De l'Afrique à la Bolivie : Le mont Sajama, 6 542 m, surplombe la route.

17 rayons d’espoir : deux alumni à vélo vers 17 objectifs durables
Épisode 3 : Du Bénin à la Bolivie

Dossier : ExpressionsMagazine N°787 Septembre 2023
Par Matthieu ORIOT (X18)
Par Astrid PERCHET (Ensta)

Nous con­tin­uons les aven­tures du cou­ple des jeunes diplômés, Matthieu Ori­ot (X18) et Astrid Perchet (Ens­ta), à vélo de l’Afrique à la Bolivie. À tra­vers leur voy­age améri­cain à présent, ils racon­tent leur quo­ti­di­en, humaine­ment si riche.


Lire aus­si : 17 rayons d’espoir : deux alum­ni à vélo vers 17 objec­tifs durables, Episode 1 et Épisode 2 : Du Séné­gal au Bénin


Jour 217 depuis notre départ de France. La par­tie africaine de notre périple se trans­forme pro­gres­sive­ment en un joyeux amas de sou­venirs, tous plus var­iés les uns que les autres. Et nous nous lançons avec ent­hou­si­asme dans un nou­veau chapitre du voy­age : les per­son­nages restent les mêmes, mais le décor change dras­tique­ment. Nous voilà en Bolivie !

De Cotonou à La Paz, d’une extrémité de la planète à l’autre

Mais revenons en arrière. Parce que, pour être aujourd’hui en Bolivie, il a d’abord fal­lu y par­venir depuis l’Afrique – et faire en sorte que nos vélos nous suiv­ent sans rechign­er. Nous les avons donc embal­lés bien soigneuse­ment, dans un hôtel à Coto­nou, au Bénin. Le jour du départ, nous quit­tons le con­ti­nent avec émo­tion. C’est le jeu de l’itinérance, à grande ou petite échelle : chaque jour nous offre de nou­velles ren­con­tres, mais chaque départ annonce un nou­v­el adieu. Nous sen­tons qu’à plusieurs endroits il aurait été pos­si­ble de pren­dre racine. Nous sommes des séden­taires dans l’âme qui jouent à imiter les nomades.

Nous prenons un pre­mier avion pour Istan­bul, suivi d’un sec­ond direc­tion Buenos Aires, cap­i­tale de l’Argentine. Mais le tra­jet ne s’arrête pas là : main­tenant, il faut tra­vers­er presque tout le con­ti­nent pour rejoin­dre La Paz, en Bolivie. Afin de lim­iter l’avion, nous avons décidé de pren­dre un bus qui nous emmèn­era directe­ment de Buenos Aires à La Paz, le tout en 48 heures. Com­para­i­son intéres­sante, la dis­tance qui sépare les deux villes est la même que celle entre Le Mans et Kiev. Heureuse­ment, les bus sud-améri­cains sont très con­fort­a­bles, on peut presque s’allonger et des arrêts réguliers sont prévus pour les repas.

La Bolivie, entre nouveautés et repères imprévus

Et enfin nous arrivons à La Paz. La ville sur­plombe le pays avec ses 4 000 mètres d’altitude, c’est la cap­i­tale la plus haute du monde. Il faut nous habituer au manque d’oxygène ; le paracé­ta­mol et les feuilles de coca sont nos meilleurs alliés pour con­tr­er le mal de tête et l’essoufflement à chaque fois que nous mon­tons trois march­es. Nous sor­tons douce­ment le bout de notre nez dehors et, alors que nous nous atten­dions à être totale­ment dépaysés, un ensem­ble de simil­i­tudes avec l’Afrique nous frappe quand nous mar­chons dans les rues.

“Un ensemble de similitudes avec l’Afrique nous frappe quand nous marchons dans les rues.”

Les marchés par lesquels nous pas­sons pro­posent les mêmes pro­duits, en vrac ou présen­tés dans les mêmes grands sacs en plas­tique : tomates, oignons par cen­taines, avo­cats, carottes, riz, pâtes, lots de casseroles, bassines, lunettes de soleil, pan­talons… À côté de ces marchés, des vendeuses pro­posent un assor­ti­ment de plats bon marché à déguster sur place, en guise de déje­uner. Comme en Afrique, ce sont des plats sim­ples et revig­o­rants qui appar­ti­en­nent à la cui­sine tra­di­tion­nelle. Ici, même s’il n’y a plus de man­ioc, on retrou­ve le riz, le poulet en sauce et même des bananes plan­tains ! Ces dames por­tent aus­si des tis­sus col­orés avec des motifs tra­di­tion­nels. Ce ne sont plus des pagnes mais des châles rose vif, vert ten­dre ou bleu roi avec des dessins de lama styl­isés et des hexa­gones et motifs géométriques (nous appren­drons plus tard qu’il s’agit d’une représen­ta­tion du soleil et des étoiles).

