Cartes bancaires

Un bouleversement porté par l’innovation et les nouvelles réglementations

Dossier : Les moyens de paiementMagazine N°724 Avril 2017
Par Hervé SITRUK
Par Julien BRAUN (95)

La place des ban­ques dans les cir­cuits de paiement est men­acée par les fin­techs comme par les groupes mon­di­aux des GAFAP, dans la mesure ou l’information sur le paiement est dev­enue plus impor­tante que le paiement lui-même et engen­dre de nou­velles pra­tiques com­mer­ciales. Mais la mise au point des nou­veaux ser­vices de paiement élec­tron­ique est l’ob­jet de nom­breux tâton­nements et ce n’est pas tou­jours le suc­cès assuré. 

La mise en place de l’euro a été accom­pa­g­née par un ensem­ble de mesures visant à créer en Europe un cadre unifié en matière de paiements (Sin­gle Euro­pean Pay­ment Area). Cette uni­fi­ca­tion est en cours de final­i­sa­tion, mais elle est bous­culée par l’évolution mon­di­ale des tech­nolo­gies numériques et l’émergence de solu­tions nou­velles, qui ont pris forme depuis le milieu des années 1990. 


Grâce à la puce, la carte est apparue comme un instru­ment miracle.
© KENISHIROTIE / FOTOLIA.COM

En effet, une triple ambi­tion est alors apparue : éten­dre l’usage de la carte au-delà du paiement ; favoris­er le développe­ment du com­merce en ligne ; et enfin, prof­iter du poten­tiel apporté par le télé­phone mobile. 

REPÈRES

Jusqu’à la fin des années 1990, la carte est apparue comme l’instrument roi, sans concurrent, assurant à la fois le retrait et le paiement électronique, mais aussi la garantie de la transaction et l’interopérabilité mondiale, ce qu’aucun autre instrument de paiement n’autorise, détrônant les instruments domestiques.
En France, la carte a remplacé une grande part du chèque et une partie du paiement en espèces, assurant près de 50 % des transactions de paiement, et beaucoup plus dans le commerce.

 
LES MULTIPLES DÉCLINAISONS DE LA CARTE À PUCE

Pour l’industrie de la carte à puce, après le suc­cès de la carte de paiement, la carte est apparue comme l’instrument mir­a­cle pour d’autres usages. D’abord pour le paiement des trans­ports, avec le développe­ment des cartes prépayées. 

“ En France, la carte assure près de 50 % des transactions de paiement ”

Ensuite, avec le développe­ment des paiements sans con­tact (avec les tech­nolo­gies NFC : near field com­mu­ni­ca­tion) pour flu­id­i­fi­er l’acte de paiement dans les trans­ports urbains ou sur les autoroutes. 

Puis, grâce à la télé­phonie mobile qui béné­fi­cie avec la carte SIM d’un mécan­isme assur­ant la recon­nais­sance du pro­prié­taire et de son réseau télé­phonique, per­me­t­tant ain­si le paiement des appels. 

Et enfin pour les paiements de ser­vices prédéfi­nis, comme le « chèque » repas ou le « chèque » vacances. On a égale­ment vu fleurir de nom­breuses cartes indépen­dantes qui offraient de mul­ti­ples ser­vices de paiement, en com­bi­nant fidél­ité, var­iété de formes de paiement, mul­ti­plic­ité des devis­es, pré­paiement ou post­paiement, etc. 

Ce qui est impor­tant dans toutes ces évo­lu­tions, c’est qu’elles n’ont pu émerg­er que par l’adoption de la carte à puce pour le paiement par carte ban­caire, qui en a assuré la crédi­bil­ité et la sécurité. 

PAIEMENTS EN LIGNE ET MONNAIE ÉLECTRONIQUE

Par­al­lèle­ment, le com­merce en ligne prenant pro­gres­sive­ment forme, il est apparu néces­saire de trou­ver des solu­tions de paiement en ligne, pour lequel la carte plas­tique, même avec une puce, n’offrait pas le même degré de sou­p­lesse que l’achat en ligne, ni de sécu­rité que dans les paiements de face-à-face. 

