Houston

Panique à Houston, l’industrie du pétrole victime de son succès

Dossier : ExpressionsMagazine N°706 Juin/Juillet 2015
Par Roland CHEMALI (64)

Hous­ton un an plus tard. Il y a à peine quelques mois, la ville explo­sait d’optimisme. Dans La Jaune et La Rouge de novembre 2014, je décri­vais l’euphorie qui régnait dans l’industrie pétro­lière, l’industrie prin­ci­pale de la ville de Houston.

Le prix du baril de pétrole se main­te­nait au-des­sus de la barre des 100 dol­lars. Les com­pa­gnies pétro­lières recher­chaient des géo­logues, des géo­phy­si­ciens, des pétro­phy­si­ciens et des ingé­nieurs à coups de géné­reuses primes à l’embauche.

“ Sans aucun signe avant-coureur, le pétrole a commencé à chuter d’une manière inexorable ”

J’avais moi-même pris ma retraite de mon employeur de 23 ans, la socié­té Hal­li­bur­ton, pour recom­men­cer une car­rière de Chief Petro­phy­si­cist chez Occi­den­tal Petro­leum. Le chas­seur de têtes qui m’avait recru­té n’avait pas du tout été inti­mi­dé par mon âge cano­nique de 69 ans. L’euphorie sem­blait inébran­lable. La pro­duc­tion de pétrole amé­ri­caine allait bien­tôt dépas­ser celle de l’Arabie Saoudite.

L’immobilier dans Hous­ton avait dou­blé de valeur depuis 2013 ; la ville jouis­sait du plein-emploi. Et puis, sans aucun signe avant-cou­reur, le pétrole a com­men­cé à chu­ter d’une manière inexorable.

Un vent de panique

Lorsque la barre des 80 dol­lars fut fran­chie en octobre 2014, les com­pa­gnies pétro­lières s’attendaient à ce que les cours rebon­dissent, comme ils l’avaient fait maintes fois durant les cinq der­nières années. L’optimisme conti­nuait de domi­ner les plans finan­ciers (busi­ness plans).

Mais lorsque le plan­cher des 50 dol­lars fut fran­chi, en jan­vier 2015, un vent de panique com­men­ça à souf­fler sur la place.

50 000 emplois évaporés

D’abord, les com­pa­gnies de ser­vices telles que Schlum­ber­ger, Hal­li­bur­ton et Baker Hughes ont annon­cé des licenciements.


DÉCROCHER LA LUNE, À NOUVEAU

Dans la ban­lieue est de Hous­ton, la NASA a déjà connu un tel sort à deux reprises. D’abord au moment de la course à la Lune. Durant les années pré­cé­dant le fameux atter­ris­sage de Neil Arm­strong et Buzz Aldrin sur la Lune en juillet 1969, la ville vivait au rythme de la com­pé­ti­tion contre les Russes et du désir de rem­por­ter la victoire.

Mais, à peine la Lune conquise, la joie du triomphe s’est éva­nouie. L’ambiance est deve­nue morose. Il a fal­lu attendre le pro­gramme de la navette spa­tiale pour relan­cer l’emploi et l’optimisme. Mais ce pro­gramme de la navette est main­te­nant ter­mi­né et la NASA cherche à nou­veau sa voie.


Près de 50 000 emplois éva­po­rés ; et les départs conti­nuent. Un peu plus tard ce sera le tour des com­pa­gnies pro­duc­trices, Mara­thon, Che­vron, BP, Cono­co­Phil­lips, Ana­dar­ko, Occi­den­tal, BHP et tant d’autres, à moins que d’ici là, par un miracle ines­pé­ré, les prix ne se ressaisissent.

Lorsqu’un auto­mo­bi­liste de Hous­ton contemple le prix de l’essence affi­ché à la pompe, il ou elle pousse une gri­mace : « Que c’est triste, le gal­lon de super est encore à la baisse. » Les che­vron­nés de l’industrie ont l’habitude de ces hauts et bas. Ils uti­lisent cou­ram­ment l’expression fran­çaise : « C’est la vie. »

C’est la vie

L’industrie pétro­lière est vic­time de son suc­cès. Les pro­grès de la tech­no­lo­gie furent si spec­ta­cu­laires qu’ils ont pro­vo­qué un excé­dent non négli­geable sur le mar­ché. Le fameux fra­cking a tel­le­ment bien réus­si que la pro­duc­tion a dépas­sé toutes les prévisions.

