Et nous voilà à Cotonou ! La fin pour nous de notre périple africain.

17 rayons d’espoir : deux alumni à vélo vers 17 objectifs durables
Épisode 2 : Du Sénégal au Bénin

Dossier : ExpressionsMagazine N°785 Mai 2023
Par Matthieu ORIOT (X18)
Par Astrid PERCHET (Ensta)

Nous reprenons les aven­tures du cou­ple des jeunes diplômés, Matthieu Ori­ot (X18) et Astrid Perchet (Ens­ta), à vélo en Afrique de l’Ouest. À tra­vers leur voy­age africain, com­mencé à Dakar et ter­miné à Coto­nou, ils racon­tent leur quo­ti­di­en, riche d’exemples d’accueil et de bien­veil­lance, mais aus­si de chocs cul­turels par­fois désarmants.


Lire aus­si : 17 rayons d’espoir : deux alum­ni à vélo vers 17 objec­tifs durables, Episode 1


Un peu plus de cinq mois après notre départ de Dakar, nous arrivons à Coto­nou, au Bénin, des­ti­na­tion finale de notre périple en Afrique de l’Ouest, avant de nous env­ol­er pour un deux­ième volet en Amérique du Sud. Mais quel a été notre quo­ti­di­en de cyclistes, étrangers de sur­croît ? Cette ques­tion nous ren­voie à tous les kilo­mètres par­cou­rus depuis le Séné­gal, aux nom­breux repas pris à quelques mètres de la piste, à l’ombre des man­guiers, à tous les vil­lages que nous avons tra­ver­sés et où nous avons été accueil­lis, à ces mil­liers de vis­ages croisés sur le bord du chemin, en Guinée ou au Togo, en pas­sant par la Côte d’Ivoire et le Ghana.

La valeur de l’hospitalité

La route de ces cinq derniers mois a été longue, mais – et ceci tient du mir­a­cle – nous n’avons pour l’instant jamais crevé. Et pour­tant, trou­ver de l’aide n’aurait pas été un prob­lème. Où que nous allions, nous sommes mis à l’aise par de petits gestes. Nous nous sen­tons accueil­lis par ces gens qui nous accor­dent l’hospitalité dans leur vil­lage. Lors d’une pause en milieu de journée, en Haute-Casamance, au Séné­gal, deux hommes nous ont repérés en train de pique-niquer. Ni une, ni deux, les voilà qui arrivent avec… deux chais­es, pour que nous n’ayons pas à rester assis par terre ! Ils nous lais­sent ensuite pour retourn­er vaquer à leurs activ­ités. C’est bien anodin, mais ce petit geste a fait écho en nous : seri­ons-nous capa­bles de faire la même chose en France, si un étranger se trou­vait assis sur des march­es pour faire une pause ? Notre chemin est jalon­né de ces belles leçons d’hospitalité.

“Ce petit geste a fait écho en nous : serions-nous capables de faire la même chose en France, si un étranger se trouvait assis sur des marches pour faire une pause ?”

Un soir, alors que nous décou­vrons la par­tie forestière de la Guinée, nous nous arrê­tons dans un vil­lage. Nous deman­dons l’autorisation de planter la tente dans la cour d’une mai­son, autori­sa­tion qui nous est accordée sans souci aucun. Nous débal­lons alors notre matériel sous le regard curieux des enfants et du chef de famille. C’est le grand spec­ta­cle : on ouvre les sacoches, on en sort mille et une mer­veilles, on déplie notre petite tente verte et ses longs arceaux. Notre petite mai­son de toile prend forme, on la com­plète de deux mate­las gon­flables qui con­stituent pour nous le sum­mum du luxe. Bref, tout roule. Puis le père nous inter­pelle : « Mais, dites, vous allez dormir là-dedans ? » « Euh, oui, tout à fait. » « Mais non mais non, il faut dormir à l’intérieur ! Il y a une cham­bre vide pour vous ici. » « Ah bon ? » « Eh bien oui. » Il nous laisse dormir en intérieur et ne veut rien enten­dre, nous ne passerons pas la nuit dans la tente. Nous rem­bal­lons donc tout notre bar­da pour aller nous installer au chaud (à ce moment du voy­age les nuits se fai­saient fraîch­es, la tem­péra­ture devait bien descen­dre à 15 °C, ren­dez-vous compte !). Ce même soir, on nous offrira des noix de cola (des noix ros­es très amères, rich­es en caféine, qui se cro­quent telles quelles, signe de fra­ter­nité) et deux énormes ananas. Les meilleurs ananas de toute notre vie.

