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Pour un Paris Europlace des paiements

Dossier : Les moyens de paiementMagazine N°724 Avril 2017
Par Hervé SITRUK

Le Brex­it va entraîn­er une restruc­tura­tion des activ­ités finan­cières en Europe. Si la France aura du mal à s’im­pos­er comme place finan­cière, elle peut pren­dre une place de leader dans le domaine des moyens de paiement où elle a déjà de nom­breux atouts. 

Dans le domaine financier, Lon­dres a pris le temps de faire jouer l’article 50, certes pour se pré­par­er à la négo­ci­a­tion et prof­iter du cal­en­dri­er élec­toral con­ti­nen­tal, voire bri­tan­nique, mais aus­si, in pet­to, pour per­me­t­tre à la Bourse de Lon­dres de pren­dre ses dis­po­si­tions et finalis­er notam­ment son accord avec celle de Franc­fort, sans y associ­er Paris. 

“ L’industrie des paiements français est la première d’Europe par ses volumes, sa qualité, sa sécurité et ses acteurs ”

Pour le marché, ce serait le « Glob­al Britain », et pour le passe­port européen, qui deviendrait let­tre morte, « on inter­vien­dra en Europe comme partout dans le monde, tout sim­ple­ment, en appli­ca­tion des règles locales », comme le dit la presse anglaise. 

L’accord avec Franc­fort offrirait alors un point d’appui con­ti­nen­tal sérieux pour le futur. Dans la redis­tri­b­u­tion des cartes qui ne peut que s’ensuivre, Paris a certes des atouts non nég­lige­ables, que le gou­verne­ment tente de ren­forcer par des mesures d’attractivité et le « guichet unique », mais la place finan­cière de Paris ne peut seule, sans une alliance avec les autres places finan­cières européennes, con­cur­rencer ce scé­nario conçu dans son dos. 

Les autres scé­nar­ios de repli évo­qués ici ou là, Brux­elles, Dublin, Lux­em­bourg, Ams­ter­dam voire même New York ne sont que de faibles alter­na­tives, devant Franc­fort, déjà forte de la BCE et d’Eurex, qui appa­raî­tra rapi­de­ment comme la cap­i­tale européenne des « gros montants ». 

REPÈRES

Le Brexit constitue une mauvaise nouvelle pour l’Europe, qui perd, contre son gré, un bastion de sa stratégie économique et financière, même si le Royaume-Uni avait déjà opté pour la non-participation à l’Union monétaire.
Le scénario du « Hard Brexit » s’oriente vers une rupture définitive, malgré les aménagements de circonstance.

VALORISER LES ATOUTS DE PARIS

Mais Paris pour­rait faire jouer une autre carte tout aus­si sérieuse : son indus­trie des paiements, qui est de loin la pre­mière d’Europe à la fois par ses vol­umes, sa qual­ité, sa sécu­rité et ses acteurs. La démon­stra­tion en a été faite à de nom­breuses reprises. 

Cette indus­trie mul­ti­forme s’appuie à la fois sur ses ban­ques et sociétés finan­cières, qui restent par­mi les pre­mières du con­ti­nent dans la banque de détail, mais aus­si sur ses organ­ismes inter­ban­caires (dont STET, sa société de clear­ing, qui est la pre­mière d’Europe par ses vol­umes et traite égale­ment le clear­ing belge), son indus­trie des ser­vices numériques déjà forte­ment présente en Europe et qui peut favoris­er les rap­proche­ments européens indis­pens­ables, ses experts et cab­i­nets de con­seil en ce domaine et ses indus­triels des com­posants élec­tron­iques et de la sécu­rité, voire sur ses opéra­teurs téléphoniques. 

“ Accélérer la réforme du système de paiement français pour faire apparaître son dynamisme dans l’innovation ”

Sans oubli­er ses fin­techs qui dévelop­pent en France plus de 40 % de leurs pro­jets dans le domaine des paiements. En com­bi­nant ses atouts de place finan­cière et de prin­ci­pale place des paiements en Europe, Paris pour­rait con­stituer un pôle d’attractivité majeur en Europe, pour des entre­pris­es basées à Lon­dres et qui rechercheraient un havre con­ti­nen­tal pour leurs activ­ités européennes. 

L’ensemble des acteurs inter­na­tionaux et européens des paiements et du clear­ing, dans un espace SEPA à dynamiser, pour­raient être d’autres béné­fi­ci­aires des atouts parisiens. Mais, cela sup­pose qu’il y ait la même mobil­i­sa­tion en France pour cet objec­tif dans les paiements que, sem­ble-t-il, pour la place finan­cière. Plusieurs actions sont à envisager. 

