Habitat et villes : passer des bonnes intentions aux actes

Dossier : Développement durableMagazine N°742 Février 2019
Par Alain WEBER (76)
La mise en œuvre de l’objectif de développement durable n° 11 : « faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables », fait prendre conscience qu’habitat et villes font le lien entre tous les ODD. La clé de la réussite résidera dans la définition de politiques publiques cohérentes, partagées et mesurables.

À regarder de plus près les objec­tifs du développe­ment durable, j’ai eu un doute : ne s’agirait-il pas d’un jar­gon tech­nocra­tique onusien, sans lien avec nos poli­tiques publiques ? Prenons l’intitulé de l’objectif 11 : « faire en sorte que les villes et les étab­lisse­ments humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables ». Com­ment s’intéresser à un thème aus­si mal exprimé, exas­pérant col­lage de mau­vaise tra­duc­tion de con­cepts anglo-sax­ons et de ver­biage à la mode ? Et pour­tant, je voudrais con­va­in­cre le lecteur qu’une fois franchie cette pre­mière impres­sion néga­tive, la démarche se révèle fructueuse et por­teuse d’avenir. Je m’appuierai pour cela sur le rap­port de 2017 du CGEDD écrit par Marie-Hélène Aubert, Geneviève Besse et Philippe Bellec.

La démarche de l’Agenda 2030 est nova­trice sur au moins trois aspects : tout d’abord, elle fixe des cibles à attein­dre dans tous les domaines du développe­ment de façon uni­verselle ; ensuite, elle exige de ren­dre compte des résul­tats obtenus à tra­vers des indi­ca­teurs et des critères com­muns ; enfin, elle implique cohérence et trans­ver­sal­ité des poli­tiques publiques, encour­ageant une par­tic­i­pa­tion accrue de tous les acteurs de la société civile aux déci­sions qui les concernent.


REPÈRES

Les con­férences Habi­tat de l’ONU sur le loge­ment suiv­ent un cycle de vingt ans : 1976, 1996 et 2016, et for­ment une caisse de réso­nance qui accélère la prise en compte dans les poli­tiques publiques des grandes thé­ma­tiques urbaines. En 1976, à Van­cou­ver, Habi­tat I recon­nais­sait l’importance des villes et de l’urbanisation ; en 1996, à Istan­bul, Habi­tat II soulig­nait l’importance du développe­ment durable. Habi­tat III, dont la France coprésidait la pré­pa­ra­tion, s’est déroulée à Quito en Équa­teur, du 17 au 20 octo­bre 2016. Elle a débouché sur l’adoption d’un « nou­veau pro­gramme pour les villes ».


Des cibles universelles

La liste des cibles man­i­feste le car­ac­tère trans­ver­sal et stratégique de cet objec­tif qui mar­que « la recon­nais­sance que les villes font le lien avec tous les objec­tifs (Habi­tat III, 2016) » : 11.1 D’ici à 2030, assur­er l’accès de tous à un loge­ment et des ser­vices de base adéquats et sûrs, à un coût abor­d­able, et assainir les quartiers de taud­is ; 11.2 Assur­er l’accès de tous à des sys­tèmes de trans­port sûrs, acces­si­bles et viables, à un coût abor­d­able, en amélio­rant la sécu­rité routière, notam­ment en dévelop­pant les trans­ports publics, une atten­tion par­ti­c­ulière devant être accordée aux besoins des per­son­nes en sit­u­a­tion vul­nérable, des femmes, des enfants, des per­son­nes hand­i­capées et des per­son­nes âgées ; 11.3 D’ici à 2030, ren­forcer l’urbanisation durable pour tous et les capac­ités de plan­i­fi­ca­tion et de ges­tion par­tic­i­pa­tives, inté­grées et durables des étab­lisse­ments humains dans tous les pays ; 11.4 Redou­bler d’efforts pour pro­téger et préserv­er le pat­ri­moine cul­turel et naturel mon­di­al ; 11.5 D’ici à 2030, réduire net­te­ment le nom­bre de per­son­nes tuées et le nom­bre de per­son­nes touchées par les cat­a­stro­phes, l’accent étant mis sur la pro­tec­tion des pau­vres et des per­son­nes en sit­u­a­tion vul­nérable ; 11.6 D’ici à 2030, réduire l’impact envi­ron­nemen­tal négatif des villes par habi­tant, y com­pris en accor­dant une atten­tion par­ti­c­ulière à la qual­ité de l’air et à la ges­tion des déchets ; 11.7 D’ici à 2030, assur­er l’accès de tous, en par­ti­c­uli­er des femmes et des enfants, des per­son­nes âgées et des per­son­nes hand­i­capées, à des espaces verts et des espaces publics sûrs ; 11.a Favoris­er l’établissement de liens économiques, soci­aux et envi­ron­nemen­taux posi­tifs entre zones urbaines, péri­ur­baines et rurales en ren­forçant la plan­i­fi­ca­tion du développe­ment à l’échelle nationale et régionale ; 11.b D’ici à 2020, accroître net­te­ment le nom­bre de villes qui adoptent et met­tent en œuvre des poli­tiques et plans d’action inté­grés en faveur de l’insertion de tous, de l’utilisation rationnelle des ressources, de l’adaptation aux effets des change­ments cli­ma­tiques et de leur atténu­a­tion et de la résilience face aux cat­a­stro­phes, et éla­bor­er et met­tre en œuvre une ges­tion glob­ale des risques de cat­a­stro­phe à tous les niveaux ; 11.c Aider les pays les moins avancés à con­stru­ire des bâti­ments durables et résilients en util­isant des matéri­aux locaux.