Pour faire le tour du mont Nimba, nous voilà une fois de plus sur de belles pistes en latérite.
Pour faire le tour du mont Nim­ba, nous voilà une fois de plus sur de belles pistes en latérite.

La route et le repos

Ces escales quo­ti­di­ennes au hasard des vil­lages croisés don­nent le pouls de nos semaines. Nos journées suiv­ent un bat­te­ment dont le soleil est le chef d’orchestre. Nous nous lev­ons avec lui, nous roulons quand il est bas, le matin et le soir, et nous nous cou­chons avec lui encore. Les moments de repos sont très struc­turants. Il y a les mul­ti­ples arrêts pour boire quelques gorgées d’eau ou regarder la carte et véri­fi­er notre posi­tion. Et il y a la « pause aux heures chaudes ». D’abord, vers 10 h 30, nous iden­ti­fions un coin d’ombre qui dur­era jusqu’à 16 h, quand la chaleur sera un peu retombée. En général, nous ter­mi­nons sous un man­guier dont le feuil­lage dense nous assure un rem­part longue durée con­tre le soleil. Prenez note : les cacaoy­ers four­nissent aus­si une belle ombre, mais sont sou­vent la garantie de four­mis qui vien­nent vous cha­touiller les orteils, tan­dis que les anac­ardiers (arbres qui don­nent la noix de cajou) sont égale­ment très bons pour s’abriter du soleil. En revanche, on évit­era les hévéas et les tecks aux feuil­lages trop clairsemés ou les palmiers isolés dont l’ombre tourne trop rapi­de­ment. Pren­dre le temps d’une sieste est indis­pens­able si nous voulons tenir le rythme, nous sommes tous les deux de (très) gros dormeurs. Mais nous prof­i­tons aus­si de ces quelques heures pour pren­dre du temps pour nous, écrire dans nos car­nets, lire un peu sur nos liseuses ou avancer sur les pod­casts. Ain­si, chaque journée a une trame finale­ment assez con­stante, avec sa rou­tine quo­ti­di­enne qui s’installe, et pour­tant ! Les per­son­nes ren­con­trées, l’humeur du jour, les paysages qui se dévoilent, leur don­nent une col­oration tou­jours dif­férente. Jour jaune et lumineux quand la route glisse toute seule, après une dis­cus­sion for­mi­da­ble avec le chef du vil­lage à refaire le monde. Jour rouge et pous­siéreux quand il faut grimper des côtes raides au pos­si­ble, après une mau­vaise nuit de som­meil. Jour bleu quand la nos­tal­gie du foy­er se fait sen­tir, quand nous voyons des familles se rassem­bler pour le repas du soir et que les nôtres nous sem­blent bien loin­taines. Un des signes qui ne trompent pas sur notre bonne humeur, c’est quand le chant se mêle à la route. Tout le réper­toire y passe, des Champs-Élysées à La Stras­bour­geoise en pas­sant par du Maître Gims. Sou­vent même de nou­velles paroles vien­nent s’ajouter à l’air con­nu : « C’est un fameux vélo fin comme un oiseau, hissez haut ! » Nous nous sur­prenons par­fois à rouler à toute vitesse, entraînés par l’élan que le chant nous a don­né. Nous sommes immergés dans un univers à mi-chemin entre les vacances et la sor­tie sur le ter­rain, dans un entre-deux hors du temps qui nous sem­ble par­fois irréel.

Le « masque échassier » est sorti de la forêt, il danse encouragé par les villageois.
Le « masque échas­sier » est sor­ti de la forêt, il danse encour­agé par les villageois.

Quand la route devient rude

Heureuse­ment, le corps est là pour nous rap­pel­er que tout ce que nous vivons est loin d’être fic­tif ! Nous le savions, et pou­vons main­tenant le con­firmer : en Afrique, il fait chaud. Et encore, nous sommes à la sai­son sèche, plus fraîche et moins humide que la sai­son des pluies. La moin­dre côte autour du mont Agou au Togo nous laisse en nage et nous aval­ons des hec­tolitres d’eau. Le corps encaisse, et pas seule­ment sur les vélos. Plusieurs fois sur la route, Astrid est tombée malade à cause de repas qui ne sont pas bien passés. Ce n’est jamais grave, mais suff­isam­ment pénible pour oblig­er à s’arrêter dans un hôtel le temps de se rétablir. La fatigue et la sen­sa­tion d’être impuis­sant entraî­nent aus­si des gross­es baiss­es de moral, heureuse­ment soutenues par le voy­age à deux. Nous nous ser­rons les coudes pour tenir le choc.

