Copie du code cryptogramme d'une carte

Un monde en ébullition, pas en révolution

Dossier : Les moyens de paiementMagazine N°724 Avril 2017
Par Pascal AUGÉ

L’heure de la dis­pa­ri­tion de la bonne vieille carte ban­caire n’a pas encore son­né. Elle assure tou­jours une grande par­tie des paie­ments et son usage est sans cesse amé­lio­ré sur le plan fonc­tion­nel, sur le plan sécu­ri­té et sur la pro­tec­tion des don­nées personnelles. 

Quelques années der­rière nous, le monde des paie­ments se résu­mait à la pos­si­bi­li­té d’émettre ou de rece­voir chèques, vire­ments et pré­lè­ve­ments, et paie­ments par carte ban­caire. Pour les consom­ma­teurs indi­vi­duels, cette offre était indif­fé­ren­ciée, avec des tarifs rela­ti­ve­ment clairs pour une uti­li­sa­tion en France, mais sou­vent com­plexes pour une uti­li­sa­tion internationale. 

Ce monde a chan­gé ! L’avènement de nou­velles tech­no­lo­gies, l’utilisation crois­sante d’Internet comme canal d’achat, les besoins d’immédiateté des consom­ma­teurs, l’utilisation mas­sive du smart­phone, les besoins de trans­pa­rence et de mise en concur­rence ont pous­sé à des évo­lu­tions sans pré­cé­dent ces der­nières années. 

De nou­velles offres appa­raissent, de nou­veaux acteurs se posi­tionnent tous les jours sur cette chaîne de valeur : banques, géants du Web, fin­techs


De nou­velles offres appa­raissent, mais aus­si de nou­veaux risques : fraude et uti­li­sa­tion des don­nées per­son­nelles, dont il faut pro­té­ger le consom­ma­teur. © ŁUKASZ SZCZEPAÐSKI / FOTOLIA.COM

Et dans ce nou­veau monde appa­raissent aus­si de nou­veaux risques : fraude et uti­li­sa­tion des don­nées per­son­nelles, dont il faut pro­té­ger le consommateur. 

REPÈRES

60 % du nombre des paiements restent encore effectués en liquide selon les statistiques de la BCE… 20 % du nombre des paiements (soit 1 paiement sur 2 hors paiements en liquide) sont effectués avec une carte bancaire, et ce chiffre progresse encore de 8 % par an.

LA COMMISSION EUROPÉENNE OUVRE LA VOIE

Très tôt, la Com­mis­sion euro­péenne a pris la mesure du sujet et a vou­lu que se déve­loppe en Europe un éco­sys­tème des paie­ments sécu­ri­sé mais ouvert à l’innovation et favo­ri­sant l’émergence de nou­veaux acteurs et de nou­velles solutions. 

“ De nouveaux acteurs se positionnent tous les jours sur cette chaîne de valeur ”

Avec la pre­mière Direc­tive sur les ser­vices de paie­ment fin 2007 (DSP), l’Europe a ain­si lan­cé le pro­jet SEPA per­met­tant de trai­ter les paie­ments en euros de manière har­mo­ni­sée au sein de 34 pays. SEPA est la pre­mière brique d’un mar­ché unique des paie­ments, et a apla­ni beau­coup des dis­pa­ri­tés qui pré­exis­taient entre les pays. 

Avec la DSP2, la Com­mis­sion pour­suit sa volon­té d’ouverture du mar­ché en per­met­tant à des acteurs « tiers de paie­ment » d’obtenir les infor­ma­tions de compte ban­caire des consom­ma­teurs qui le sou­haitent, voire d’initier en leur nom des paie­ments. Cette nou­velle direc­tive va aus­si per­mettre d’encadrer de manière plus pré­cise et plus sécu­ri­sée les acti­vi­tés d’agrégation de compte pro­po­sées par nombre d’acteurs ban­caires et non bancaires. 

Elle va sans doute aus­si faci­li­ter le déve­lop­pe­ment d’intermédiaires de paie­ment à l’image de ce que sont Pay­Pal ou Sofort (en Alle­magne). Sans doute sera-t-elle aus­si à l’origine de nou­velles offres pour les consom­ma­teurs autour de la ges­tion de leurs avoirs, de la fidé­li­té sur leurs achats, etc. 

