L’économie de demain sera circulaire, collaborative, fonctionnelle et inclusive

Dossier : Développement durableMagazine N°742 Février 2019
Par Hélène TEULON (X84)
Le modèle économique de production et consommation de masse qui a structuré nos sociétés depuis l’après-guerre touche ses limites et doit se réinventer. Les crises environnementale, économique et sociale actuelles requièrent l’émergence d’une consommation et d’une production responsables (ODD 15) qui limitent le changement climatique (ODD 7) et respectent la vie aquatique et terrestre (ODD 13 et 14). Un tel virage ne s’improvise pas. Il est urgent de donner un coup de barre et de changer de cap…

À quoi pour­rait res­sem­bler l’économie de demain ? Nous iden­ti­fions trois grandes ®évo­lu­tions pour les entre­prises. D’abord dans leur offre, leur modèle d’affaires et leur inter­ac­tion et leur com­mu­ni­ca­tion avec les clients : elles ne pour­ront plus déli­vrer les mêmes pro­duits et ser­vices, les modèles éco­no­miques vont muter pour accom­pa­gner l’émergence de l’économie cir­cu­laire, un nou­veau mar­ke­ting émerge pour cocons­truire une offre renou­ve­lée. Mais aus­si dans leur chaîne de pro­duc­tion : les modes de pro­duc­tion vont évo­luer, dans leurs propres usines et tout au long de la chaîne d’approvisionnement – via les achats res­pon­sables. Enfin, dans leur orga­ni­sa­tion : c’est sans doute le point le moins avan­cé, mais de pre­miers éclai­rages sont néan­moins possibles.

Arrê­tons-nous un ins­tant sur les termes uti­li­sés pour dési­gner l’économie de demain : éco­no­mie cir­cu­laire, car elle demande une inten­si­fi­ca­tion de l’usage des matières et des biens, qui « cir­cu­le­raient » plus d’un usage à un autre, ou d’un uti­li­sa­teur à un autre ; ou bien éco­no­mie col­la­bo­ra­tive, car elle demande une plus grande col­la­bo­ra­tion entre acteurs ; ou encore éco­no­mie de la fonc­tion­na­li­té, du fait d’une évo­lu­tion des modèles d’affaires. Ces mul­tiples vocables recouvrent une réa­li­té plus homo­gène qu’ils ne le lais­se­raient croire, car ces concepts s’articulent de façon cohé­rente et com­plé­men­taire : des pro­duits éco­con­çus à longue durée de vie sou­tiennent l’économie de la fonc­tion­na­li­té, ou peuvent être par­ta­gés de façon col­la­bo­ra­tive entre consommateurs…

Nike a réso­lu les pro­blèmes d’impacts environ­nementaux en conce­vant une chaus­sure « tri­co­tée » d’un seul tenant.

Pour que « marketing durable » ne soit pas un oxymore

Si le mar­ke­ting consiste à vendre tou­jours plus de pro­duits super­flus à une popu­la­tion tou­jours crois­sante, quitte à l’asphyxier sous les pol­lu­tions, les déchets et à faus­ser la per­cep­tion du sens de la vie, alors il ne peut être durable. Mais si nous reve­nons aux fon­de­ments du mar­ke­ting, ne s’agit-il pas de défi­nir com­ment et où l’entreprise pour­rait appor­ter de la valeur nou­velle au client ? Dans cette pers­pec­tive, un « mar­ke­ting durable » non seule­ment fait sens, mais est urgent à mettre en œuvre, pour réin­ven­ter l’offre des entre­prises et encou­ra­ger de nou­veaux modes de consom­ma­tion, dans le res­pect de l’homme et de la planète.

Un tel mar­ke­ting durable se décline de façon cohé­rente sur trois axes : l’écoconception de l’offre, la com­mu­ni­ca­tion res­pon­sable et des modèles d’affaires vertueux.

“Penser le produit
en interaction avec son écosystème”

Une offre écoconçue

Éco­con­ce­voir son offre de pro­duits ou de ser­vices, c’est dans un pre­mier temps pour l’entreprise s’interroger sur les impacts envi­ron­ne­men­taux majeurs de son offre, sur l’ensemble de son cycle de vie. L’outil de mesure des impacts mul­ti­cri­tères l’analyse de cycle de vie, ou ACV, apporte ici un pré­cieux éclai­rage. Renault par exemple s’est enga­gé à réa­li­ser et à publier une ana­lyse de cycle de vie pour cha­cun de ses nou­veaux modèles.

