Les montagnes rouges d’Argentine offrent des points de vue magnifiques.

17 rayons d’espoir : deux alumni à vélo vers 17 objectifs durables
Épisode 4 : Du salar d’Uyuni au parc de Sceaux

Dossier : ExpressionsMagazine N°788 Octobre 2023
Par Matthieu ORIOT (X18)
Par Astrid PERCHET (Ensta)

Les meilleures choses ont une fin… Nous ter­mi­nons les aven­tures de Matthieu Ori­ot (X18) et Astrid Perchet (Ens­ta) à vélo de l’Afrique à la Bolivie. Et ils tirent pour nous leurs con­clu­sions de leur périple hors du commun !


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Il est émou­vant de revenir sur les derniers mois de notre voy­age et d’écrire ces quelques mots sur un canapé bien con­nu, chez nos par­ents. Au dernier épisode, nous étions quelque part au milieu de la Bolivie. Mais que s’est-il passé depuis lors ? Du salar d’Uyuni jusqu’au parc de Sceaux, voici le réc­it de la fin de notre périple. 

Vers le salar d’Uyuni

Nous avions lais­sé nos vélos à Oruro, une ville au bord de l’Alti­plano, cette grande éten­due plane à plus de 4 000 m d’altitude. Der­rière la ville le plateau, peu­plé seule­ment de lamas, de petits buis­sons verts et de quelques vil­lages éparpil­lés. À ses côtés, des bour­relets de mon­tagnes qui indiquent la fin du plateau et à ses pieds des val­lées, des rocs, des éboule­ments qui sig­na­lent l’entrée brute dans les Andes. Nous par­tons plein sud, car à une cen­taine de kilo­mètres de là nous attend le mythique salar d’Uyuni. C’est un vaste désert de sel, le plus grand du monde. On peut même l’apercevoir sur des vues satel­lites, telle­ment sa blancheur est écla­tante. Le tra­vers­er est un grand clas­sique du voy­age à vélo, mais le terme « désert de sel » reste très impres­sion­nant. Alors nous anticipons. Nous étu­dions la carte pour choisir l’itinéraire le plus adap­té. Il nous faut au moins deux jours de vélo pour tra­vers­er le désert. Au cen­tre, il y a plusieurs îlots, dont un par­ti­c­ulière­ment con­nu. Il s’appelle Inc­ahuasi, surnom­mé aus­si « l’île aux cac­tus ». Ce sera notre point de chute pour la nuit. Nous espérons ne pas nous per­dre, en l’absence totale de points de repère. Nous restons quelques jours en bor­dure du salar, pour repren­dre des forces et nous assur­er que nous sommes prêts. Et nous par­tons. Sen­sa­tion grisante de vivre une aven­ture dans l’aventure.

Une mer de sel

En quit­tant le rivage ocre du vol­can Tunupa, nous roulons pour la pre­mière fois sur cette mer de sel qui s’étend à perte de vue. Le ciel est très bleu, le sol est très blanc. En y regar­dant de plus près, l’eau de la sai­son des pluies s’est éva­porée sur le sel en lais­sant de grands hexa­gones se for­mer. Lorsque nous roulons dessus, ça croustille ! Matthieu trou­ve une image très par­lante : on dirait le dessus géant d’une tarte au cit­ron meringuée. Après quelques coups de pédale, nous sen­tons un goût de sel au fond de la gorge à force de respir­er les embruns secs. Nous sommes seuls au monde. Et voici que l’on aperçoit Inc­ahuasi sur l’horizon. La per­spec­tive nous trompe : alors que nous estimions l’île à un quart d’heure de route, il nous fau­dra en fait presque une heure pour la rejoindre.

Incahuasi et ses milliers de cactus surplombent le désert de sel.
Inc­ahuasi et ses mil­liers de cac­tus sur­plombent le désert de sel.

La concentration touristique 

Inc­ahuasi est véri­ta­ble­ment une île plan­tée au milieu du sel, recou­verte de hauts cac­tus. L’endroit est mag­ique. Quand nous arrivons, c’est un choc : nous sommes bien loin d’être seuls, puisque des dizaines de 4x4 sont garés au pied de l’île, et autant de touristes se promè­nent sur les sen­tiers bal­isés pour décou­vrir le salar vu de haut. Le con­traste avec la soli­tude dans le désert est frap­pante. L’effet de con­cen­tra­tion, parce que ce lieu est « à voir », nous inter­pelle aus­si car nous ne sommes pas dans la même tem­po­ral­ité que tous ces voyageurs qui vis­i­tent la région d’Uyuni et de Sud Lípez en trois jours. Nous retrou­verons cette sen­sa­tion étrange de décalage à plusieurs repris­es dans notre tra­ver­sée améri­caine, à chaque pas­sage dans des zones très touris­tiques, comme dans le nord de l’Argentine par exem­ple. Qu’à cela ne tienne, nous restons comme prévu sur l’île et deman­dons l’hospitalité au gar­di­en des lieux, qui nous prête un mate­las pour pass­er la nuit dans cet endroit glacial. Au cré­pus­cule, la foule repart et il ne reste que nous et les cac­tus de l’île.