Une autre dif­fi­culté revient sou­vent, presque quo­ti­di­en­nement. Nous sommes sans cesse con­fron­tés au regard des habi­tants. Pour eux, nous sor­tons de l’ordinaire et nous en avons bien con­science, mais il faut se ren­dre compte de l’ampleur de la chose. Un soir, à Ana­tolekro, vil­lage ivoirien, alors que nous fai­sions la cui­sine, nous avons comp­té plus de quar­ante enfants qui étaient rassem­blés autour de nous à nous observ­er. Plus tard, au Togo, nous nous lavions dans le fleuve Mono. Plus de quinze per­son­nes nous regar­daient de la rive opposée et une petite dizaine s’étaient arrêtées sur le pont au-dessus de nous, intriguées par le spec­ta­cle que nous formions.

Près de Ganvié, les pêcheurs parcourentle lac sur leurs barques à fond plat.
Près de Gan­vié, les pêcheurs par­courent le lac sur leurs bar­ques à fond plat.

Le choc de différentes cultures

Ces regards ne cessent pas de nous le rap­pel­er : nous sommes français et blancs, et ce n’est pas anodin dans les pays par lesquels nous pas­sons. En nous voy­ant, beau­coup d’enfants chantent « Toubabou » ou « Yovo, yovo bon­soir ! », selon la région. Le Blanc. D’autres vien­nent nous deman­der de l’argent, un télé­phone, nos vélos, ou nous dire qu’ils ont faim, par­fois encour­agés par les adultes, nous lais­sant désem­parés devant cette con­duite qui nous déroute et par­fois nous heurte. Pour­tant, nous avons fait le choix de voy­ager avec ce qui nous sem­ble le strict min­i­mum. Nos vélos, avec cha­cun qua­tre gross­es sacoches rem­plies de nos habits, nos affaires de bivouac, des pro­vi­sions achetées le long du chemin, quelques médica­ments de base, des car­nets pour racon­ter nos aven­tures, nos liseuses et nos téléphones.

Plus vite ! Matthieu est rejoint par de véritables sprinters.
Plus vite ! Matthieu est rejoint par de véri­ta­bles sprinters.

Pour nos pod­casts, nous avons trou­vé un petit micro à piles, qui fonc­tionne par­faite­ment bien, et Matthieu se charge de faire les mon­tages directe­ment sur son smart­phone. Mais toutes ces affaires, qui sont pour­tant assez sim­ples, déno­tent déjà. Nos vélos sont vieux, nous les avons depuis plusieurs années. Ici, ils parais­sent ultra-per­fec­tion­nés avec leurs freins fonc­tion­nels et leurs sept vitesses et trois plateaux. Même les sacoches, dont la moitié a été récupérée chez nos grands-par­ents, ont tapé dans l’œil d’un jeune homme qui par­tait tra­vailler en brousse et qui nous a demandé si on pou­vait lui en don­ner une. Les quelques médica­ments que nous avons ont par­fois fait des envieux à la douane, et nos smart­phones sont suff­isam­ment récents pour qu’Astrid se fasse piquer le sien dans un hôtel. Bref, nous nous ren­dons compte à quel point tout en nous crie la richesse et con­traste sou­vent avec les ressources dont dis­posent nos hôtes.

“Plusieurs petites anecdotes nous font réaliser l’impact du « rêve occidental » que nous contribuons, malgré nous, à véhiculer.”