“ Le succès planétaire de PayPal a fait des émules ”

C’est ain­si que la mon­naie élec­tron­ique est apparue pour assur­er cette sou­p­lesse du paiement, mais aus­si pour garan­tir le règle­ment instan­ta­né dans le com­merce en ligne, sans remise en cause du paiement. Elle garan­tit aus­si la flu­id­ité de l’achat et du paiement, d’abord sous la forme de mon­naie scrip­turale pré­payée et chargée dans une carte, puis par une réelle mon­naie élec­tron­ique, totale­ment indépen­dante du compte bancaire. 

Mais, ces ten­ta­tives ont échoué, surtout par les con­traintes de trans­parence des trans­ac­tions qu’elles n’arrivaient pas à assur­er ; une autre approche visant à créer un lecteur sécurisé de cartes à puce et util­isant les mécan­ismes de chiffrage des trans­ac­tions en ligne a de même été aban­don­née, vu son coût d’infrastructure, élevé pour les années 2000, et l’opposition des acteurs du com­merce élec­tron­ique, qui craig­naient la remise en cause de l’achat en ligne par la lour­deur du paiement. 

LA RENAISSANCE D’UN MORIBOND

Dès lors, eBay, qui était le leader mon­di­al des achats en ligne, a relancé un sys­tème de paiement en ligne mori­bond, Pay­Pal, et lui a don­né un développe­ment uni­versel, le con­duisant, in fine, à être désor­mais autonome pour être util­is­able chez tous les acteurs du com­merce en ligne. 

Facteur livrant des colis
Le com­merce en ligne a besoin de solu­tions de paiement nou­velles. © PHOTOS ANDRÉ TUDELA – PHOTOGRAPHE LE GROUPE LA POSTE

De leur côté, les « sys­tèmes » cartes (VISA, Mas­ter­card, etc.) ont favorisé l’émergence de la carte virtuelle dynamique, donc une carte dig­i­tale util­is­able une seule fois, émise à chaque paiement, en rem­place­ment de la carte plas­tique du déten­teur (pour éviter de faire cir­culer les références de la carte sur Inter­net), puis de l’authentification forte en ligne, pour assur­er la sécu­rité des trans­ac­tions par carte plastique. 

Depuis, les besoins de paiement élec­tron­ique en ligne ont don­né nais­sance à divers­es solu­tions qui sont apparues comme de nou­veaux moyens de pay­er (plus que de nou­veaux instru­ments de paiement), et se sont pro­gres­sive­ment rap­prochées du mécan­isme de l’achat en ligne. 

Le suc­cès plané­taire de Pay­Pal a fait des émules et on a vu se dévelop­per des solu­tions de paiement en ligne, « pro­prié­taires » comme pour Apple, pour pay­er les achats sur son site de ser­vice en ligne, ou « indépen­dantes », pour de très nom­breux acteurs. De nom­breux acteurs ont ain­si dévelop­pé des solu­tions pou­vant inclure la mes­sagerie élec­tron­ique ou des clés sécurisées… 

LE TÉLÉPHONE MOBILE DEVIENT TERMINAL DE PAIEMENT

Mais, une nou­velle évo­lu­tion a vu le jour avec le développe­ment de la télé­phonie mobile et du smart­phone, qui est apparu rapi­de­ment comme la nou­velle clé multi­usages, pou­vant à la fois assur­er les trans­ferts d’argent en ligne et le paiement en ligne, voire la sécu­rité du paiement. 

“ Apple Pay transforme le mobile en boîtier sécurisé de paiement ”

C’est ain­si que dans les zones peu ban­car­isées, comme en Afrique, le mobile est apparu comme un instru­ment de trans­fert d’espèces et de paiement ; que se sont dévelop­pées de nom­breuses solu­tions de paiement en ligne accom­pa­g­nant l’usage du mobile comme d’un ter­mi­nal Inter­net ; que le mobile est apparu comme un instru­ment d’authentification forte des trans­ac­tions en ligne, par l’émission d’un mot secret, util­is­able une seule fois (OTP : one time pass­word), envoyé sur le mobile et à repro­duire sur la page d’achat Inter­net de son PC. 

Mais, la pre­mière grande évo­lu­tion a été de vouloir utilis­er le mobile pour le paiement pro­pre­ment dit, en inté­grant les références des cartes de paiement dans le mobile, de façon à les associ­er en ligne à l’acte d’achat.

