Nous, Astrid et Matthieu, sur les pistes en latérite du Sénégal pour leur projet 17 rayons d'espoir

17 rayons d’espoir : deux alumni à vélo vers 17 objectifs durables

Dossier : ExpressionsMagazine N°783 Mars 2023
Par Matthieu ORIOT (X18)
Par Astrid PERCHET (Ensta)

Matthieu Ori­ot (X18) et Astrid Perchet (Ens­ta) sont un cou­ple de jeunes diplômés qui, avant de se lancer dans une vie pro­fes­sion­nelle fréné­tique, a décidé de mon­ter un pro­jet, appelé 17 rayons d’espoir, à la fois écore­spon­s­able et riche en décou­vertes. À vélo en Afrique puis en Amérique du Sud, ils vont à la ren­con­tre d’initiatives locales en lien avec les 17 objec­tifs de développe­ment durable, pour s’inspirer des échanges avec des cul­tures var­iées. Nous suiv­rons leurs aven­tures et l’évolution de ce pro­jet en plusieurs épisodes.

Un pas devant l’autre, nous lev­ons la tête vers le ­som­met embrumé du mont Granier. Voilà un mois que nous n’avions pas ran­don­né ensem­ble dans la Char­treuse. 

10 juillet 2021, jour 465 avant le départ, la genèse de notre projet

Je m’appelle Matthieu et, dans le cadre de mon stage de troisième année à l’X, j’ai passé un mois au Séné­gal d’où je ren­tre à peine.

Moi, Astrid, étu­di­ante à l’Ensta Paris, je suis en stage de césure à Grenoble.

Nous aimons ces moments prop­ices aux dis­cus­sions où nous nous retrou­vons tous les deux sur les chemins. Le sujet revient une fois de plus sur la table : la fin de nos études approche et nous voulons par­tir. Vivre une année excep­tion­nelle, hors du temps, se lancer dans une aven­ture de cou­ple qui nous fera grandir et décou­vrir de nou­velles réal­ités. Voilà main­tenant plus d’un an que nous en par­lons. Pourquoi ne pas prof­iter de la fin de nos études pour nous lancer ?

C’est le moment idéal, remar­quons-nous alors que nous con­tournons un bosquet de sap­ins. Nous n’avons pas encore d’attaches, pas d’emploi à quit­ter ou à met­tre en pause, quelques économies à la suite de nos stages respec­tifs. Alors que le brouil­lard qui ­masquait la val­lée s’est enfin levé, notre déci­sion est prise : nous fer­ons le voy­age de notre vie, le dernier où nous pren­drons l’avion, qui nous per­me­t­tra de décou­vrir en pro­fondeur de nou­veaux modes de vie et qui s’inscrira dans le temps long. 

13 août 2022, jour 66 avant le départ, les préparatifs

Plus d’un an a passé depuis ce jour où nous avons pris la déci­sion de par­tir. Que de pré­parat­ifs depuis lors ! Sur les routes du Lot en mon­tant vers ­Roca­madour, nous testons une dernière fois nos vélos et le matériel que nous empor­tons. Notre choix est fixé : le voy­age se fera à bicy­clette. Ce mode de ­trans­port lent, à la force de nos jambes, nous séduit. Le rythme d’une journée à vélo est suff­isam­ment sou­ple pour trou­ver un héberge­ment et de l’eau tous les soirs, avancer d’une belle dis­tance chaque jour, mais aus­si prof­iter de chaque kilo­mètre par­cou­ru, bien plus qu’en voiture. 

Dans nos sacoches, nous trans­portons de quoi camper et cuisin­er au réchaud, des rustines et de quoi entretenir les vélos, et enfin nos pré­cieuses liseuses. Notre futur itinéraire se des­sine, il a été longue­ment réfléchi. Ce sera d’abord cinq mois en Afrique de l’Ouest, de Dakar à Coto­nou en pas­sant notam­ment par la Guinée et la Côte d’Ivoire, puis cinq mois en Amérique du Sud, de Bolivie jusqu’en Uruguay. Sur cette route, nous ­tra­verserons de beaux espaces naturels, nous ­ren­con­trerons des per­son­nes d’horizons var­iés, tout en roulant en sécurité.