“Le taux
de surpeuplement des logements
progresse 
en France”

Des indicateurs communs

Dans la ligne de l’évaluation des poli­tiques publiques, les cibles des ODD sont accom­pa­g­nées d’une bat­terie d’indicateurs mesurables.

Les États peu­vent définir leur pro­pre jeu d’indicateurs. Un groupe de tra­vail du Con­seil nation­al de l’information sta­tis­tique (Cnis), présidé par Jean-René Brunetière (67), a pro­posé en juin 2018 un tableau de bord de
98 indi­ca­teurs pour le suivi des ODD par la France.

Pour l’ODD 11, qua­tre indi­ca­teurs spé­ci­fiques sont retenus : le taux de surpe­u­ple­ment des loge­ments (comme le men­tionne le rap­port annuel de la Fon­da­tion Abbé-Pierre 2018, l’enquête nationale Loge­ment 2013 mon­tre pour la pre­mière fois une aggra­va­tion du phénomène : le nom­bre de per­son­nes con­cernées a net­te­ment pro­gressé entre 2006 et 2013, puisque 7 656 000 per­son­nes vivent désor­mais dans un loge­ment en surpe­u­ple­ment « mod­éré » , con­tre 6 865 000 en 2006, soit une hausse de 11,5 %, et 934 000 per­son­nes en surpe­u­ple­ment « accen­tué », con­tre 797 000 en 2006, soit une hausse de 17,2 %) ; l’artificialisation des sols ; les déchets col­lec­tés par les munic­i­pal­ités et le traite­ment des déchets par type de traite­ment ; enfin le niveau moyen annuel de par­tic­ules fines dans les villes.

L’Insee mesure aus­si qua­tre autres indi­ca­teurs qui, bien qu’affectés à titre prin­ci­pal à d’autres ODD, com­plè­tent le suivi de l’ODD 11 : con­som­ma­tion de pro­duits phy­tosan­i­taires, pro­por­tion de la pop­u­la­tion desservie par une eau non con­forme, part modale des trans­ports col­lec­tifs de voyageurs et de marchan­dis­es dans le trans­port intérieur ter­restre, con­fi­ance de la pop­u­la­tion dans les institutions.

On le voit, le thème de l’habitat et de la ville n’est pas le plus sim­ple à mesur­er compte tenu de sa trans­ver­sal­ité, mais l’effort mérite d’être fait : des indi­ca­teurs ter­ri­to­ri­aux sont à con­stru­ire avec et par les habi­tants, qui feraient écho aux travaux de l’OCDE et de la France sur le bien-être ter­ri­to­r­i­al, en par­ti­c­uli­er la loi Éva Sas. Si cette loi ne con­cerne que l’échelon nation­al, le gou­verne­ment serait bien avisé de s’inspirer des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales pour rat­trap­er le retard de la France en matière de nou­veaux indicateurs.


La loi Éva Sas

La loi du 13 avril 2015, dite loi Éva Sas, vise à la prise en compte de 10 indi­ca­teurs de richesse dans la déf­i­ni­tion des poli­tiques publiques. Ces indi­ca­teurs sont inclus dans les 98 indi­ca­teurs de suivi des ODD.