FACE AUX FINTECHS, LES BANQUES RÉAGISSENT EN INVESTISSANT

Dans ce pay­sage, les banques jouent un rôle cru­cial, pour le déve­lop­pe­ment de ces nou­veaux ser­vices et pour la sécu­ri­té du consom­ma­teur final. Sur le déve­lop­pe­ment de nou­velles offres, les banques inves­tissent chaque année des sommes consi­dé­rables dans l’innovation, tant en inves­tis­se­ments internes qu’en inves­tis­se­ments dans des fin­techs, afin de res­ter l’acteur prin­ci­pal au contact du client final. 

“ Les banques jouent un rôle crucial, pour le développement de ces nouveaux services et pour la sécurité du consommateur final ”

L’enjeu pour la banque est d’offrir à ses clients tous les ser­vices dont il ou elle a besoin pour répondre à l’évolution de ses com­por­te­ments et évi­ter de se faire « dés­in­ter­mé­dier » par ces nou­veaux acteurs. C’est ain­si par exemple que Bour­so­ra­ma a acquis la fin­tech Fidu­ceo et que les clients, tant de Bour­so­ra­ma que de Socié­té Géné­rale et de Cré­dit du Nord, béné­fi­cient main­te­nant des ser­vices d’agrégation de leurs comptes bancaires. 

Les banques mul­ti­plient aus­si les expé­ri­men­ta­tions auprès de leurs clients, et adaptent leurs offres en fonc­tion de ces résul­tats. À titre d’exemple, Socié­té Géné­rale déve­loppe des col­la­bo­ra­tions avec Cash­Sen­ti­nel qui per­met de sécu­ri­ser les tran­sac­tions entre deux par­ti­cu­liers, ain­si qu’avec Tiller qui pro­pose aux com­mer­çants une caisse intel­li­gente inté­grant un sys­tème de paie­ment, d’analyse des ventes, de ges­tion du stock, etc. 

L’APPROCHE COLLABORATIVE ENTRE ACTEURS EST INDISPENSABLE

Mais en termes d’offres, le monde des paie­ments est très dépen­dant d’approches coor­don­nées entre les dif­fé­rents acteurs afin de pou­voir assu­rer le déploie­ment de nou­veaux ser­vices de paie­ment à la plu­part des consommateurs. 

Paiement par PayLib avec son mobile
Depuis jan­vier 2017, Pay­Lib per­met de payer sans contact en maga­sin en uti­li­sant son smartphone.

Banques émet­trices et banques acqué­reurs, au sein d’un pays ou de plu­sieurs, doivent pou­voir trai­ter de manière iden­tique des mes­sages de paie­ment véhi­cu­lés par des réseaux inter­ban­caires connec­tés, rapides et sécurisés. 

Là aus­si, les banques inves­tissent lour­de­ment pour per­mettre à ces nou­veaux ser­vices de trou­ver leur mar­ché. En France, deux exemples méritent d’être rappelés. 

Tout d’abord, le lan­ce­ment du paie­ment par carte ban­caire sans contact. L’appropriation par les consom­ma­teurs a été pro­gres­sive, mais elle est main­te­nant très large. Fin 2016 en France, il y avait à peu près autant de paie­ments sans contact en maga­sin que de paie­ments par Inter­net, et la pro­por­tion de paie­ments sans contact croît de manière très forte mois après mois. 

Autre exemple, le déve­lop­pe­ment de Pay­Lib. Ini­tia­le­ment lan­cé par Socié­té Géné­rale avec La Banque Pos­tale et BNP Pari­bas, Pay­Lib est main­te­nant rejoint par la plu­part des grandes banques fran­çaises et devrait encore s’étoffer en 2017. Ce sys­tème de paie­ment per­met depuis son lan­ce­ment d’effectuer des paie­ments Inter­net sans com­mu­ni­quer ses numé­ros de carte ban­caire. Depuis jan­vier 2017, il per­met aus­si de payer sans contact en maga­sin en uti­li­sant son smart­phone.

Ces deux types d’innovation dans les paie­ments ont néces­si­té de larges inves­tis­se­ments concer­tés entre banques et fabri­cants de maté­riels et de technologies. 