DE NOMBREUX TÂTONNEMENTS

Une pre­mière approche, qui n’a pas été couron­née de suc­cès, a été de vouloir utilis­er le compte mobile chez l’opérateur télé­phonique pour régler les achats en ligne de petites trans­ac­tions ; puis, d’utiliser la carte SIM de l’opérateur comme sup­port de stock­age des références de la carte ban­caire, mais le partage des coûts et des marges entre les opéra­teurs et les ban­ques n’a pas abouti et cette sec­onde approche a été aban­don­née ; les ban­ques ont alors envis­agé de met­tre en place une deux­ième puce indépen­dante de la carte SIM sur le mobile, mais cette démarche n’a pu aboutir pour des ques­tions de con­vivi­al­ité et de maîtrise de la fab­ri­ca­tion des mobiles. 

Paiement par mobile
Dépass­er le marché du com­merce élec­tron­ique, pour offrir une solu­tion de paiement uni­verselle, util­is­able égale­ment dans le com­merce de face-à-face, et non seule­ment en ligne sur Inter­net. © GOODLUZ / FOTOLIA.COM

Ce fut enfin l’émergence des porte­feuilles élec­tron­iques (wal­lets), pou­vant stock­er plusieurs références de cartes ban­caires, sur le mobile. Cette approche est tou­jours en cours de dif­fu­sion dans le monde ban­caire, mais, sans une solu­tion inter­ban­caire large, il n’y aura pas de développement. 

D’autres acteurs, comme Google, ont ten­té de dévelop­per leur pro­pre wal­let non ban­caire, Google Pay, pour per­me­t­tre de dis­pos­er d’une solu­tion uni­verselle d’achat en ligne, mais cette ten­ta­tive a été un échec, notam­ment pour des raisons de sécu­rité et con­fi­den­tial­ité des transactions. 

La sec­onde approche a été de vouloir utilis­er le mobile pour pay­er ses achats, y com­pris au point de con­tact, donc chez les com­merçants, en util­isant la tech­nolo­gie NFC. Cette approche per­met de dépass­er le marché du com­merce élec­tron­ique, pour offrir une solu­tion de paiement uni­verselle, util­is­able égale­ment dans le com­merce de face-à-face, et non seule­ment en ligne sur Internet. 

Cette nou­velle approche a posé de nom­breuses ques­tions de sécu­rité des paiements, d’où sa dif­fi­culté de mise en œuvre. C’est Apple qui a ouvert le feu, avec sa solu­tion pri­v­a­tive Apple Pay, qui trans­forme le mobile en boîti­er sécurisé de paiement. 

De son côté, après sa pre­mière ten­ta­tive d’offrir à son tour une solu­tion de paiement privée, Google a pro­posé une solu­tion ouverte Android Pay, fondée sur le parc de mobiles Android (qui représente 75 % du marché du smart­phone) et le recours au cloud com­put­ing, pour sa solu­tion HCE (Host Card Emu­la­tion), qui per­met de stock­er les références cartes réelles sur le cloud, et donc de dénouer les trans­ac­tions à dis­tance, par oppo­si­tion aux solu­tions dans lesquelles les références des cartes sont stock­ées dans la carte SIM ou sur une autre puce. Ces deux solu­tions sont en cours de déploiement. 

ET DE NOUVELLES PRATIQUES COMMERCIALES

Cet usage des solu­tions à dis­tance, de l’Internet et du mobile, dans les paiements dits de face-à-face, com­biné par­fois avec le développe­ment de nom­breux ter­minaux d’achat et de paiement fondé sur les smart­phones et les per­son­al dig­i­tal assis­tants, a con­duit à une sec­onde révo­lu­tion : celle de la révi­sion du par­cours client en mag­a­sin et à la com­bi­nai­son de pra­tiques d’achat, de livrai­son du bien et de paiement en mag­a­sin et hors mag­a­sin, qui a con­duit à ne con­sid­ér­er le paiement que comme une par­tie inté­grée et finale de l’acte d’achat, en lui reti­rant sa spécificité. 

C’est tout ce par­cours client qui est en cours de révi­sion, notam­ment via les propo­si­tions de Pay­Pal, et qui a con­duit à de mul­ti­ples approches. 

RÈGLEMENTS IMMÉDIATS

Enfin, une dernière révo­lu­tion, en cours, vise à com­bin­er les avan­tages de la mon­naie élec­tron­ique et du chiffre­ment, donc du règle­ment immé­di­at, et l’indépendance avec tous les réseaux ou infra­struc­tures ban­caires cen­tral­isés, avec la tech­nolo­gie des blockchains, actuelle­ment émergente. 