C’est ensuite modi­fier la concep­tion du pro­duit ou du ser­vice de façon à mini­mi­ser ses impacts : l’engagement de Renault couvre aus­si ce point-là, avec l’objectif d’améliorer le bilan de modèle en modèle. Com­ment ? Les stra­té­gies d’écoconception sont mul­tiples : réduire la quan­ti­té de matière uti­li­sée, pri­vi­lé­gier des res­sources renou­ve­lables ou recy­clées plu­tôt que des res­sources fos­siles ou miné­rales, limi­ter les étapes de trans­port, les pro­cé­dés pol­luants, les embal­lages, les impacts en phase d’usage, anti­ci­per la ges­tion de la fin de vie du pro­duit… L’écoconception est un puis­sant levier d’innovation, comme le montre l’exemple de la chaus­sure Flyk­nit de Nike : ayant iden­ti­fié les découpes de semelle et la colle entre la semelle et la chaus­sure comme les deux sources majeures d’impacts envi­ron­ne­men­taux, Nike a réso­lu élé­gam­ment les deux pro­blèmes en conce­vant une chaus­sure « tri­co­tée » d’un seul tenant, dont la semelle ne néces­site ni col­lage ni découpe puisqu’elle est créée direc­te­ment à la forme du pied. La bonne nou­velle est que cette nou­velle concep­tion offre un confort appré­cié des clients, et coûte moins cher en production !

Éco­con­ce­voir, c’est aus­si aug­men­ter la durée de vie du pro­duit, le conce­voir de façon à ce qu’il puisse être répa­ré. C’est le b.a.-ba de l’économie cir­cu­laire : allon­ger la durée de vie pour « amor­tir » les impacts des phases de pro­duc­tion et de fin de vie sur un usage plus impor­tant. Cela sup­pose de conce­voir de façon modu­laire, avec des pro­ces­sus acces­sibles de mon­tage et démon­tage, et d’assurer la mise à dis­po­si­tion des pièces déta­chées dans la durée. Ain­si par exemple, le fabri­cant fran­çais Seb a choi­si de dépas­ser ce que lui impose la loi, qui oblige seule­ment les fabri­cants à com­mu­ni­quer sur la durée obli­ga­toire de dis­po­ni­bi­li­té, sans impo­ser de durée mini­male : les pièces déta­chées de tous les appa­reils qu’il com­mer­cia­lise depuis 2012 sont dis­po­nibles pen­dant dix ans après l’achat.

C’est encore pen­ser le pro­duit en inter­ac­tion avec son éco­sys­tème, pour réduire non pas seule­ment les impacts directs du pro­duit, mais aus­si ceux d’un autre élé­ment avec lequel il inter­agit : par exemple, les pro­duc­teurs de les­sives tra­vaillent depuis de nom­breuses années sur la capa­ci­té des les­sives à laver à basse tem­pé­ra­ture, de façon à limi­ter la consom­ma­tion d’énergie des machines à laver – c’était la pro­messe d’Ariel actif à froid dès 2005, et les com­por­te­ments des clients ont évo­lué depuis dans le sens d’une baisse des tem­pé­ra­tures de lavage, avec des gains signi­fi­ca­tifs à la clé.

C’est sur­tout pen­ser le pro­duit dans une recherche de fonc­tion­na­li­té et de juste réponse au besoin, en évi­tant les gad­gets, options super­flues et dérives vers le « tou­jours plus » : telle publi­ci­té vante la per­for­mance d’un déodo­rant qui tient 48 heures, mais n’est-ce pas tout sim­ple­ment absurde ? Ce recen­trage sur le besoin de l’utilisateur peut être une puis­sante source d’innovation. Le fait d’aller col­lec­ter sur le ter­rain des élé­ments de l’expérience uti­li­sa­teur per­met de lui pro­po­ser une valeur adap­tée à ses besoins expli­cites mais aus­si implicites.