Les marchés bariolés de Bolivie rappellent ceux que nous avons découverts en Afrique.
Les marchés bar­i­olés de Bolivie rap­pel­lent ceux que nous avons décou­verts en Afrique.

Nous décou­vrons égale­ment tout un sys­tème de taxis col­lec­tifs très sem­blables à ceux du con­ti­nent que nous venons de quit­ter : ce sont des petites camion­nettes blanch­es, amé­nagées pour accueil­lir une douzaine de pas­sagers. Sur les pare-brise, un ou plusieurs écriteaux indiquent la des­ti­na­tion de ce col­lec­ti­vo. Le pas­sager doit ensuite savoir par où passe la camion­nette afin de véri­fi­er si elle le déposera bien à sa des­ti­na­tion. Nous en emprun­tons un pour aller ran­don­ner dans une val­lée voi­sine et véri­fi­er que nous nous sommes bien acclimatés.

Lamas et alpagas eux jamais faire ainsi ! 

Ces ressem­blances se con­fir­ment alors que nous prenons la route pour nos pre­miers kilo­mètres boliviens. La vie rurale sem­ble tenir une grande place ici aus­si, on a juste trans­for­mé les trou­peaux de vach­es en trou­peaux de lamas et d’alpagas. Il y en a d’ailleurs vrai­ment beau­coup, ce n’est pas un mythe. Nous en croi­sons des dizaines. En revanche, au risque de décevoir les afi­ciona­dos de Tintin, ils ne crachent pas : ils préfèrent s’arrêter quelques sec­on­des, nous con­tem­pler avec mépris, avant de s’éloigner tran­quille­ment d’un air dédaigneux tout en mâchant des herbes piquantes. Nous avons quand même croisé un petit bébé alpa­ga, pas peureux pour un sou, qui était très câlin. Il venait nous voir et essayait de téter nos fer­me­tures éclair. On en garde encore le cœur tout fondu.

Dans chaque pré, un nouvel élevage de lamas, où les petits accompagnent les adultes.
Dans chaque pré, un nou­v­el éle­vage de lamas, où les petits accom­pa­g­nent les adultes.

L’Altiplano n’est pas l’Afrique

Pour­tant, nous le voyons claire­ment, il n’y a pas de doute : nous avons bien changé, et de pays, et de con­ti­nent ! Déjà, la ville de La Paz porte bien son nom. Bien qu’animée, elle nous paraît très pais­i­ble, même dans les lieux où la foule s’amasse. La langue, bien sûr, n’est plus la même puisqu’on par­le espag­nol. Rien de mieux pour pra­ti­quer un peu ; nous ne ren­trerons sûre­ment pas bilingues, mais un peu plus à l’aise. La démo­gra­phie est aus­si claire­ment différente.

Nous ne croi­sons plus des enfants par grappes entières, seule­ment un ou deux emmi­tou­flés dans de larges man­teaux, qui sont très timides et courent se réfugi­er der­rière leurs par­ents. Les vil­lages sont beau­coup moins peu­plés, bien des maisons sem­blent vides. Les ren­con­tres sont moins fréquentes. Nous apprenons pro­gres­sive­ment à les provo­quer, en dis­cu­tant autour d’un plat de pâtes servi dans une can­tine de rue avec nos voisins de table, ou alors en restant sim­ple­ment sur un banc de la place prin­ci­pale d’un village.

Par­fois, notre gros équipage et nos vélos inter­pel­lent et nous nous faisons abor­der, ce qui reste tou­jours une bonne sur­prise. Mais, mal­gré cela, il devient dif­fi­cile de deman­der l’hospitalité. Soit il n’y a per­son­ne pour nous ouvrir, soit on nous ren­voie au vil­lage un peu plus loin pour dormir dans un alo­jamien­to, sorte de motel pour routiers qui per­met d’avoir le con­fort d’une douche et d’un lit muni de gross­es cou­ver­tures. En revanche, les espaces immenses que nous par­courons sont disponibles pour tout le monde ; c’est pourquoi nous faisons beau­coup plus de bivouacs.

Dans les grands espaces de l'Altiplano, nous plantons notre tente au milieu des petits buissons verts.
Dans les grands espaces de l’Alti­plano, nous plan­tons notre tente au milieu des petits buis­sons verts.

Le deuxième volume d’un même voyage

Cette faible den­sité de villes et de pop­u­la­tion ain­si que le cli­mat qua­si déser­tique de l’Altiplano (très chaud et ensoleil­lé le jour, glacial la nuit) nous inci­tent à chang­er notre rythme. Nous prenons le temps pour émerg­er le matin, prof­i­tant d’un thé chaud tan­dis que le soleil pointe douce­ment le bout de son nez. Nous pédalons surtout en fin de mat­inée et en début d’après-midi, pour avoir le temps d’installer notre bivouac le soir. Nous faisons main­tenant la cui­sine au feu de bois, le réchaud ne sort presque plus de sa sacoche. Et à 19 h 30, au lit ! Ou plutôt direc­tion la tente.

