L’investissement socialement responsable

Dossier : Développement durableMagazine N°742 Février 2019
Par Grégoire COUSTÉ
L’émergence du développement durable a provoqué de nouvelles pratiques en finance en permettant l’essor de l’investissement socialement responsable (ISR). L’ISR est une matière relativement récente dans cette forme moderne qui la lie au développement durable.

Avec l’essor du con­cept de développe­ment durable, la créa­tion du Glob­al Com­pact des Nations unies en 2000, le lance­ment des principes de l’Équateur en 2003, l’ISR a pro­gres­sive­ment évolué. La ver­sion plus mod­erne de l’investissement respon­s­able s’appuie sur des critères ESG : envi­ron­nement, social et gou­ver­nance. Ces con­cepts et l’acronyme qui les réu­nit sont désor­mais très large­ment partagés à tra­vers le monde. Ain­si, on analyse les entités investies à l’aune de leur per­for­mance économique mais aus­si au regard de la qual­ité de leurs poli­tiques en matière envi­ron­nemen­tale, sociale et de leur gouvernance.

Les con­tours de l’investissement respon­s­able sont dif­fi­ciles à fix­er car les pra­tiques de l’investissement respon­s­able sont var­iées : sélec­tion pos­i­tive avec l’inclusion des meilleurs acteurs, l’exclusion sec­to­rielle, la sélec­tion thé­ma­tique, l’engagement action­nar­i­al… Les acteurs français de l’ISR ont adop­té une démarche de con­sen­sus pour lui don­ner la déf­i­ni­tion suiv­ante : « L’ISR est un place­ment qui vise à con­cili­er per­for­mance économique et impact social et envi­ron­nemen­tal en finançant les entre­pris­es et les entités publiques qui con­tribuent au développe­ment durable quel que soit leur secteur d’activité. En influ­ençant la gou­ver­nance et le com­porte­ment des acteurs, l’ISR favorise une économie respon­s­able. » Cette déf­i­ni­tion a le mérite de se focalis­er sur le « pourquoi » plus que sur le « com­ment » de l’ISR. Elle intro­duit des notions impor­tantes comme l’impact et l’influence pos­i­tive, tout en reprenant le trip­tyque ESG.


REPÈRES

Les pre­mières approches de l’ISR étaient éthiques et ont vu le jour sous l’influence des quak­ers et des évangéliques aux États-Unis avec l’idée d’investir de manière cohérente avec leurs principes moraux. Le pre­mier fonds sociale­ment respon­s­able, exclu­ant alcool et tabac, a été lancé en 1928. Une approche mil­i­tante s’est ensuite dévelop­pée au tra­vers de mou­ve­ments portés par de grandes uni­ver­sités améri­caines appelant à l’exclusion d’entreprises impliquées dans l’apartheid en Afrique du Sud ou
dans la guerre du Vietnam. 


L’impact, nouvelle frontière de l’ISR

Longtemps la prise en compte des critères envi­ron­nemen­taux, soci­aux et de gou­ver­nance a été guidée par un souci de ges­tion du risque par les investis­seurs insti­tu­tion­nels : risque de répu­ta­tion ou risques « d’accidents indus­triels ». Par­mi les exem­ples les plus médi­atisés, on peut citer l’explosion de la plate­forme Deep­wa­ter Hori­zon en 2010, l’effondrement du Rana Plaza en 2013, le diesel­gate révélé en 2015. Ces malver­sa­tions ou mau­vais­es ges­tions ont eu des con­séquences dra­ma­tiques ; elles ont aus­si vu le cours des entre­pris­es impliquées chuter à court terme et leur image durable­ment affec­tée. Si la ges­tion du risque reste impor­tante pour l’investisseur respon­s­able, elle s’est vue ren­for­cée par la notion – plus impor­tante encore – d’impact posi­tif de l’investissement en matière de développe­ment durable. Désor­mais, des objec­tifs sont fixés, des méthodolo­gies sont dévelop­pées pour mesur­er et ren­dre compte de l’impact recher­ché. L’objectif des 2 °C max­i­mums de réchauf­fe­ment cli­ma­tique porté par l’Accord de Paris au terme de la COP 21 est le meilleur exem­ple de cette évo­lu­tion. L’investisseur respon­s­able peut tra­vailler à éval­uer en quoi ses investisse­ments par­ticipent à l’atteinte de cet objec­tif fixé col­lec­tive­ment dans un cadre inter­na­tion­al. De la même manière, les investis­seurs respon­s­ables com­men­cent à con­stru­ire des méthodolo­gies afin d’évaluer la con­tri­bu­tion de leurs investisse­ments aux objec­tifs du développe­ment durable (ODD). Pour attein­dre la matu­rité, les défis méthodologiques restent impor­tants. Il faut notam­ment, en fonc­tion de l’activité et des pro­duits de l’entreprise, choisir l’ensemble des ODD per­ti­nents et mesur­er de manière holis­tique les impacts posi­tifs et négat­ifs de l’entreprise.