“Nous ferons le voyage de notre vie, qui nous permettra de découvrir en profondeur de nouveaux modes de vie et qui s’inscrira dans le temps long.”

Nous avons égale­ment trou­vé un fil rouge pour nous con­duire tout au long de notre itinéraire. Sur notre chemin, nous souhaitons ren­con­tr­er dix-sept asso­ci­a­tions locales, dont les actions par­tent du ter­rain, pour décou­vrir autre chose que les grandes asso­ci­a­tions inter­na­tionales sou­vent déjà très con­nues. Chaque asso­ci­a­tion sera en lien avec l’un des dix-sept objec­tifs du développe­ment durable (ODD) de l’ONU.

Nous avons choisi cette trame, non seule­ment pour se fix­er un cadre et nous per­me­t­tre de ren­con­tr­er des ini­tia­tives de domaines var­iés, mais aus­si car les ODD sont au pro­gramme de la classe de sec­onde, et nous avons mon­té un parte­nar­i­at avec une classe d’un lycée dans les Hauts-de-Seine. Nous trou­verons les asso­ci­a­tions sur place et nous réalis­erons pour cha­cune d’elles un pod­cast ; une petite émis­sion audio d’une quin­zaine de min­utes pour doc­u­menter ses actions. 

La route nous appelle, nous avons hâte de nous ­lancer pour de bon !

Notre voyage est l'occasion de rencontrer des gens de tous horizons.
Notre voy­age est l’oc­ca­sion de ren­con­tr­er des gens de tous horizons.

17 octobre 2022, veille du départ

Il y a deux jours, nous avons invité nos amis de tous hori­zons pour une dernière soirée d’au-revoir. Nous avons fait le plein de sourires et de mots d’encouragement, tout en racon­tant une dernière fois le pro­gramme qui nous attend. Cha­cun a choisi un pays d’où il souhaite recevoir une carte postale et dans cette ambiance fes­tive, nous nous sommes vrai­ment ren­du compte à quel point nos proches allaient nous man­quer. Ce voy­age n’est pas une fuite de notre quo­ti­di­en ni une occa­sion de couper les ponts. C’est notre aven­ture, mais à laque­lle nous voulons faire par­ticiper tous ceux qui nous sont chers. 

Demain, le réveil son­nera bien avant l’aube et nous rejoin­drons l’aéroport. Tous nos bagages sont prêts, les vélos sont démon­tés et soigneuse­ment embal­lés dans des tonnes de car­ton pour résis­ter aux chocs du voy­age. Les hori­zons qui nous atten­dent nous font peur, mais ils sont exaltants.

19 octobre 2022, arrivée à Dakar

Nous voilà arrivés à Dakar ! Ça nous a fait un choc, au moins 30 °C à l’ombre en sor­tant de l’aéroport con­tre les 5 °C à notre départ de Paris. Tout est ­dif­férent : les bruits, les couleurs, les odeurs, les voix se mélan­gent en un joyeux cock­tail impos­si­ble à décrypter. Nous sommes plongés dans le grand bain. Matthieu retrou­ve ses mar­ques, lui qui con­naît bien Dakar pour y avoir passé six mois de stage DFHM. 

Mais la ville a déjà changé, cer­tains endroits ne sont plus acces­si­bles au pub­lic, des immeubles ont poussé comme des champignons, les tar­ifs de la vie quo­ti­di­enne sem­blent avoir un peu aug­men­té… Les chèvres côtoient les SUV dans la rue, les chantiers Eiffage pren­nent place à côté de bico­ques en briques arti­sanales, les rues en terre battue sont par­cou­rues d’une mul­ti­tude de motos et de taxis jaunes, ­accom­pa­g­nés de char­rettes tirées par des ânes. Astrid apprend quelques mots de wolof, la langue la plus par­lée au Séné­gal, et nous par­tons explor­er la ville. Vu la cir­cu­la­tion, nous pren­drons un trans­port pour sor­tir de la presqu’île et com­mencer à pédaler un peu plus loin.