Enfin sau­rait-on qua­li­fier de durable une socié­té qui lais­se­rait une frac­tion de la popu­la­tion sur le bord de la route de la pros­pé­ri­té ? Cela conduit à étendre l’éco-conception pour y inté­grer la dimen­sion sociale et socié­tale : il peut alors s’agir de conce­voir un nou­veau pro­duit adap­té à une frange de popu­la­tion qui n’y a géné­ra­le­ment pas accès. Orange par exemple ima­gine aujourd’hui des solu­tions d’accès à inter­net pour des per­sonnes en grande dif­fi­cul­té économique.

Inter­face a pu réduire son empreinte car­bone par mètre car­ré de moquette de 98 % et son uti­li­sa­tion d’eau de 93 %.

Une communication responsable

Pro­po­ser des biens conçus pour limi­ter les impacts sur l’environnement, c’est bien, mais le béné­fice risque de fondre si le consom­ma­teur en fait un usage irres­pon­sable. C’est ce que l’on appelle « l’effet rebond ». C’est pour­quoi les publi­ci­tés qui incitent à consom­mer tou­jours plus devraient bien­tôt deve­nir contre-pro­duc­tives. Les pro­fes­sion­nels et les ins­ti­tu­tions se mobi­lisent d’ores et déjà pour défi­nir les bonnes pra­tiques et épin­gler les publi­ci­tés « non res­pon­sables ». L’ARPP (auto­ri­té de régu­la­tion pro­fes­sion­nelle de la publi­ci­té) scrute depuis une dizaine d’années les com­mu­ni­ca­tions publiques des entre­prises (publi­ci­té, mais aus­si com­mu­ni­ca­tion sur inter­net), et publie tous les ans avec l’Ademe un bilan « Publi­ci­té et Envi­ron­ne­ment ». Par exemple, une publi­ci­té pour un véhi­cule Fiat inci­tant à « rou­ler jusqu’au bout de la nuit » a été épin­glée parce qu’elle invi­tait à un com­por­te­ment irresponsable.

Pous­sée à l’extrême, la com­mu­ni­ca­tion res­pon­sable peut même aller jusqu’à des mes­sages para­doxaux, telle cette publi­ci­té de Pata­go­nia cla­mant « N’achetez pas cette veste ! » sous-titrée « si vous n’en avez pas besoin », ou encore celle de La Camif qui, pour le Black Fri­day 2017, avait choi­si de fer­mer son site plu­tôt que de contri­buer à la fré­né­sie géné­rale d’hyper-consommation. Dans le même esprit, Engie fidé­lise ses clients et en gagne de nou­veaux en les accom­pa­gnant pour les aider à réduire leur consom­ma­tion d’énergie – et la fac­ture associée !

“Il faut viser l’appropriation de la démarche
par tous les acteurs de l’organi-sation”

Des modèles d’affaires vertueux

Ces pra­tiques conduisent très natu­rel­le­ment à revi­si­ter les modèles d’affaires, de façon à ali­gner l’intérêt du client, du four­nis­seur, et de l’environnement ou de la socié­té. C’est « l’économie de la fonc­tion­na­li­té », inau­gu­rée à grande échelle par Xerox au milieu des années 1990, ou par Miche­lin avec sa Fleet Solu­tion : au lieu de vendre des pho­to­co­pieurs ou des pneus, l’entreprise les pro­pose à la loca­tion, en assu­rant les ser­vices associés.

L’expérience de Dow Che­mi­cal en ce domaine est très par­lante : le chi­miste ven­dait ini­tia­le­ment des sol­vants à des entre­prises qui les uti­li­saient pour net­toyer des pièces méca­niques. Le taux d’évaporation des sol­vants était très éle­vé, avec un impact envi­ron­ne­men­tal en pro­por­tion, de même que le chiffre d’affaires ! Lorsque Dow Che­mi­cal s’est inté­gré en aval et a offert un ser­vice de net­toyage des pièces, son inté­rêt s’est très logi­que­ment por­té vers la réduc­tion des pertes de sol­vants. Des conte­neurs her­mé­tiques ont été mis au point, le sys­tème Safe Chem limite l’évaporation des sol­vants, l’impact envi­ron­ne­men­tal et les coûts. Cet exemple montre bien com­ment le pas­sage du pro­duit au ser­vice per­met dans de nom­breux cas de limi­ter les gas­pillages et les nui­sances envi­ron­ne­men­tales associées.

