-faire néces­saires pour assu­rer la péren­ni­té de l’activité de l’entité après l’opération.

Les consé­quences en termes de répu­ta­tion sont du reste un élé­ment impor­tant pris en compte par les grands groupes dans ces situations.

Restaurer la valeur

L’EXEMPLE D’ALTEO

En 2012, HIG Capital a acquis l’activité d’alumine de spécialité de Rio Tinto Alcan basée à Gardanne, et renommée Alteo. Cette activité (300 millions d’euros de chiffre d’affaires) était historiquement dans le giron de Pechiney.
HIG Capital a travaillé étroitement avec l’équipe dirigeante et les employés pour accompagner Alteo dans sa sortie du géant minier et dans son nouveau projet de développement, avec pour objectif l’indépendance, la croissance et la pérennité de la nouvelle société.
Les équipes ont été complétées et le remplacement de chaque service jusqu’alors géré par Rio Tinto Alcan, minutieusement préparé. La culture de la société a été maintenue (le savoir-faire des employés reste souvent l’atout essentiel d’une entreprise et doit être remis sur le devant de la scène lorsque le modèle d’affaires évolue).
Le client a été remis au centre de l’équation (une dizaine de bureaux commerciaux ont été ouverts à l’international), ce qui avait été progressivement perdu au fil des changements d’actionnaires.
Le positionnement a été revu à travers un effort important sur les produits de spécialité, impliquant un changement d’approche fort par rapport à l’ancien actionnaire.
Le fonctionnement industriel a été revu pour redynamiser la performance ; des parties du processus industriel historiquement sous-traitées ont été réintégrées afin de retrouver un savoir-faire propre et d’entièrement maîtriser les produits.
Aujourd’hui, Alteo est une société à part entière qui envisage son avenir avec beaucoup d’ambition. La prudence doit toujours rester de mise, car aucune entreprise n’est à l’abri de risques, qu’ils soient exogènes ou endogènes.
Pour autant, l’exemple d’Alteo permet de mettre en exergue, dans un cas pratique, une approche pragmatique d’un carve-out et de la transformation associée, où l’objectif reste de retrouver une valeur économique durable.

Compte tenu de la com­plexi­té de ces opé­ra­tions de carve-out et de la diver­si­té des sujets à trai­ter en même temps, et par­fois dans l’urgence, il est natu­rel de faire appel à des res­sources externes (conseils spé­cia­li­sés, diri­geants de tran­si­tion avec expé­rience de situa­tions similaires).

Dans le cas d’un rachat par un fonds d’investissement, il est aus­si impor­tant que le repre­neur ait une véri­table expé­rience dans ce type d’opération.

Rien ne doit être lais­sé au hasard : les deux sujets clés sont d’abord la mise en place pré­cise, com­plète et coor­don­née de la tran­si­tion avec le ven­deur, et ensuite celle du plan de chan­ge­ment stra­té­gique, orga­ni­sa­tion­nel ou opé­ra­tion­nel (ou l’ensemble de ces aspects). L’objectif est de res­tau­rer une valeur éco­no­mique durable.

Ce qu’il faut savoir

La varié­té et la com­plexi­té des situa­tions néces­sitent un tra­vail rigou­reux d’analyse tant en amont qu’en aval. Il s’agit d’abord d’appréhender de manière pré­cise les contraintes opé­ra­tion­nelles de sépa­ra­tion de l’entité (ser­vices par­ta­gés avec le groupe par exemple) ain­si que les pro­blèmes intrin­sèques à l’activité qui vont devoir être traités.

Ensuite, il est pri­mor­dial de pré­voir un plan com­plet afin que, dès le pre­mier jour, la nou­velle socié­té puisse opé­rer cor­rec­te­ment et s’attacher à sa trans­for­ma­tion (par exemple, inter­na­li­sa­tion de com­pé­tences his­to­ri­que­ment per­dues, amé­lio­ra­tion de la per­for­mance opé­ra­tion­nelle, hausse de la qua­li­té des ser­vices aux clients, recru­te­ments addi­tion­nels adé­quats, etc.).

Enfin, la rela­tion de confiance entre ven­deur, repre­neur et diri­geants et employés de l’entité reprise est d’une impor­tance extrême. La dimen­sion humaine est un fac­teur essen­tiel, tout comme la téna­ci­té et la capa­ci­té d’adaptation à des situa­tions com­pli­quées, nou­velles et variées.

Reprendre une acti­vi­té basée en France, avec un ven­deur dont les centres de déci­sions sont mul­tiples et inter­na­tio­naux, exige une capa­ci­té de syn­thèse et de convic­tion importante.

Fina­le­ment, il faut être en mesure d’apporter un nou­veau souffle et de sus­ci­ter l’adhésion, source du chan­ge­ment et de la transformation.

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