26 octobre 2022, jour 9, arrivée à Toubab Dialaw

Hier, nous sommes arrivés dans un petit vil­lage au sud de Dakar, Toubab Dialaw, qui sera le point de départ pour notre périple. Nous avons remon­té nos vélos et, joie ! aucune casse n’est à déplor­er. ­Mal­heureuse­ment, Astrid est tombée malade. Il va fal­loir atten­dre avant de pren­dre la route, mal­gré notre impa­tience qui monte. C’est dur de patien­ter, mais savoir que nous avons tout notre temps nous aide à ne pas nous press­er. Le voy­age passe aus­si par là ! 

31 octobre 2022, jour 14, 55 km parcourus, un rêve qui devient réalité

Il y a quelques jours, nous avons enfourché nos vélos et don­né nos pre­miers coups de pédale. Ce moment de bon­heur intense restera gravé dans nos mémoires : c’est la réal­i­sa­tion d’un rêve et d’un pro­jet con­stru­it sur plus d’un an qui se con­cré­tise enfin. Pour les ­pre­miers jours, nous avons décidé de faire de petites étapes, sans dépass­er les trente kilo­mètres quo­ti­di­ens. Nous deman­dons l’hospitalité dans des pres­bytères, nom­breux dans cette par­tie du Sénégal.

Nous ­com­mencerons à chercher des asso­ci­a­tions dans quelques jours, quand nous aurons vrai­ment pris le rythme. En atten­dant, ce soir, nous dor­mons à ­M’Bodiène, non loin de la côte, en pays sérère. La chaleur des pre­miers jours se main­tient mais, ­main­tenant que nous avons quit­té les gross­es ­aggloméra­tions urbaines, la tem­péra­ture de la nuit devient tout à fait sup­port­able. Heureuse­ment, nous arrivons juste en fin de sai­son des pluies : nous ­échap­pons ain­si à l’humidité con­stante et aux ­tem­péra­tures les plus fortes. Nous avons choisi l’Afrique de l’Ouest comme des­ti­na­tion entre autres à cause de son cli­mat, bien plus clé­ment qu’en Europe. 

7 novembre 2022, jour 21, 192 km, première nuit en village

Ce soir, nous dor­mons pour la pre­mière fois dans un tout petit vil­lage où per­son­ne ne par­le français. Nous avons com­pris avec force gestes et sourires qu’il s’appelle Keur Niaout. Nous y sommes accueil­lis à bras ouverts, accom­pa­g­nés par des enfants de toute part, très curieux de nous voir mon­ter la tente. Alors que nous nous reposons sur des chais­es qui nous ont été gen­ti­ment apportées, nous réal­isons à quel point nous sommes heureux. Sur ce con­ti­nent mécon­nu qu’est l’Afrique, nous nous sen­tons à notre place. Nous avons l’impression que le vélo nous rend plus acces­si­bles et nous per­met vrai­ment d’aller à la ren­con­tre des gens, car il nous incite à rechercher le con­tact. 

Sur notre route, nous sommes souvent observés par des enfants curieux.
Sur notre route, nous sommes sou­vent observés par des enfants curieux.

En dis­cu­tant, beau­coup de ques­tions émer­gent : sommes-nous légitimes, à voy­ager et nous faire accueil­lir ain­si ? Seri­ons-nous capa­bles de ren­dre la pareille en France ? Com­ment voulons-nous vivre l’hospitalité au quo­ti­di­en ? Com­ment les gens nous perçoivent-ils, nous, Français, dans des pays d’anciennes colonies ? Heureuse­ment qu’il nous reste encore plusieurs mois pour y réfléchir !

20 novembre 2022, jour 34, 567 km, la chaleur du contact humain

Voilà plus d’un mois que nous sommes sur les routes et nous avons main­tenant atteint un rythme de ­croisière qui nous con­vient bien. Nous avons déjà ren­con­tré trois asso­ci­a­tions et réal­isé quelques ­pod­casts, notre pro­jet prend douce­ment forme. À rai­son d’une cinquan­taine de kilo­mètres par­cou­rus chaque jour, nous par­tons tôt le matin et nous prenons le temps de nous repos­er aux heures chaudes, pour finir de rouler dans l’après-midi, avant le couch­er du soleil. 