L’allongement de la durée de vie des pro­duits appelle aus­si une modi­fi­ca­tion des modèles d’affaires : si l’éco-conception de la machine à laver consiste notam­ment à aug­men­ter sa durée de vie, alors les fabri­cants se retrou­ve­ront rapi­de­ment devant des clients tous équi­pés pour des dizaines d’années, donc sans débou­chés. Le pas­sage à la loca­tion per­met­tra de dépas­ser ce frein, à condi­tion d’imaginer un bou­quet de ser­vices asso­ciés qui rende une telle offre attractive.

À côté de l’économie de la fonc­tion­na­li­té, l’économie col­la­bo­ra­tive ou du par­tage pro­pose une autre voie pour trai­ter les mêmes pro­blèmes : des biens à longue durée de vie, plus coû­teux à l’achat, pour­raient être acquis par plu­sieurs consom­ma­teurs pour un usage par­ta­gé. Là aus­si, les entre­prises peuvent sai­sir l’opportunité d’innover conjoin­te­ment dans leur offre et dans leur modèle d’affaires…

Renault s’est enga­gé à publier une ana­lyse de cycle de vie pour cha­cun de ses nou­veaux modèles.

Vers une production « zéro impact »

L’économie linéaire est fon­dée sur l’extraction mas­sive de res­sources non renou­ve­lables, fos­siles ou miné­rales, la consom­ma­tion de masse et l’élimination d’impressionnants volumes de déchets, soit par la mise en décharge, soit par l’incinération.

A contra­rio, une éco­no­mie cir­cu­laire s’inspire des sys­tèmes natu­rels : les res­sources renou­ve­lables sont extraites avec modé­ra­tion, elles sont uti­li­sées avec la plus grande effi­ca­ci­té, dans de mul­tiples boucles de réem­ploi, réuti­li­sa­tion et recy­clage, les rejets sont limi­tés et bio­dé­gra­dables ou bioassimilables.

L’entreprise Inter­face, qui fabrique des dalles de moquette, fait figure de pion­nier en ce domaine. Son fon­da­teur Ray Ander­son a déci­dé au milieu des années 1990 de lan­cer son entre­prise dans le pari fou d’un impact envi­ron­ne­men­tal nul en 2020, sur l’ensemble du cycle de vie. Bien qu’impossible à tenir, ce défi appe­lé « Mis­sion Zéro » a été extrê­me­ment mobi­li­sa­teur en interne et a per­mis d’atteindre des résul­tats inespérés.

Ain­si, en Europe, depuis 1996, en pre­nant de nom­breuses mesures dans tous les sec­teurs, Inter­face a pu réduire son empreinte car­bone par mètre car­ré de moquette de 98 % et son uti­li­sa­tion d’eau de 93 %, tout en conti­nuant à déve­lop­per l’entreprise. Les sites de fabri­ca­tion euro­péens uti­lisent 95 % d’énergie renou­ve­lable et aucun déchet n’est envoyé en décharge. La démarche touche éga­le­ment la chaîne d’approvisionnement : les four­nis­seurs ont été sol­li­ci­tés et les plus proac­tifs sont venus pro­po­ser à Inter­face des fibres 100 % recy­clées, ou des fibres végé­tales alter­na­tives aux fibres de la pétro­chi­mie uti­li­sées jusqu’alors.

Cet exemple montre com­ment un objec­tif radi­cal per­met de réduire dras­ti­que­ment les impacts, en sti­mu­lant l’innovation de rup­ture : il n’est en effet plus pos­sible de faire des com­pro­mis, ce qui conduit à des choix plus durables.

Concrè­te­ment, cela consiste dans un pre­mier temps à faire la chasse à tous les gas­pillages, de matières pre­mières, d’eau, d’énergie, par exemple en récu­pé­rant la cha­leur fatale, en fer­mant les cir­cuits ouverts de refroi­dis­se­ment à l’eau, en recy­clant les chutes de production…