Dans le salar, plus de perspectives. Quoi de mieux qu’un bon casse-croûte pour reprendre des forces ?
Dans le salar, plus de per­spec­tives. Quoi de mieux qu’un bon casse-croûte pour repren­dre des forces ?

Traversée réussie !

Pour la deux­ième journée de route, le paysage n’a guère changé et il faut rouler plus de 70 km pour attein­dre le bord du salar : c’est plus que n’importe quelle étape depuis que nous avons quit­té Dakar. Nous par­tons de bonne heure, alors que le soleil se lève à peine, plein est, à pleine vitesse. La météo est tou­jours excel­lente. Le sel est tou­jours aus­si blanc et le désert tou­jours aus­si vide. Alors, pour la pre­mière fois du voy­age, nous met­tons de la musique pour nous don­ner du courage et faire pass­er le temps. Nous faisons aus­si quelques arrêts, mal­gré le froid, pour remet­tre une triple couche de crème solaire ou pren­dre des pho­tos. Quand nous arrivons aux rivages du salar, nous décou­vrons le mon­u­ment de sel en l’honneur du Paris-Dakar délo­cal­isé en Amérique latine, dont l’arrivée se fai­sait ici, au bord du désert. Un petit clin d’œil qui rap­pelle le début de notre périple. Avec la fin du sel revi­en­nent les petits buis­sons verts et les vil­lages. Nous avons réus­si la tra­ver­sée ! Certes, nous avons beau­coup roulé et l’étape est mythique pour tout cyclo­touriste. Mais finale­ment ce n’était pas si dif­fi­cile que ça, et nous arrivons à Uyu­ni bour­rés d’engelures mais en pleine forme.

Le feu est plus qu’indispensable pour se réchauffer à la nuit tombée.
Le feu est plus qu’indispensable pour se réchauf­fer à la nuit tombée.

Le long de la route

À la suite de cet épisode mar­quant, nous avons l’impression que la fin du voy­age est déjà proche, alors qu’il nous reste deux mois à l’étranger. Une forme de fatigue s’installe. Le froid des nuits est de plus en plus vif et, si nous savourons cha­cune de nos soirées au coin du feu sous le ciel étoilé, les nuits sous la tente devi­en­nent dures. Mon­tre en main, il nous faut une demi-heure pour enfil­er pyja­ma, chaus­settes, dou­ble couche de pulls, pull autour des pieds, sac à viande, bon­net du ven­tre, duvet, man­teau autour des pieds et bouil­lotte chauf­fée sur le feu. Imag­inez le drame quand il faut aller aux toi­lettes en pleine nuit… Nous arrivons tou­jours à dormir, mais les pre­miers rayons du soleil appor­tent à chaque fois un soulage­ment inouï. Aujourd’hui encore, le jour se lèvera et sera là pour nous réchauf­fer. En con­séquence, nous dor­mons dès que pos­si­ble en dur. Chaque soir, nous essayons de deman­der l’hospitalité chez l’habitant, ce qui fonc­tionne rarement. Sinon, nous visons des alo­jamien­tos, de petits motels qui nous per­me­t­tent de ne pas avoir trop froid la nuit. 

L’Argentine, enfin !

Enfin, nous arrivons à la fron­tière et pas­sons en Argen­tine. Nous avons choisi notre itinéraire pour arriv­er jusqu’à Salta, une ville au nord-ouest de l’Argentine. Mais nous nous ren­dons compte que nous roulons plus vite que prévu. Nous pour­rons donc pouss­er un peu plus loin et rejoin­dre Cafay­ate, et même San Miguel de Tucumán. Cet itinéraire, fait un peu par hasard, surtout pour min­imiser le dénivelé posi­tif sur notre par­cours, nous per­met en fait de pass­er par des régions absol­u­ment splen­dides, sur un itinéraire bien con­nu dans les provinces de Jujuy et Salta en Argen­tine. Nous ne nous aven­turerons pas à décrire les paysages ici, d’autres l’ont fait avant nous, mais nous dirons sim­ple­ment que nous nous sommes régalés à tra­vers­er les val­lées et les gorges aux milles couleurs et à retrou­ver peu à peu des tem­péra­tures plus douces. Dans la province de Jujuy, nous croi­sons des man­i­fes­ta­tions. Ici, pour exprimer un désac­cord, les habi­tants blo­quent les routes avec des bar­rages en palettes de bois et pneus de voiture. La plu­part du temps, nous pou­vons les con­tourn­er en met­tant pied à terre : c’est l’avantage de voy­ager à vélo et pas en voiture ! Mais l’un des bar­rages est trop bien fer­mé. Nous voilà oblig­és d’attendre avec la file de voitures que la route s’ouvre pour nous laiss­er passer.