Cohérence et transversalité des politiques publiques

Les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales sont sou­vent por­teuses d’une dimen­sion plus trans­ver­sale, en étab­lis­sant des diag­nos­tics, en for­mu­lant des engage­ments véri­fi­ables, en sus­ci­tant la par­tic­i­pa­tion des citoyens. Comme il est écrit dans la con­tri­bu­tion de la France au som­met Habi­tat III de Quito en 2016, « les villes sont les pre­mières con­fron­tées à l’obligation d’inventer des solu­tions aux maux créés par notre mod­èle de développement ».

À l’inverse, les poli­tiques publiques nationales restent encore trop sou­vent traitées « en silos ». Or, la mise en œuvre d’une véri­ta­ble tran­si­tion écologique en dépend. Par exem­ple, la France a dévelop­pé des poli­tiques de loge­ment effi­caces, qui ont cher­ché à éradi­quer les taud­is dès les années 60. Pour autant, elle ne s’inscrit pas tou­jours dans une bonne tra­jec­toire : prob­lème de coût du loge­ment, résur­gence des bidonvilles (on dénom­bre 571 bidonvilles en France, où vivent 16 000 per­son­nes…), des sans-abris, etc. Le CGEDD recom­mande d’aborder cette poli­tique de façon sys­témique, en men­tion­nant qu’un des points d’alerte pour la France porte sur le coût du loge­ment, frein à la mobil­ité et à l’emploi, fac­teur d’exclusion sociale et de ségré­ga­tion spa­tiale et d’artificialisation des sols.

© Dymov

Une participation accrue

Pour « ren­forcer les capac­ités de plan­i­fi­ca­tion et de ges­tion par­tic­i­pa­tives, inté­grées et durables des étab­lisse­ments humains dans tous les pays », l’ONU retient la pro­por­tion de villes dotées d’une struc­ture de par­tic­i­pa­tion directe de la société civile à la ges­tion et à l’aménagement des villes, fonc­tion­nant de manière régulière et démoc­ra­tique. L’Insee retient la part du ter­ri­toire nation­al cou­verte par des sché­mas de cohérence ter­ri­to­ri­ale (Scot). L’indicateur nation­al choisi ne répond pas au libel­lé de l’indicateur onusien. La ges­tion par­tic­i­pa­tive, mesurée par la pro­por­tion de villes dotées de struc­tures de par­tic­i­pa­tion directes, peut appa­raître comme un point à ren­forcer en France.

Le sujet est d’autant plus sen­si­ble qu’il a été l’un des points forts de la con­férence Habi­tat III, qui a mobil­isé beau­coup d’acteurs de la société civile (citoyens, entre­pris­es, ONG…).

Il nous faut aller plus loin

Plusieurs recom­man­da­tions peu­vent être for­mulées : d’abord, mieux coor­don­ner les poli­tiques du loge­ment et des trans­ports ; ensuite, faire porter un effort par­ti­c­uli­er des poli­tiques publiques sur le coût du loge­ment ; pro­gress­er sur les straté­gies de résilience, con­stru­ire des out­ils et des indi­ca­teurs ter­ri­to­ri­aux adap­tés à la diver­sité des ter­ri­toires ; enfin, com­pléter les indi­ca­teurs nationaux, y com­pris en four­nissant des indi­ca­teurs de qual­ité, pour répon­dre à la dimen­sion sociale et socié­tale de l’ODD 11.

L’édition 2018 du Forum poli­tique de haut niveau a été l’occasion de pass­er en revue six ODD, dont l’ODD 11. Comme le men­tionne le point d’étape présen­té par la France à cette occa­sion, « l’ODD 11 nous pousse à aller plus loin, l’ensemble des cibles étant par­ti­c­ulière­ment impor­tant pour les per­son­nes vul­nérables ». Une atten­tion par­ti­c­ulière doit être apportée à l’Outre-mer.

Éval­u­a­tion de poli­tiques publiques à par­tir d’objectifs énon­cés et d’indicateurs partagés, poli­tiques ter­ri­to­ri­ales con­tre actions en silos, mobil­i­sa­tion citoyenne comme enjeu de développe­ment durable : on voit com­ment l’analyse d’un seul ODD a per­mis d’aborder des sujets à fort impact pour nos conci­toyens d’aujourd’hui et de demain.

Poster un commentaire