Gestion des risques et performances : comprendre le développement de l’évaluation extra-financière

Dossier : Développement durableMagazine N°742 Février 2019
Par Julia SONIER
En l’espace d’une dizaine d’années, la RSE a changé de statut : initialement portée par une poignée de convaincus, elle s’est progressivement développée (notamment grâce à des obligations réglementaires croissantes), jusqu’à amener les investisseurs à questionner son impact sur les performances financières des entreprises. Le développement
de l’évaluation extra-financière se place dans ce contexte et interroge ainsi les liens entre RSE et gestion des risques (et opportunités) extra-financiers.

La RSE peut être définie comme la con­tri­bu­tion des entre­pris­es au développe­ment durable via la ges­tion de leurs impacts envi­ron­nemen­taux, soci­aux et de gou­ver­nance (ESG). D’un domaine « idéal­iste » de con­vic­tion, elle est dev­enue ces dernières années incon­tourn­able dans la ges­tion de dif­férents risques.


REPÈRES

Le 25 sep­tem­bre 2018, une étude de l’Association française de la ges­tion finan­cière (AFG) et du Forum pour l’investissement respon­s­able (FIR) mon­trait que l’investissement respon­s­able (IR) représen­tait 1 081 mil­liards d’euros en France. 


Les enjeux du développement de la RSE

Pour les émet­teurs, il s’agit d’abord d’un enjeu de con­for­mité régle­men­taire du fait du ren­force­ment des oblig­a­tions juridiques liées au développe­ment durable. En effet, dif­férents textes visent aujourd’hui, d’une part, à assur­er l’existence de poli­tiques de ges­tion des risques ESG au sein des entre­pris­es (loi Sapin II, loi sur le devoir de vig­i­lance des sociétés mères ou encore RGPD) et, d’autre part, à ren­forcer la trans­parence de ces dernières sur leurs pra­tiques RSE. L’annonce récente de la créa­tion d’un statut d’« entre­prise à mis­sion » dans la loi Pacte, va égale­ment dans le sens d’une redéf­i­ni­tion du rôle de l’entreprise, dont l’évaluation ne peut plus être lim­itée à la seule rentabil­ité économique. Cette crois­sance des risques régle­men­taires relat­ifs au développe­ment durable est égale­ment mar­quée par la mon­tée en puis­sance de risques répu­ta­tion­nels et financiers. Celle-ci est per­cep­ti­ble dans l’attention crois­sante que por­tent la société civile et les investis­seurs à ces sujets, et se traduit notam­ment par de vives réac­tions des con­som­ma­teurs et du marché aux con­tro­ver­s­es (incar­nées par le développe­ment de pra­tiques comme la con­som­ma­tion respon­s­able, le boy­cott, l’engagement action­nar­i­al ou le désinvestissement).

La crois­sance des risques ESG a con­duit les entre­pris­es à se saisir de ces sujets. Une étude réal­isée cette année par Ten­nax­ia auprès d’une cen­taine d’entreprises (cotées ou non) de tailles et de secteurs var­iés mon­trait par exem­ple qu’elles avaient for­mal­isé une poli­tique RSE à 85 %, pub­lié leurs objec­tifs RSE à 80 %, com­mu­niqué sur leur con­tri­bu­tion aux objec­tifs de développe­ment durable de l’ONU à 69 % et affiché des objec­tifs s’inscrivant dans une tra­jec­toire bas car­bone à 53 %. La dif­fu­sion de bonnes pra­tiques RSE atteste ain­si d’une meilleure ges­tion des risques ESG par les émet­teurs. Elle pose dans le même temps un défi aux investis­seurs : inté­gr­er l’évaluation des risques et per­for­mances ESG à la ges­tion financière.


Gaïa Rating

Gaïa Rat­ing mène chaque année une cam­pagne de col­lecte et d’analyse de don­nées ESG cou­vrant des PME-ETI cotées en France et en Europe. Sur la base de ces infor­ma­tions, les sociétés sont notées sur leur niveau de trans­parence et de per­for­mance. Cette nota­tion est util­isée par des sociétés de ges­tion de pre­mier plan dans leurs proces­sus de ges­tion et déci­sions d’investissement. Fondée il y a dix ans sur la con­vic­tion que les PME-ETI sont une source d’innovation con­sid­érable pour le développe­ment durable, l’agence pro­pose un mod­èle d’évaluation adap­té à leurs con­traintes. Le dia­logue, mené avec les entre­pris­es en com­plé­ment de l’analyse de leur report­ing, apporte appro­fondisse­ments et nuances à l’opinion des ana­lystes. Il donne aux entre­pris­es un droit de regard sur leur éval­u­a­tion et per­met de met­tre leurs résul­tats en perspective.