CYBERCRIMINALITÉ, VOLS DE DONNÉES : DE NOUVEAUX RISQUES ÉMERGENT

Dans ce pay­sage en ébul­li­tion, face à la mul­ti­pli­ca­tion d’acteurs régu­lés ou non, face à l’ouverture crois­sante des sys­tèmes ban­caires requise par des besoins clients de plus en plus numé­riques et sou­te­nus par les auto­ri­tés euro­péennes, l’enjeu de pro­tec­tion du consom­ma­teur n’a jamais été aus­si fort. 

L’écosystème des paie­ments, et les banques en par­ti­cu­lier, doivent répondre spé­ci­fi­que­ment à deux risques majeurs : la cyber­cri­mi­na­li­té et la pro­tec­tion des don­nées per­son­nelles du consommateur. 

Carte bancaire à cryptogramme changeant
La Socié­té Géné­rale a lan­cé une carte dont le cryp­to­gramme de sécu­ri­té est affi­ché sur un écran LCD et change toutes les heures.

CARTE À LCD

La Société Générale a lancé une carte dont le cryptogramme de sécurité est affiché sur un écran LCD et change toutes les heures. Cette récente innovation connaît un succès très rapide chez les clients qui comprennent bien l’avancée de sécurité qui leur est proposée.

La cyber­cri­mi­na­li­té est un enjeu stra­té­gique pour les entre­prises aujourd’hui, à com­men­cer par les banques. On assiste à une mul­ti­pli­ca­tion rapide des ten­ta­tives de fraude et à une sophis­ti­ca­tion crois­sante des scé­na­rios de fraude. Les banques inves­tissent là aus­si des sommes consi­dé­rables pour déjouer ces ten­ta­tives, notam­ment par l’utilisation des tech­no­lo­gies de big data, machine lear­ning, intel­li­gence arti­fi­cielle, bio­mé­trie, etc. 

Dans le contexte d’évolution des moyens de paie­ment, ces enjeux n’ont jamais été aus­si pré­gnants. D’une manière géné­rale, face à une régu­la­tion qui a ten­dance à pro­mou­voir l’ouverture et l’innovation sans tou­jours envi­sa­ger de manière exhaus­tive les impli­ca­tions en termes de sécu­ri­té de l’ensemble de l’écosystème, les banques ont un rôle cri­tique à jouer. La confiance de leurs clients est un atout capi­tal des banques, et elles ne pren­dront pas le risque de la perdre en fra­gi­li­sant la sécu­ri­té d’accès à leurs sys­tèmes d’information.

L’autre risque sur lequel les banques doivent assu­rer un rem­part est celui de l’utilisation des don­nées per­son­nelles des consom­ma­teurs. Les géants du Web tirent un pro­fit consi­dé­rable de l’analyse de don­nées de navi­ga­tion Web et d’achat des consom­ma­teurs et leur posi­tion­ne­ment sur la chaîne de valeur paie­ments est sans conteste une volon­té d’aller plus loin encore dans ce domaine. 

Les banques doivent ici jouer leur rôle de tiers de confiance auprès de leurs clients, en s’assurant notam­ment de leur consen­te­ment avant toute com­mu­ni­ca­tion d’information les concernant. 

LA RÉVOLUTION ATTENDRA ENCORE UN PEU…

Voi­là rapi­de­ment bros­sés les enjeux à venir dans le monde des paie­ments. Mais avant de conclure, il est bon de rap­pe­ler aus­si que toutes ces nou­veau­tés, tout le buzz média­tique des nou­velles tech­no­lo­gies, s’ils sont clai­re­ment des sources d’évolution du pay­sage, ne consti­tuent pas pour autant une révolution. 

“ En termes de sécurité de l’ensemble de l’écosystème, les banques ont un rôle critique à jouer ”

À ce jour en effet, rap­pe­lons qu’en Europe les paie­ments plus « clas­siques » consti­tuent la qua­si-tota­li­té des transactions. 

Mal­gré le suc­cès du sans contact, les inno­va­tions autour de la carte ban­caire conti­nuent d’être d’actualité. Même si un nombre crois­sant de cartes ban­caires pour­rait être com­plè­te­ment déma­té­ria­li­sé à moyen terme, l’heure de sa dis­pa­ri­tion n’a pas encore sonné.

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