Bien que les forages aient dimi­nué de plus de moi­tié, la pro­duc­tion se main­tient à un niveau éle­vé, met­tant une pres­sion conti­nue sur les cours. Il y a cepen­dant une dif­fé­rence notable entre la sur­pro­duc­tion de pétrole des années 1980- 1990 et celle, récente, de 2014–2015.

Les puits sti­mu­lés par la méthode du fra­cking déclinent en quelques mois, tan­dis que les puits tra­di­tion­nels des années 1980–1990 avaient une pro­duc­tion sou­te­nue pen­dant plu­sieurs années. Par consé­quent, main­te­nant que les com­pa­gnies de pétrole lèvent le pied, la chute de la pro­duc­tion est atten­due dans à peine trois ou quatre mois, cer­tai­ne­ment avant la fin de l’année 2015, pro­met­tant une aug­men­ta­tion mesu­rée des cours du marché.

Un décalage de 18 mois

L’ambiance dans la ville est à peine chan­gée pour l’instant. Les auto­routes sont tou­jours aus­si encom­brées, les res­tau­rants aus­si pleins et aus­si fes­tifs. Les com­pa­gnies pétro­lières concentrent leurs efforts autour de la dimi­nu­tion des coûts de pro­duc­tion afin de rejoindre les prix du marché.

Les ingé­nieurs, géo­phy­si­ciens et pétro­phy­si­ciens tra­vaillent d’arrache-pied à aug­men­ter la pro­duc­ti­vi­té des nou­veaux puits, ce qui aurait pour effet de dimi­nuer le coût de pro­duc­tion par baril. Moins de puits seront forés et trai­tés par le fra­cking, mais les coûts par baril devraient tom­ber. Si tou­te­fois le mar­ché ne se redresse pas avant la fin de 2015, le pes­si­misme com­men­ce­ra à pla­ner dans les centres commerciaux.

“ Les autoroutes sont toujours aussi encombrées, les restaurants aussi pleins et aussi festifs ”

Les modèles éco­no­miques pré­voient un déca­lage de plus de 18 mois entre la chute des cours et la dimi­nu­tion de la qua­li­té de la vie.

Les consé­quences de la chute des cours de brut se font sen­tir au-delà de Hous­ton. Les auto­mo­bi­listes amé­ri­cains et euro­péens voient leurs coûts dimi­nuer. Les indus­tries chi­miques, les com­pa­gnies aériennes et les com­pa­gnies de trans­ports reportent des béné­fices consé­quents. En revanche, la Rus­sie, le Vene­zue­la, le Bré­sil et d’autres gros pro­duc­teurs connaissent un manque à gagner qui met leur éco­no­mie en péril.

Pour combien d’années encore ?

Production de pétrole au Etats Unis
Pro­duc­tion de pétrole des États-Unis.
Source : US Ener­gy Infor­ma­tion Admi­nis­tra­tion EIA

À deux heures d’ici, la ville d’Austin avait déci­dé dans les années 1980 de décou­pler son éco­no­mie du cours du pétrole. Les diri­geants de la ville ont trans­forme leur cité en centre de haute tech­no­lo­gie concen­tré autour de l’université du Texas et des grandes com­pa­gnies telles que Apple, Sam­sung, Dell, IBM et bien d’autres. Ce fut un des rares cas où j’ai pu consta­ter une trans­for­ma­tion orches­trée par un gou­ver­ne­ment local, et qui a réussi.

Pour le moment, Hous­ton conti­nue à rete­nir la domi­nance tech­nique dans l’industrie pétro­lière mon­diale. Pour com­bien d’années encore ? Nul ne le sait. Je serais curieux de le savoir moi-même, tant je connais de jeunes ingé­nieurs, géo­logues et géo­phy­si­ciens qui espèrent y faire car­rière pour le reste de leur vie professionnelle.

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