REGROUPER LES INDUSTRIELS DES PAIEMENTS

Tout d’abord, on doit procéder à une mobil­i­sa­tion et une fédéra­tion des acteurs du paiement et des trans­ac­tions élec­tron­iques sécurisées autour d’une stratégie indus­trielle, dans une alliance de places du type de Paris Euro­place des paiements, une sorte de « France Paytech Services ». 

Cette alliance stratégique devra d’abord ori­en­ter son action vers la pro­mo­tion de sa capac­ité d’accueil et de ses ser­vices, de ses acteurs et de ses solutions. 

Plusieurs ten­ta­tives ont déjà eu lieu et une car­togra­phie a été établie par Finance Inno­va­tion, mais il manque un organe clé fédéra­teur, pour con­duire une poli­tique indus­trielle com­mune. Une pre­mière ten­ta­tive de regroupe­ment des indus­triels des paiements est engagée. 

RÉFORMER ET UNIFIER LE SYSTÈME FRANÇAIS DE PAIEMENT

Il devient néces­saire d’accélérer la réforme du sys­tème de paiement français, pour finalis­er son dis­posi­tif – déjà bien en place –, en aban­don­nant les par­tic­u­lar­ismes français et en s’ouvrant à l’Europe, pour faire appa­raître son dynamisme dans l’innovation.

Cela passe par la con­sol­i­da­tion de ses organes inter­ban­caires et la pour­suite de leur ouver­ture au plan européen. À terme, cela sig­ni­fie l’abandon du chèque, mais en pro­posant des mesures alter­na­tives sérieuses pour les PME. 


Le déploiement du paiement par mobile intè­gre le paiement carte dig­i­tal­isé via les porte­feuilles élec­tron­iques (wal­lets).
© GEORGEJMCLITTLE / FOTOLIA.COM

La France doit aus­si con­tin­uer l’intégration raison­née de la nou­velle logique européenne des paiements instan­ta­nés, à la fois dans les flux (vire­ment et prélève­ment) et surtout dans les trans­ac­tions par carte, en général­isant le sin­gle mes­sage déjà présent dans plusieurs pays européens voisins. Sans oubli­er le déploiement du paiement par mobile qui intè­gre le paiement carte dig­i­tal­isé via les porte­feuilles élec­tron­iques (wal­lets), mais aus­si les solu­tions des GAFAP (Google, Ama­zon, Face­book, Apple et Pay­Pal). Ces évo­lu­tions aboutiront à la général­i­sa­tion du temps réel dans les banques. 

La réforme du sys­tème français per­me­t­tra égale­ment d’intégrer les inno­va­tions dans les chaînes des paiements, entre autres au moyen de parte­nar­i­ats entre les fin­techs, les ban­ques et les entre­pris­es, notam­ment via les organ­ismes inter­ban­caires et Finance Inno­va­tion, et de ren­forcer la sécu­rité et la con­fi­den­tial­ité des sites de paiement con­tre la cyber­crim­i­nal­ité (par la pro­mo­tion d’un niveau 2 de l’authentification forte)… 

Après presque une année de travaux, suite à l’adoption de la stratégie nationale lors des assis­es en octo­bre 2015, les réflex­ions en cours au sein du Comité nation­al des paiements scrip­turaux (CNPS) tar­dent, sem­ble-t-il, à com­pléter cette stratégie et à la traduire par quelques mesures fortes, com­plé­men­taires certes, mais indis­pens­ables pour l’attractivité de la place. 

S’OUVRIR À L’EUROPE ET À L’INTERNATIONAL

La France doit ouvrir son marché aux acteurs inter­na­tionaux ou européens instal­lés à Lon­dres, et qui s’interrogent sur leur base de repli. Cela est vrai dans le domaine des cartes où après l’absorption de Visa EU par Visa Inc., la ques­tion du point d’appui con­ti­nen­tal va se poser. 

C’est aus­si vrai dans le domaine de la com­pen­sa­tion, où le main­tien à Lon­dres de la com­pen­sa­tion en euros des opéra­tions sur titres européens pour­rait sem­bler incon­gru. Idem pour tous les GAFAP et autres BATX (Baidu, Aliba­ba, Ten­cent et Xiao­mi) chi­nois qui doivent aus­si avoir le sen­ti­ment que la France n’est pas un nou­veau vil­lage gaulois qui résis­terait à l’envahisseur inter­na­tion­al, mais un point d’appui pour le marché français et européen. 

Enfin, le développe­ment des rela­tions com­mer­ciales et indus­trielles avec les autres places européennes, comme Ams­ter­dam, Brux­elles, Madrid et Rome, devient un impératif, comme l’ont par­tielle­ment engagé l’opérateur de com­pen­sa­tion STET et le Groupe­ment des cartes ban­caires CB. 