Nous avons mis en place tout un proces­sus de couch­es mul­ti­ples pour nous emmi­tou­fler : pyja­ma, gross­es chaus­settes, pulls, pull sur les pieds, sac à viande, duvet et sum­mum du luxe : une bouil­lotte d’eau chaude à gliss­er au fond du sac de couchage pour réchauf­fer les extrémités. Nous évi­tons ain­si à nos pieds de gel­er comme les gour­des. Ces dernières nous ser­vent d’ailleurs de ther­momètre : ont-elles gelé entière­ment ? L’huile pour la cui­sine a‑t-elle figé dans sa bouteille ? Si oui, c’est que nous sommes bien passés en dessous des ‑5 °C cette nuit !

Avant que le froid tombe, le feu où le réchaud sont de précieux alliés pour la soirée qui s'annonce.
Avant que le froid tombe, le feu où le réchaud sont de pré­cieux alliés pour la soirée qui s’annonce.

Continuités et contraintes

La végé­ta­tion se plie aus­si à ce cli­mat rude. Pas d’arbre à l’horizon, seule­ment des touffes d’herbes piquantes et des petits buis­sons verts, sûre­ment des résineux, ne dépas­sant pas les 50 cm. Ceux-ci nous four­nissent éton­nam­ment beau­coup de bois pour le feu du soir. Certes pas des bûch­es énormes, mais des branch­es tout à fait raisonnables pour faire revenir des oignons. Et, plus nous descen­dons vers le sud, plus nous ren­con­trons de gros cac­tus dignes des meilleurs west­erns. L’altitude et le soleil ren­dent la région très sèche. Là-dessus aus­si, il a fal­lu adapter notre fonc­tion­nement. Nous rem­plis­sons notre bidon de 10 l dès que pos­si­ble, dans les vil­lages ou plus rarement dans les riv­ières, pour être cer­tains d’avoir de l’eau en quan­tité suffisante.

“Ces kilomètres en Bolivie sont bien dans la continuité des cinq mois déjà écoulés.”

De la même manière, il n’est pas rare qu’on trou­ve dans nos sacoches l’autonomie pour trois jours en nour­ri­t­ure, faute de points réguliers de rav­i­taille­ment. Pour­tant, même si tout ça est très dif­férent de ce que nous avons vécu en Afrique, nous n’avons pas l’impression de vivre une deux­ième aven­ture, qui serait indépen­dante. Ce n’est pas non plus une red­ite autour de la rou­tine « décou­verte du pays – prise de rythme – bilan ». Ces kilo­mètres en Bolivie sont bien dans la con­ti­nu­ité des cinq mois déjà écoulés.

Ce que nous avons appris sur la route hier nous sert aujourd’hui. Nous savons com­bi­en de kilo­mètres nous pou­vons rouler en une journée, quelle hau­teur nous pou­vons grimper en une heure. Nous détec­tons mieux la fatigue et nos besoins en pause. Nous gar­dons le lien avec les per­son­nes ren­con­trées sur la route et leur par­lons de nos décou­vertes améri­caines. Et puis, le pro­jet « 17 rayons d’espoir » con­tribue pour beau­coup à con­stru­ire cette unité du voyage.

La création des podcasts

Nous sommes tou­jours lancés dans la créa­tion de nos pod­casts. Sur notre par­cours, nous avons décou­vert un avan­tage de ce mode de com­mu­ni­ca­tion : il nous incite à ouvrir tout grand nos oreilles. Non seule­ment nous voyons et gar­dons des sou­venirs grâce aux pho­tos, mais les sons qui nous entourent pren­nent une place toute priv­ilégiée grâce à notre petit micro.

Un bruisse­ment d’oiseaux nous rap­pelle la forêt pri­maire de Zia­ma où nous avons dor­mi, le vrom­bisse­ment des camions évoque une nationale par­ti­c­ulière­ment fréquen­tée en Gam­bie, le chant des enfants au Bénin nous ramène à notre dernière nuit chez l’habitant en Afrique, le crépite­ment du feu par­le de ce bivouac sous les étoiles en Bolivie… Les pod­casts ont voca­tion à la fois à doc­u­menter notre périple et, surtout, à ren­con­tr­er 17 asso­ci­a­tions sur notre itinéraire en liai­son avec les 17 objec­tifs du développe­ment durable (ODD) de l’ONU. Aucune de ces asso­ci­a­tions n’a été repérée à l’avance.