La culture sud-américaine comprise en pointillés

À cette occa­sion, nous dis­cu­tons de la sit­u­a­tion avec une Argen­tine. Elle est quechua et vit dans un petit vil­lage des envi­rons. Un nou­veau gou­verneur de province vient d’être élu et il a fait pass­er une réforme de la con­sti­tu­tion locale, attribuant la pro­priété des ter­res non plus aux habi­tants mais à la province. Or, dans cette région, la ressource prin­ci­pale est le lithi­um. Les habi­tants craig­nent de se voir enlever leurs ter­res pour l’implantation de mines, surtout dans un con­texte où la demande mon­di­ale pour ce min­erai est de plus en plus forte. Plus tard, nous ren­con­trons un cou­ple d’Argentins venant de la province de San­ta Fe, en vacances dans le coin. Avec eux, nous décou­vrons que l’Argentine est partagée sur le sujet, puisqu’ils voient dans cette réforme un levi­er pour redress­er l’économie en crise du pays. À l’inverse de l’Argentine qui cherche à con­stituer un État-nation sur le mod­èle des pays européens, où tous les peu­ples for­ment la Nation argen­tine, la Bolivie se proclame « État pluri­na­tion­al ». La dif­férence est sub­tile, mais il nous a sem­blé que la sit­u­a­tion des peu­ples aborigènes était plus pais­i­ble en Bolivie qu’en Argen­tine. Il faut dire que la Bolivie est le seul pays d’Amérique latine où les Indios sont majori­taires. Visuelle­ment, le plus remar­quable est qu’en Bolivie deux dra­peaux sont recon­nus comme offi­ciels : le dra­peau bolivien rouge, jaune et vert, avec son bla­son sur­mon­té d’un con­dor, et le Wipha­la. Ce dernier est un dami­er aux couleurs de l’arc-en-ciel, chaque couleur ayant une sig­ni­fi­ca­tion. Par exem­ple, le rouge sym­bol­ise la Pachama­ma (la Terre-mère) et le vert l’économie et la pro­duc­tion andine. En Argen­tine, le Wipha­la n’est pas offi­ciel, mais il est aus­si util­isé par les com­mu­nautés aborigènes des Andes pour affirmer leur iden­tité et revendi­quer leurs droits. Ce dra­peau est si beau que Matthieu décide de l’arborer fière­ment à l’avant de son vélo !

Le beau Wiphala de Matthieu flotte au vent.
Le beau Wipha­la de Matthieu flotte au vent.

Le défi du retour, ou comment bien rentrer

À mesure que nous avançons, les paysages changent : nous arrivons bien­tôt dans la région viti­cole de Cafay­ate, puis nous enta­mons la dernière mon­tée et le dernier col avant de rejoin­dre San Miguel de Tucumán. Nous qui voulions min­imiser le dénivelé, nous voilà embar­qués dans une côte sans fin pour bien ter­min­er notre itinéraire ! Nous embal­lons nos vélos pour la dernière fois. C’est ici que notre périple améri­cain à bicy­clette se ter­mine. Pour autant, nous restons encore un peu sur le con­ti­nent, puisqu’il nous reste deux semaines avant de rejoin­dre l’Europe. Nous expé­dions nos vélos par col­is jusqu’à Buenos Aires et prof­i­tons de notre légèreté retrou­vée pour aller jusqu’aux extra­or­di­naires chutes d’Iguazú, proches de la triple fron­tière Brésil – Paraguay – ­Argen­tine, et y jouer les touristes. Nous qui haus­sions les sour­cils en voy­ant les nom­breux vis­i­teurs du salar d’Uyuni, c’est à notre tour d’être dans la masse des touristes sur ces cas­cades. Nous revenons ensuite à Buenos Aires où nous attend notre avion. À la veille du retour, nous prenons le temps de faire le point sur ce voy­age qui nous aura telle­ment apporté. Nous pas­sons une après-midi entière à nous racon­ter mutuelle­ment nos aven­tures en Afrique et en Amérique et, ensem­ble, nous pas­sons du rire aux larmes à mesure que nous pour­suiv­ons le réc­it. « Tu te rap­pelles, ce jour-là, quand nous avons dû faire du stop au milieu de la brousse parce que j’étais malade ? Et cette autre fois, quand le petit Fran­quito, trois ans, nous a demandé si notre tente était une tortue ? » Et nous réal­isons l’ampleur de ce que nous avons vécu. Nous nous inter­ro­geons : com­ment, au retour, auprès de nos proches ou de ceux qui ne nous con­nais­sent pas, pour­rons-nous racon­ter cette aven­ture ? Que répon­dre à ceux qui nous deman­derons : « Alors, le voy­age, c’était bien ? » De manière très prag­ma­tique, nous avons déjà plan­i­fié une arrivée en douceur, puisque nous atter­ris­sons à Lon­dres et que nous pédalerons pen­dant deux semaines entre Lon­dres et Paris. Pour nous, c’est mieux que d’atterrir directe­ment à Rois­sy ; nous pour­rons repren­dre pied tran­quille­ment avec la vie en France. En plus, nos frères et sœur et des amis devraient nous rejoin­dre pour partager les derniers kilo­mètres avec nous.