Le 15 octo­bre au palais Brong­niart, les équipes de Gaïa Rat­ing ont présen­té les résul­tats de leur 10e cam­pagne d’évaluation. Cet événe­ment a réu­ni plus de 200 entre­pris­es, investis­seurs et ana­lystes. Il a été l’occasion de faire un pre­mier bilan des résul­tats de la cam­pagne 2018. En ter­mes de ten­dance, la note générale des entre­pris­es croît con­tin­uelle­ment attes­tant des pro­grès réal­isés par ces dernières. Les témoignages des lau­réats et nou­veaux entrants de l’indice ont con­fir­mé que le proces­sus de nota­tion pre­nait bien en compte leurs con­traintes. Les entre­pris­es inter­rogées ont notam­ment loué le tra­vail de prérem­plis­sage effec­tué par les ana­lystes, pré­cisant qu’il leur per­me­t­tait d’avoir le temps de dia­loguer active­ment et de com­pren­dre le référen­tiel d’évaluation. La per­ti­nence et le dynamisme de la méthodolo­gie ont égale­ment été soulignés.

L’efficacité du proces­sus de nota­tion a per­mis l’obtention d’un taux de disponi­bil­ité de l’information supérieur à 89 % lors de la dernière cam­pagne d’évaluation.

Finale­ment, la soirée a per­mis de récom­penser les entre­pris­es les plus avancées en 2018 : ESI Group (CA < 150 M€), Wave­stone (150 M€ < CA < 500 M€) et Geci­na (CA > 500 M€).


Investir pour demain

L’investissement respon­s­able (IR) con­siste en l’intégration de critères ESG dans la déci­sion d’investissement. Ain­si, il per­met l’identification des risques extra-financiers de long terme en com­plé­ment d’une analyse finan­cière clas­sique. Il se développe rapi­de­ment (+ 14 % en France l’année dernière), poussé par des change­ments régle­men­taires. En 2016, l’article 173 de la loi Tran­si­tion écologique et énergé­tique (TEE) for­mu­lait, pour la pre­mière fois, des oblig­a­tions d’information pour les investis­seurs insti­tu­tion­nels sur leur ges­tion des risques cli­ma­tiques, et plus large­ment sur l’intégration de paramètres envi­ron­nemen­taux et soci­aux dans leur poli­tique d’investissement. Cette loi visait à démoc­ra­tis­er l’utilisation de l’analyse extra-finan­cière et à dif­fuser l’idée qu’une saine ges­tion des risques ESG per­met de lim­iter les risques financiers.

Plus encore, l’hypothèse selon laque­lle une bonne ges­tion extra-finan­cière serait un fac­teur de per­for­mance qui sup­plante pro­gres­sive­ment la vision de l’intégration ESG comme un out­il de ges­tion des risques qui per­me­t­trait « d’éviter le pire ».

C’est d’ailleurs cette con­vic­tion qui a poussé Ethi­Fi­nance à créer Gaïa Rat­ing il y a dix ans, une agence de nota­tion extra-finan­cière dis­posant d’une méthodolo­gie adap­tée aux spé­ci­ficités des PME-ETI, jusque-là ignorées par les ana­lystes ESG. L’agence dis­pose aujourd’hui d’une base de don­nées ESG sur plus de 500 Small & Mid Caps et pub­lie chaque année l’indice Gaïa, qui regroupe ses soix­ante-dix meilleures valeurs et surper­forme depuis sa créa­tion en 2009 le CAC 40 (de plus de 100 % depuis 2015 !) et le CAC Mid & Small.

Vers une gestion unifiée des risques financiers et extra-financiers ?

Cette surper­for­mance invite à dépass­er l’approche de ges­tion de risques en repen­sant l’IR en ter­mes d’opportunités et d’innovations. En cela, il s’agit de se tourn­er vers les émet­teurs qui anticipent mieux l’avenir et adaptent leurs pra­tiques, ain­si que leurs pro­duits et ser­vices. C’est le sens de la déc­la­ra­tion de per­for­mance extra-finan­cière (DPEF), qui entr­era en vigueur cette année. Elle impose aux entre­pris­es de pub­li­er un report­ing met­tant en cohérence leur mod­èle d’affaires, les prin­ci­paux risques ESG aux­quels elles sont exposées, les poli­tiques mis­es en œuvre pour y répon­dre et les résul­tats de ces poli­tiques. Elle per­me­t­tra ain­si aux investis­seurs d’identifier les émet­teurs ayant inté­gré la RSE à leur stratégie globale.

Ces nou­velles ten­dances ques­tion­nent plus large­ment la sépa­ra­tion des analy­ses finan­cière et extra-finan­cière. Elles inter­ro­gent les pra­tiques des investis­seurs et ouvrent la voie à de nou­veaux mod­èles d’évaluation et de ges­tion inté­grant des risques financiers et ESG. C’est d’ailleurs le chemin pris par Ethi­Fi­nance dans le cadre de son rap­proche­ment avec Spread Research. En effet, en alliant de fortes com­pé­tences en nota­tion crédit et extra-finan­cière, le groupe tra­vaille aujourd’hui à l’élaboration de mod­èles per­me­t­tant d’intégrer l’analyse ESG à la ges­tion des risques liés au crédit. Reposant sur la con­vic­tion qu’une saine ges­tion ESG aide à prévenir les risques financiers, ces mod­èles sont pio­nniers en ce qu’ils enten­dent pro­pos­er une ges­tion unifiée des risques financiers et extra-financiers.