Parfois, c'est au cours d'un repas pris à la même table que nous pouvons faire des rencontres. ¡Provecho!
Par­fois, c’est au cours d’un repas pris à la même table que nous pou­vons faire des ren­con­tres. ¡Prove­cho !

Les associations locales

À chaque fois, quand nous arrivons dans un lieu intéres­sant, nous com­mençons à prospecter. En pas­sant par les réseaux soci­aux, inter­net, le bouche à oreille, par­fois grâce à des ren­con­tres for­tu­ites, nous trou­vons des per­son­nes au par­cours intéres­sant, qui œuvrent pour leur pays, leur com­mu­nauté, pour ren­dre le monde un peu plus juste et un peu meilleur. Sou­vent, nous essayons de les appel­er ou de les ren­con­tr­er une pre­mière fois afin d’expliquer notre démarche. Nous racon­tons notre voy­age, nous présen­tons le principe des pod­casts et nous essayons de mieux com­pren­dre ce que fait l’association.

Vient ensuite le moment de l’entretien : dans la mesure du pos­si­ble, nous cher­chons un coin calme pour éviter les bruits par­a­sites. Par­fois nous inter­ro­geons une seule per­son­ne, respon­s­able de l’association, comme à Man en Côte d’Ivoire où nous avons ren­con­tré Valérie Vaï, en lutte con­tre l’excision. Par­fois c’est un groupe entier qui peut être là, comme à Koulé en Guinée où toutes les vieilles femmes de la ville sont venues nous voir. Ces ren­con­tres sont tou­jours surprenantes. 

Dans le rythme habituel du vélo, nous n’aurions jamais eu l’occasion de par­ler avec ces gens, ni d’aborder des sujets de dis­cus­sion aus­si pré­cis que l’impact de la pêche sur les écosys­tèmes locaux ou les recettes de cui­sine pour éviter la mal­nu­tri­tion des petits enfants. Par­fois, nous avons la chance de décou­vrir le ter­rain qui forme le quo­ti­di­en de ces struc­tures. Ain­si, à Labé en Guinée, nous avons ren­con­tré des agricul­teurs qui nous ont mon­tré leurs champs, leurs éle­vages et les ruch­es mod­ernes nou­velle­ment instal­lées. Tout en pas­sant un moment vrai­ment con­vivial avec les dif­férents acteurs, nous décou­vrons d’autres réalités. 

Un engouement réconfortant

Nous sommes et restons des ama­teurs, et nous avons par­fois été sur­pris de l’engouement sus­cité par le pro­jet. Quand, à ­N’Zérékoré en Guinée, on a organ­isé pour nous une démon­stra­tion culi­naire afin que nous puis­sions enreg­istr­er le pod­cast, rassem­blant une dizaine d’intervenantes et de femmes venues avec leurs enfants, nous avions peur de ne pas être à notre place. 

Nous ne sommes pas jour­nal­istes, notre audi­mat est petit, loin des grands canaux d’information de la presse écrite ou audio­vi­suelle. Pour­tant, le nom­bre de ceux qui désirent être enten­dus est impor­tant. Et aujourd’hui, alors que nous sommes en ­Bolivie, un nou­veau défi se présente à nous : le pays est his­panophone ! Toutes les inter­views doivent être menées en espag­nol, puis dou­blées pour notre pub­lic fran­coph­o­ne. Gare aux con­tre­sens et aux incom­préhen­sions, donc. Mais il sem­ble que, ici aus­si, de nom­breuses per­son­nes œuvrent pour des caus­es var­iées et, à l’heure où nous écrivons, nous avons déjà pu ren­con­tr­er deux asso­ci­a­tions bolivi­ennes. Pod­casts à suivre… 

17 rayons d’espoir

Cer­taines de ces ren­con­tres nous mar­quent pro­fondé­ment et nous nous sen­tons chang­er, ou en tout cas mûrir grâce aux dis­cus­sions que nous avons eues. Le quo­ti­di­en des jeunes filles mères à Kul­li­maa­roo, vic­times de vio­lence dans leurs famille, adouci après une équipe de femmes soignantes et prévenantes ; la per­sévérance de Lamine Souané pour pren­dre soin des per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap ; l’optimisme de Del­phine Chak­pla quant à la réus­site des jeunes dont elle s’occupe… Voilà autant d’exemples qui ray­on­nent d’espoir et nous don­nent envie de nous inve­stir, nous aus­si, dans le monde. Et nous espérons bien partager ces pépites dans nos pod­casts ! Nous ne savons pas dans quelle mesure tout cela aura un impact. Mais si, par­mi ceux qui nous écoutent, une ou deux per­son­nes peu­vent être aus­si touchées que nous l’avons été, alors nous con­sid­érerons que le pro­jet est une réussite.


Pour en savoir plus 

En cou­ver­ture : Le mont Saja­ma, 6 542 m, sur­plombe la route.

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