Le bitcoin et ses copies
Le bit­coin et ses copies con­cur­rentes ont ouvert le marché à une nou­velle généra­tion de modes de paiement, en cours de développe­ment. © ARROW / FOTOLIA.COM

Deux vagues sont apparues, d’abord par une pre­mière généra­tion, le bit­coin et ses copies con­cur­rentes, qui ont ouvert le marché et servi de proof of con­cept, puis une nou­velle généra­tion de modes de paiement, en cours de développement. 

Toutes ces solu­tions sont fondées ini­tiale­ment sur le recours à une « mon­naie » virtuelle cryp­tée, cotée, qui n’impose pas l’existence d’un tiers, notam­ment de banque, pour gér­er le compte, et dont le traite­ment est décen­tral­isé auprès de tiers processeurs indépen­dants : toutes les trans­ac­tions sont stock­ées sur une base de don­nées acces­si­ble à tous ces acteurs, et cha­cun peut l’utiliser pour enreg­istr­er les dernières transactions. 

Plus besoin de sys­tème de com­pen­sa­tion, voire de mon­naie cen­trale pour le règle­ment, mais une final­i­sa­tion de la trans­ac­tion, par l’échange de la cryp­tomon­naie (en anglais : cryp­to- cur­ren­cy). Cette tech­nolo­gie est applic­a­ble à d’autres secteurs que le paiement, notam­ment pour des actions qui échap­pent aux ban­ques cen­trales nationales ou régionales, par exem­ple pour les opéra­tions d’achat/vente de titres inter­na­tionales, et elle en con­stitue la dernière révo­lu­tion. Elle soulève la ques­tion de la place des ban­ques dans la chaîne du paiement. 

LE RÔLE DES BANQUES EN QUESTION

Toutes ces évo­lu­tions n’ont pu se dévelop­per que par une meilleure con­nais­sance des attentes du client, et donc la maîtrise de l’information sur le paiement, car le paiement est le sym­bole de l’acte d’achat réussi. 

“ L’information sur le paiement est devenue plus importante que le paiement lui-même ”

Dès lors, l’information sur le paiement est dev­enue plus impor­tante que le paiement lui-même, ce qui a don­né nais­sance à une mul­ti­tude d’entreprises inno­vantes dont la voca­tion pre­mière n’était pas le paiement, sous-traité à des ban­ques et processeurs spé­cial­isés, mais la maîtrise de l’information sur le paiement, qui est dev­enue la ressource rare et chère, source de la con­nais­sance mar­ket­ing du client et de ses comportements. 

Dès lors sont apparus de nom­breux étab­lisse­ments de paiement, inter­mé­di­aires entre la banque déposi­taire de fonds et l’opérateur tech­nique, avec beau­coup d’innovations dans les formes de paiement, mais avec pour objec­tif essen­tiel d’accéder aux infor­ma­tions sur les paiements, quitte à sous-traiter les opéra­tions de paiement pro­pre­ment dites à des opéra­teurs tech­niques pour leur traite­ment et à des ban­ques pour leur dénouement. 

Aujourd’hui, près de 45 % des pro­jets élaborés par des fin­techs en France con­cer­nent les paiements. Cet engoue­ment pour l’information a con­duit de nom­breux acteurs tech­nologiques, comme les GAFA, à s’intéresser aux paiements et à offrir des solu­tions tech­nologiques inno­vantes égale­ment, s’appuyant sur le télé­phone mobile comme Apple Pay ou la solu­tion ouverte Android Pay de Google, voire sur la mes­sagerie pour cer­tains réseaux soci­aux comme Facebook. 

Ain­si, le paysage des paiements vit un grand boule­verse­ment, et il est encore trop tôt pour indi­quer qui en sera le grand vainqueur. 

Mais, ces nou­veaux acteurs du paiement, et en pre­mier lieu les GAFA et BATX asi­a­tiques, qui devi­en­nent des con­glomérats tous azimuts, doivent s’inscrire dans les nou­velles régle­men­ta­tions édic­tées par les pou­voirs publics européens pour béné­fici­er des agré­ments néces­saires à l’exercice de la fonc­tion paiement, même à titre partiel.

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