Ensuite, il s’agit d’évaluer les pro­cé­dés pour repé­rer les plus pol­luants et les rem­pla­cer par des pro­cé­dés plus conformes aux nou­veaux objec­tifs. Par exemple, chez Inter­face, les ingé­nieurs ont repé­ré que les dalles de moquette impri­mées géné­raient de très forts impacts : l’utilisation simul­ta­née de plu­sieurs cou­leurs implique de nom­breux rin­çages, à l’eau chaude, ce qui induit des consom­ma­tions d’eau et d’énergie, et des effluents. La direc­tion a alors déci­dé de sup­pri­mer ces réfé­rences, et de ne plus pro­po­ser que des dalles unies aux clients. C’est ce que Ray Ander­son appelle « brû­ler ses vais­seaux ». Pour se main­te­nir sur un mar­ché très concur­ren­tiel, les équipes mar­ke­ting ont déve­lop­pé une nou­velle offre de dalles unies four­nies en mélange de camaïeux, et les équipes R & D ont tra­vaillé sur des pro­cé­dés de tis­sage de motifs. Les deux démarches ont ren­con­tré un réel succès.

Enfin, pour les nou­velles usines ou les refontes des chaînes de pro­duc­tion, il est pos­sible d’aller encore plus loin, dans une vision sys­té­mique des impacts envi­ron­ne­men­taux. Par exemple les ingé­nieurs méthodes chez Inter­face ont été capables de réduire de 93 % la consom­ma­tion d’énergie d’une nou­velle ligne de pro­duc­tion par rap­port à une ligne iden­tique sans dégra­der la per­for­mance. Il s’agit d’une ins­tal­la­tion qui néces­site le pom­page de grandes quan­ti­tés de pro­duit vis­queux. Au lieu de conce­voir la ligne de pro­duc­tion et de dis­po­ser ensuite les tuyaux néces­saires à l’alimentation de la ligne en fluide, les ingé­nieurs ont des­si­né des tuyaux de gros dia­mètre, rec­ti­lignes et courts, de façon à mini­mi­ser les pertes de charge par fric­tion dans les coudes et sur les parois des tuyaux. Comme la puis­sance néces­saire pour les pompes a chu­té, la ligne coûte moins cher à l’investissement, et moins cher éga­le­ment à l’exploitation.

L’optimisation peut même sor­tir des fron­tières de l’entreprise, dans une démarche col­la­bo­ra­tive avec d’autres entre­prises situées sur le même ter­ri­toire, pour par­ta­ger un équi­pe­ment, uti­li­ser le déchet de l’un comme une res­source pour l’autre, ou se regrou­per pour des achats plus effi­caces. C’est ce que l’on appelle l’écologie indus­trielle et ter­ri­to­riale (EIT).

© oneinch­punch

Faut-il « libérer l’entreprise » pour qu’elle devienne durable ?

S’agit-il « seule­ment » de modi­fier ce que fait l’entreprise, ou bien s’agit-il de repen­ser son orga­ni­sa­tion et sa rai­son d’être ?

Des études montrent que le taux des sala­riés enga­gés est de plus en plus bas, avec en moyenne envi­ron 10 % en France contre 30 % aux États-Unis. De nou­veaux modes d’organisation fon­dés sur une plus grande auto­no­mie et res­pon­sa­bi­li­sa­tion des sala­riés semblent, lorsqu’ils sont implé­men­tés avec doig­té, don­ner des résul­tats enthousiasmants.

Nous fai­sons ici l’hypothèse de tra­vail que si les orga­ni­sa­tions actuelles, sous réserve d’une adap­ta­tion à la marge, sont capables « d’encaisser » le chan­ge­ment de cap cultu­rel vers l’économie de demain, de nou­velles orga­ni­sa­tions, plus humaines et res­pon­sa­bi­li­santes, seront encore plus per­ti­nentes pour rele­ver ces nou­veaux défis. D’aucuns les appellent « entre­prises libé­rées », mais ce vocable prête à confu­sion, appe­lons-les « entre­prises responsabilisantes ».

L’hypothèse repose d’abord sur la cohé­rence de fait entre l’ambition de la démarche DD, qui pour­rait se résu­mer dans les mots « res­pon­sa­bi­li­té » et « humain », et les carac­té­ris­tiques de ces entre­prises, qui mettent jus­te­ment l’humain au centre des pré­oc­cu­pa­tions et de l’organisation, en répar­tis­sant la res­pon­sa­bi­li­té de la base à la tête de la struc­ture, en apla­tis­sant les hiérarchies.