Le défi des épargnants

Si les investis­seurs insti­tu­tion­nels ont été pro­gres­sive­ment gag­nés à l’idée de l’ISR, l’autre grand défi est aujourd’hui de faire con­naître aux épargnants indi­vidu­els cette forme d’investissement. Les Français ont pris pro­gres­sive­ment con­science de l’importance du développe­ment durable et ils devi­en­nent des « consom’acteurs » en achetant de plus en plus sou­vent bio, équitable ou local ; ils pra­tiquent des éco­gestes en recy­clant, en réparant, etc. Cepen­dant, ils sont peu nom­breux à avoir pris con­science du rôle que peut avoir leur épargne et ain­si devenir des « invest’acteurs ». Des efforts en matière de sen­si­bil­i­sa­tion sont faits au tra­vers de la Semaine de la finance respon­s­able qui se tient chaque automne et avec le déploiement de labels publics (ISR et TEEC), mais aus­si privés comme celui du Comité inter­syn­di­cal de l’épargne salar­i­ale (CIES). Cepen­dant, il reste du chemin à parcourir.

La performance financière, une question clé pour les épargnants

L’ISR souf­fre d’un a pri­ori auquel la recherche académique a déjà tor­du le cou : il serait moins per­for­mant que les pro­duits financiers clas­siques, comme s’il exis­tait une con­trepar­tie finan­cière néga­tive au sup­plé­ment d’âme qu’il porte en matière de respon­s­abil­ité. Au con­traire, cette prise en compte de la respon­s­abil­ité par­ticipe de la per­for­mance de l’entreprise, de sa dura­bil­ité et par rebond de la per­for­mance de l’investissement. Cela a été démon­tré par de nom­breuses méta-analy­ses académiques, l’une des dernières en date menée par des chercheurs alle­mands a analysé plus de 2 000 études empiriques menées sur plusieurs décennies.

L’ISR a con­nu un développe­ment impor­tant en France en rai­son notam­ment d’une cocon­struc­tion entre pro­fes­sion­nels et pou­voirs publics d’un écosys­tème qui lui est favor­able. L’illustration la plus récente est l’article 173-VI de la loi de tran­si­tion énergé­tique, célébré au-delà de nos fron­tières pour son car­ac­tère inno­vant. Son principe est pour­tant sim­ple : les investis­seurs doivent dire com­ment ils pren­nent en compte la ques­tion du dérè­gle­ment cli­ma­tique et plus large­ment les sujets envi­ron­nemen­taux soci­aux et de gou­ver­nance. Il n’y a pas d’obligation de faire, mais qui peut revendi­quer l’immobilisme sur de tels sujets ? L’essor du développe­ment durable et de l’ISR sont irréversibles car ils répon­dent à des enjeux que nul ne peut ignorer.


L’ISR à l’X

L’investissement sociale­ment respon­s­able est une matière qui a déjà sus­cité de nom­breux travaux des chercheurs de l’X. En 2007, la chaire Finance durable et investisse­ment respon­s­able est créée en parte­nar­i­at avec Toulouse School of Eco­nom­ics (TSE) et le sou­tien de l’Association française de la ges­tion finan­cière (AFG). La chaire est codirigée par Patri­cia Cri­fo du départe­ment économie de l’X et Sébastien Pouget de TSE. De nom­breux travaux ont été menés et pub­liés par une douzaine de chercheurs liés à l’École. 

Nico­las Mot­tis, pro­fesseur et directeur académique de l’Executive Mas­ter de l’X, coor­di­na­teur de l’ouvrage ISR & Finance respon­s­able, édi­tions Ellipses, est aus­si admin­is­tra­teur du Forum pour l’investissement respon­s­able (FIR) depuis 2017.

Patri­cia Cri­fo et Nico­las Mot­tis sont égale­ment mem­bres du comité sci­en­tifique du label ISR pub­lic qui dépend de la direc­tion générale du Trésor. 

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