Nous atteignons le vil­lage de Sansam­ba en ­Casamance, au sud du Séné­gal. C’est l’heure pour nous de ­deman­der l’hospitalité. « Salam aleyk­oum ! ­Maleyk­oum asalam. Bon­jour, ça va ? Ça va ! Et la journée ? Ça va, Dieu mer­ci ! » Nous deman­dons à ren­con­tr­er le chef du vil­lage en util­isant un mélange de français et des quelques mots de mandingue que nous avons appris sur la route. Nous sommes en ce moment au rythme d’une nou­velle langue chaque semaine : dur d’assimiler beau­coup de vocab­u­laire dans ces conditions ! 

Le chef n’est pas là, on nous présente alors son fils, Boundia, qui par­le français. Nous lui expliquons notre sit­u­a­tion et il nous pose quelques ques­tions sur notre itinéraire et les endroits par lesquels nous sommes passés. Il accepte volon­tiers que nous restions pour la nuit. Notons que, jusqu’à présent, nous n’avons eu aucun refus d’hospitalité lorsque nous la demandions.

“Sur ce continent méconnu qu’est l’Afrique, nous nous sentons à notre place.”

Boundia insiste pour que nous plan­tions la tente à l’intérieur d’une petite mai­son en con­struc­tion. Nous lui expliquons que rester dehors ne nous fait pas peur, nous avons l’habitude. « Oui, mais le Kanku­rang rôde la nuit, ce n’est pas bon », nous répond-il. Le Kanku­rang est ce qu’on appelle un « masque » dans la région : un esprit de la forêt qui peut s’incarner dans une per­son­ne, et ce masque-là n’est pas tou­jours bien­veil­lant, paraît-il. Nous plan­tons donc la tente en intérieur.

Gogodji, un village peul où nous avons passé la nuit, accueillis par Saïlou et sa famille.
Gogod­ji, un vil­lage peul où nous avons passé la nuit, accueil­lis par Saïlou et sa famille.

Vient ensuite l’heure de pré­par­er notre dîn­er. Nous sor­tons le réchaud à essence et faisons cuire des pâtes accom­pa­g­nées de petits légumes, un clas­sique pour nous. Les habi­tants nous souhait­ent bon appétit, nous nous réga­lons. Et alors que nous finis­sons tout juste la vais­selle, Boundia vient nous voir et nous invite à partager le repas famil­ial ! Nous n’avons plus très faim, évidem­ment, mais nous retrou­vons ­Boundia et ses enfants pour déguster un grand plat de riz accom­pa­g­né d’une sauce aux arachides : nous voilà com­plète­ment rassasiés.

14 décembre 2022, jour 58, 1 64 km parcourus, à la rencontre de ceux qui agissent 

Après deux semaines très intens­es pour gravir nos pre­mières mon­tagnes, dans le Fou­ta Djal­lon en ­Guinée, nous arrivons enfin à Labé, ville de taille moyenne, repus de paysages mag­nifiques et ­impa­tients de retrou­ver une douche. Aujourd’hui, nous avons ren­dez-vous avec des mem­bres d’une ONG locale, qui œuvre pour la pro­mo­tion d’un maraîchage plus respectueux des ressources naturelles et la préser­va­tion des sols. 

Nous allons y réalis­er un pod­cast pour l’ODD no 10 : Pro­duc­tion et Con­som­ma­tion respon­s­ables. Ce for­mat audio nous plaît : tout en ren­con­trant les acteurs locaux, nous devons nous ren­dre plus atten­tifs au moin­dre bruit autour de nous et ren­dre le mes­sage clair pour nos audi­teurs. En ren­con­trant aujourd’hui Mamadou Dial­lo à Labé, hier des acteurs à Foundiougne ou Zigu­in­chor, demain peut-être à N’Zérékoré ou Yamous­soukro, nous ­espérons nour­rir notre réflex­ion per­son­nelle en voy­ant des témoins agir à leur échelle pour répon­dre à une prob­lé­ma­tique locale pré­cise. Les pod­casts sont là pour trans­met­tre à un plus large pub­lic ces sources d’inspiration que nous ren­con­trons. Qui sait quelles belles ini­tia­tives nous allons pou­voir décou­vrir dans la suite de notre périple ? 

 L’enregistrement d’un podcast sur l’association des vieilles femmes pour la paix, à Koulé en Guinée.
L’enregistrement d’un pod­cast sur l’association des vieilles femmes pour la paix, à Koulé en Guinée.


Pour en savoir plus sur le projet

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