Ajoutez à cela l’ouverture des ban­ques français­es aux paiements au-delà des fron­tières, dans les pays voisins (comme cer­taines l’ont engagé), en s’appuyant sur les derniers stan­dards européens, et Paris retir­era sa force de sa posi­tion en Europe, com­plé­men­taire de son lead­er­ship naturel et recon­nu dans le paiement et la banque de détail. 

Theresa May

MÉFIONS-NOUS D’ALBION…
ET DE SON PREMIER MINISTRE, DANS LES PAIEMENTS

S’il est un sujet que le Premier ministre britannique, Madame Theresa May, connaît bien, outre les questions européennes, c’est celui des moyens de paiement.
Car avant d’être élue députée, elle a été de 1985 à 1997 Conseillère aux affaires européennes et internationales pour l’APACS (Association for payment clearing services), l’organisation faîtière qui supervisait les systèmes de paiement britanniques (à laquelle a succédé, en 2009, une nouvelle organisation, l’UKPA pour UK Payments Administration).

ÉTABLIR UNE STRATÉGIE EUROPÉENNE DE COMMUNICATION

Enfin, il appa­raît indis­pens­able de dévelop­per un lob­by­ing européen, y com­pris auprès des instances européennes, en ne cachant pas les atouts de la France dans notre poche, mais en les pro­mou­vant comme autant de points forts, recon­nus au plan inter­na­tion­al. L’exemple le plus cri­ant est celui de la carte bancaire. 

Que n’entend-on du rejet de la carte ban­caire au plan européen, notam­ment à l’ERPB ou à la Com­mis­sion européenne, au moment même où les États-Unis ont engagé (depuis deux ans et avec le faible suc­cès que l’on sait) leur migra­tion à la carte à puce et que l’Asie a déjà fait le tiers du chemin. 

“ Il n’y aura pas de logique industrielle sérieuse sans coopération forte entre banques et fintechs ”

N’est-ce pas la preuve, vingt-cinq ans après, de la per­ti­nence du choix des ban­ques français­es dans les années 1990 ? 

Que n’entend-on du rejet de la carte plas­tique au prof­it du vire­ment instan­ta­né et du dig­i­tal (non incom­pat­i­bles d’ailleurs et qu’il faut cer­taine­ment pro­mou­voir con­join­te­ment) alors que les États-Unis et l’Asie, pour­tant enclins à favoris­er le dig­i­tal et le temps réel, con­tin­u­ent à inve­stir dans cette tech­nolo­gie pour garan­tir la sécu­rité des transactions ? 

Alors que ce qui compte dans la carte, ce n’est pas le plas­tique, mais la garantie ban­caire et la sécu­rité, rai­son pour laque­lle les GAFA, et tout dernière­ment Pay­Pal, ont égale­ment choisi de s’associer aux sys­tèmes cartes (et donc aux ban­ques) pour pro­mou­voir leurs solutions. 

Alors que la carte représente près de 50 % des opéra­tions de paiement en France et qu’il faudrait relancer l’Europe de la carte (plas­tique et dig­i­tale) autour de la carte de débit… lais­sant la carte de crédit ban­caire, déjà général­isée dans les autres pays européens, aux sys­tèmes inter­na­tionaux qui appor­tent la con­ti­nu­ité géo­graphique d’acceptation, et avec lesquels il con­vient de coopér­er égale­ment dans le domaine du digital. 

Un autre exem­ple est en effet le dig­i­tal : que n’entend-on du retard des ban­ques français­es dans le domaine des tech­nolo­gies inno­vantes par rap­port aux fin­techs, alors que les ban­ques français­es sont, au-delà des clichés et des scoops médi­a­tiques, les pre­miers investis­seurs tech­nologiques ban­caires en Europe, au moins dans les paiements. 

Car on sait qu’il n’y aura pas de logique indus­trielle sérieuse sans coopéra­tion forte entre ban­ques et fin­techs, sans inté­gra­tion des inno­va­tions dans les chaînes de traite­ment ban­caire et dans les entreprises. 

UNE OPPORTUNITÉ À SAISIR

Si de telles actions étaient engagées et le dis­cours recen­tré, et si le faire savoir pre­nait la suite du savoir-faire, Paris pour­rait ain­si appa­raître face à Franc­fort et à Lon­dres, comme la cap­i­tale des paiements, voire du Retail Bank­ing, en Europe con­ti­nen­tale, en com­plé­ment des autorités de con­trôle ban­caire et financier (souhaité par la France, en con­tre­point de la BCE à Francfort). 

Mais cela sup­pose une volon­té indus­trielle, une mobil­i­sa­tion rapi­de et une coopéra­tion forte entre les divers acteurs indus­triels de la place. Tout doit être en place ou au moins lancé dans deux ans. 

Références

Une partie de cet article a été publiée dans l’AGEFI Hebdo (n° 542 du 1er décembre 2016).
Autre source : AGEFI Hebdo, mars 2013.

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