Plusieurs petites anec­dotes nous font réalis­er l’impact du rêve occi­den­tal que nous con­tribuons, mal­gré nous, à véhiculer : quand ils nous deman­dent de leur mon­tr­er de l’argent français pour voir à quoi ressem­blent les euros ; quand on décou­vre des pro­duits éclair­cis­sants pour la peau ; quand les clips musi­caux vendent un mod­èle de réus­site à base de gross­es voitures, de mon­tres dorées, de jets privés et de jacuzzis ; quand, lors d’une con­ver­sa­tion avec une vendeuse dans une supérette, elle veut que nous l’emmenions en France avec nous. De là, nous réal­isons à quel point nous avons de la chance de pou­voir faire ce voy­age, et non seule­ment d’en avoir le courage, la patience ou la folie, mais aus­si les ressources matérielles. Et il faut se ren­dre à l’évidence : si nous sommes aus­si sou­vent repérés, c’est sûre­ment aus­si parce que nous avons plein de com­porte­ments qui parais­sent décalés pour les gens que nous ren­con­trons. Cer­tains doivent penser que nous sommes bien balourds ! Nous rions encore de ce soir où, au Ghana, une femme a vu Matthieu faire la lessive à la main et s’est exclamée, hor­ri­fiée : « Mais tu ne sais pas laver ? Attends, je vais te mon­tr­er ! » Et ni une, ni deux, elle lui prend le savon des mains et nous mon­tre com­ment bien laver le linge. Une belle leçon d’humilité après qua­tre mois et demi à rouler et à laver notre linge de la mau­vaise manière. Cela dit, depuis, nos t‑shirts n’ont jamais sen­ti aus­si bon ! De la même façon, il arrive sou­vent qu’on nous pro­pose de l’eau en arrivant dans un vil­lage, mais jamais pour les mêmes raisons. Un jour c’est pour nous laver les mains, un autre pour nous laver le vis­age, un autre encore sim­ple­ment pour boire. Il est dif­fi­cile de dire com­bi­en de fois nous nous sommes trompés en util­isant cette eau, et je pense que nous avons dû sem­bler sacré­ment à côté de la plaque pour plusieurs de nos hôtes.

Une petite tente qui attire bien des regards !
Une petite tente qui attire bien des regards !

Dans la même veine, nous avions cru com­pren­dre enfin les codes et très fiers de nous, nous essayions de les appli­quer. Je pense au vil­lage de Djand­jan en Guinée. Depuis plusieurs jours nous croi­sions des vil­lages peuls et avions donc appris quelques mots de pulaar pour par­ler avec les gens. « Diara­ma ! Nala tum ? Diam tum ! Namar­sudé ? Djam tum ! » pour le fameux « Bon­jour ! Com­ment ça va ? Ça va bien ! » Ce soir-là, nous salu­ons les habi­tants comme nous l’avons appris. Et, après une heure et demie à dis­cuter avec eux, nous présen­ter et vis­iter le vil­lage, un jeune homme nous annonce, tout fier : « Ici, c’est un vil­lage malinké ! On ne par­le pas pulaar, on par­le malinké. » « Oups… voilà que nous avons changé d’ethnie, il faut tout réap­pren­dre. » Un autre jour, à Not­sé, après presque cinq mois de voy­age (où nous com­men­cions à nous pren­dre pour de vieux rou­blards qui con­nais­saient les cou­tumes locales comme notre poche), nous déje­unons dans un maquis togo­lais, un restau­rant local. Au menu : foufou, une purée d’igname qui se mange avec la main droite, et lapin en sauce. Nous nous réga­lons ! Et, de la même manière que nous l’avions vu faire au Séné­gal par exem­ple, nous met­tons les os du lapin en petit tas directe­ment sur la table, à côté de nos assi­ettes. Oui mais voilà, la gérante du maquis s’approche de nous, nous fait les gros yeux et nous tend une petite cor­beille en plas­tique qui traî­nait sur la table et dont nous n’avions pas com­pris l’utilité. Peut-être pour y met­tre du pain ? Pas du tout ! C’est pour y met­tre les fameux os. Oups derechef, donc. Décidé­ment, il nous reste tou­jours à appren­dre, même après cinq mois.

Au revoir Afrique

À la fin de notre itinéraire africain, les sou­venirs se bous­cu­lent. Nous avons du mal à réalis­er tout ce que nous avons vécu, de Dakar à Coto­nou. C’est bien faible un petit à pour sig­ni­fi­er tout ce qui s’est passé entre ces deux villes ! Il faut digér­er ces événe­ments qui nous ont fait grandir et appris tout autant sur nous-mêmes que sur des cul­tures qui nous étaient incon­nues. Nous nous tournons à présent vers la deux­ième par­tie de notre voy­age, en Amérique du Sud. Tro­querons-nous nos vélos con­tre un traîneau tiré par des lamas ? La suite au prochain épisode !

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