Plu­sieurs indices laissent pen­ser que cette hypo­thèse de tra­vail fait sens : des citoyens res­pon­sables peuvent deve­nir des sala­riés auto­nomes, et réci­pro­que­ment ; des équipes plus moti­vées et enga­gées sont plus créa­tives et inno­vantes, et nous avons vu que l’innovation est une exi­gence de l’économie de demain ; une orga­ni­sa­tion lean et effi­cace a plus de chance d’afficher une bonne per­for­mance envi­ron­ne­men­tale qu’une orga­ni­sa­tion dis­pen­dieuse. Ain­si, l’entreprise Pata­go­nia, recon­nue comme pion­nière de l’écoconception et du mar­ke­ting res­pon­sable, a une hié­rar­chie très apla­tie, avec une grande auto­no­mie aux sala­riés – le fon­da­teur de l’entreprise, Yvon Choui­nard, avait même for­gé le sigle MBA, non pas pour ce que vous croyez, mais pour… mana­ge­ment by absence ! Il a démon­tré par l’exemple que cela peut fonc­tion­ner : en fai­sant confiance aux col­la­bo­ra­teurs, ceux-ci se montrent dignes de la confiance qui leur est accor­dée et contri­buent à la per­for­mance de l’entreprise.

Pre­nons l’exemple de l’entreprise Favi, fabri­cant de pièces de boîtes de vitesses, que son diri­geant cha­ris­ma­tique Jean-Fran­çois Zobrist a redy­na­mi­sé en res­pon­sa­bi­li­sant les sala­riés. L’usine a été réor­ga­ni­sée en « mini-usines » dédiées cha­cune à un client par­ti­cu­lier. Les sala­riés de la mini-usine décident eux-mêmes de leur orga­ni­sa­tion. Les ser­vices cen­traux, par exemple de mar­ke­ting et vente, ont été dis­sous et répar­tis dans chaque mini-usine, pour être au plus près des clients et de la fabri­ca­tion. De cette façon, les cir­cuits de déci­sion sont plus courts et plus prag­ma­tiques. Les pertes de temps mais aus­si les gas­pillages sont réduits. Moins de rebuts de pro­duc­tion, c’est aus­si moins de consom­ma­tion de matières pre­mières, moins d’énergie consom­mée et moins de déchets pro­duits. Les inter­ac­tions entre res­pon­sables mar­ke­ting, déve­lop­pe­ment et pro­duc­tion sont quo­ti­diennes et favo­risent l’innovation cen­trée sur le besoin des clients. Le rôle de la direc­tion n’est plus d’organiser ni de contrô­ler, mais de don­ner le cap, d’aligner les éner­gies ain­si libé­rées vers un objec­tif stra­té­gique per­ti­nent par rap­port au contexte concur­ren­tiel, tech­no­lo­gique, régle­men­taire de l’entreprise.

L’analyse de cet exemple nous conduit à pré­ci­ser notre hypo­thèse de tra­vail : les « entre­prises responsa­bilisantes » devraient a prio­ri limi­ter les impacts envi­ron­ne­men­taux de la pro­duc­tion car elles recherchent de façon prag­ma­tique une plus grande effi­ca­ci­té. Cepen­dant, cela ne suf­fit pas et celles qui seront les mieux pla­cées dans le jeu concur­ren­tiel de demain sont celles dont le diri­geant aura inté­gré les objec­tifs de pro­duc­tion et de consom­ma­tion res­pon­sables à sa vision stratégique.

Un véritable changement culturel à impulser maintenant

L’entreprise est appe­lée à se trans­for­mer en pro­fon­deur pour répondre aux défis envi­ron­ne­men­taux et socié­taux de ce siècle. Impul­ser et accom­pa­gner ces chan­ge­ments, qui touchent tous les métiers de l’entreprise, est une vaste et lourde tâche. C’est un véri­table chan­ge­ment cultu­rel que l’équipe diri­geante et le direc­teur DD doivent dif­fu­ser dans l’entreprise. Inté­grer cette culture est cri­tique pour l’entreprise, car les chan­ge­ments à venir sont tels que les entre­prises non pré­pa­rées risquent de se voir bru­ta­le­ment écar­tées du mar­ché. Or un tel virage ne s’improvise pas, l’expérience des groupes pion­niers montre qu’une appro­pria­tion cor­recte demande en moyenne une dizaine d’années. Il est donc urgent de don­ner un coup de barre et de chan­ger de cap…

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