Monter dans le ferry qui nous ramène en France : plus que quelques mètres !
Mon­ter dans le fer­ry qui nous ramène en France : plus que quelques mètres !

Le gain de la confiance en soi

Et pour la suite, pour le retour au quo­ti­di­en ? Cette année sur les routes nous aura mon­tré ce dont nous sommes capa­bles. Rouler plus de 5 000 km sur de vieux vélos et appren­dre à les entretenir, voilà déjà un défi en soi, et nous réal­isons tout juste que nous l’avons accom­pli. Nous savons aus­si main­tenant que nous avons con­fi­ance dans le fait d’arriver au bout d’un pas­sage dif­fi­cile, côte ou grosse dis­tance. Bien sûr, ça risque d’être dur, il fau­dra pren­dre le temps, prévoir le rav­i­taille­ment néces­saire et faire des paus­es. Mais ça passera. Et nous remar­quons que cette con­fi­ance tran­spire pour la suite de nos vies : nous sommes sere­ins pour l’avenir, à deux nous parvien­drons à avancer. For­cé­ment, un an à dormir sous la tente, avec qua­tre T‑shirts, en partageant un énorme bou­quet de sou­venirs com­muns, ça mar­que ! Chaque par­celle de vécu nous aura per­mis de mieux nous con­naître l’un l’autre.

“On fait trois voyages. Le premier, c’est la préparation. Le deuxième, c’est le voyage lui-même. Le dernier, c’est quand on le raconte.”

Le mal du pays après sept mois à l’étranger ou une suc­ces­sion de pique-niques pain-sardines-et‑c’est-tout ont dévoilé des faib­less­es que nous apprenons à apprivois­er, et des forces sur lesquelles nous savons pou­voir compter. À l’heure où nous écrivons cet arti­cle, nous ne sai­sis­sons prob­a­ble­ment pas l’entièreté de ce que nous aura apporté cette année. C’est à la relec­ture des mois qui arrivent que nous pour­rons affin­er le tableau. J’ai enten­du un jour cette phrase : « On fait trois voy­ages. Le pre­mier, c’est la pré­pa­ra­tion. Le deux­ième, c’est le voy­age lui-même. Le dernier, c’est quand on le racon­te. » Alors en avant pour le troisième voyage !

C’est la grande arrivée ! Quelle joie de retrouver tout le monde !
C’est la grande arrivée ! Quelle joie de retrou­ver tout le monde !

Vers d’autres défis ! 

Nous sommes main­tenant ren­trés en France, où nous retrou­vons avec joie nos familles et nos amis. Ils nous attendaient avec de grandes ban­deroles au parc de Sceaux, point final de notre folle équipée. Nous récurons nos gamelles et remet­tons nos vélos au garage : ils méri­tent une bonne séance de brico­lage, mais nous atten­drons un peu avant de nous y plonger. Ce qui est sûr, c’est que nous avons été con­va­in­cus par ce mode de voy­age. Nous ne repar­tirons pas dans l’immédiat pour une aven­ture de cette ampleur, mais pédaler les quinze derniers jours dans le Sus­sex et en Nor­mandie nous a don­né envie de décou­vrir l’Europe sur nos bicy­clettes. Et puis, main­tenant, d’autres défis nous atten­dent. Ce voy­age a été une charnière entre nos vies d’étudiant et celles de jeune pro­fes­sion­nel. Après avoir été témoins de l’engagement des dix-sept rayons d’espoir ren­con­trés, nous souhaitons à notre tour nous engager ensem­ble dans notre quo­ti­di­en. Mais, ça, c’est une autre histoire…


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