Le développe­ment de la RSE crée ain­si de nou­velles oblig­a­tions pour les entre­pris­es et les investis­seurs. Il est égale­ment por­teur d’opportunités, notam­ment en matière de per­for­mances finan­cières. Il appa­raît dès lors néces­saire, tant du point de vue de la ges­tion des risques, que de celui de la ges­tion d’actifs, de tra­vailler à la réc­on­cil­i­a­tion des risques et des per­for­mances finan­cières et extra-financières.


RSE : ce que la loi impose aux entreprises

• Déc­la­ra­tion de per­for­mance extra-finan­cière (DPEF) : rem­place l’article 225 de la loi Grenelle II pour les exer­ci­ces ouverts au 1er sep­tem­bre 2017. Elle con­sacre l’obligation de pub­li­er un report­ing extra-financier sur qua­tre thèmes – envi­ron­nement, social, droit de l’homme et lutte con­tre la cor­rup­tion – pour les entités de plus de 500 salariés cotées (à par­tir de 40 mil­lions d’euros de chiffre d’affaires ou 20 mil­lions d’euros de total bilan) et non cotées (à par­tir de 100 mil­lions d’euros de chiffre d’affaires ou de total bilan). Leur déc­la­ra­tion devra con­tenir : une présen­ta­tion de leur mod­èle d’affaires, une analyse de leurs prin­ci­paux risques RSE, une descrip­tion des poli­tiques et dili­gences asso­ciées et les résul­tats de ces poli­tiques. La DPEF fait ain­si pass­er la logique du report­ing extra-financier de l’exhaustivité à la per­ti­nence et établit une oblig­a­tion de véri­fi­ca­tion par un OTI.

• Loi sur le devoir de vig­i­lance des sociétés mères : oblige depuis cette année les sociétés français­es de plus de 5 000 salariés en France et les sociétés étrangères de plus de 10 000 salariés en France à établir et pub­li­er un plan de vig­i­lance pour prévenir les risques en matière d’environnement, de droits humains et de cor­rup­tion sur leurs pro­pres activ­ités mais aus­si celles de leurs fil­iales, sous-trai­tants et four­nisseurs, en France et à l’étranger.

• Loi Sapin II : con­cerne les entre­pris­es de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 mil­lions d’euros et établit, depuis 2017, huit oblig­a­tions pour les entre­pris­es en matière de lutte con­tre la cor­rup­tion : adop­tion d’un code de con­duite (1) et d’un dis­posi­tif d’alerte interne (2), réal­i­sa­tion d’une car­togra­phie des risques (3), déf­i­ni­tion de procé­dures de con­trôle compt­able (4) et d’évaluation (5) à l’égard des clients, four­nisseurs de pre­mier rang et inter­mé­di­aires, déploiement d’un dis­posi­tif de for­ma­tion des col­lab­o­ra­teurs (6), d’un régime dis­ci­plinaire (7) et d’un dis­posi­tif de con­trôle et d’évaluation interne des mesures mis­es en œuvre (8).

Ce que la loi impose aux investisseurs

• Arti­cle 173 de la loi TEE (Tran­si­tion écologique et énergé­tique) : instau­re, depuis 2016, des oblig­a­tions d’information pour les investis­seurs insti­tu­tion­nels sur leur ges­tion des risques liés au cli­mat, et plus large­ment l’intégration de paramètres envi­ron­nemen­taux et soci­aux dans leur poli­tique d’investissement. Le décret d’application de l’alinéa 6 de l’article 173 prévoit des oblig­a­tions de report­ing dif­férentes selon la taille des insti­tu­tions finan­cières. Ces oblig­a­tions de report­ing con­sis­tent tout d’abord à présen­ter la démarche générale de prise en compte des enjeux ESG dans la poli­tique d’investissement. Ain­si les ges­tion­naires de fonds doivent indi­quer dans leur rap­port annuel la liste des fonds prenant en compte ces critères et la part de ces fonds dans leurs encours totaux. Les investis­seurs sont égale­ment soumis à une oblig­a­tion de trans­parence sur leur ges­tion des risques cli­ma­tiques. Enfin, ils doivent apporter des élé­ments de report­ing quant à leur con­tri­bu­tion au finance­ment de l’économie verte. Si l’article n’impose pas de méthode de report­ing les infor­ma­tions suiv­antes sont générale­ment atten­dues : présen­ta­tion de la démarche générale en matière d’ESG ; prise en compte des critères ESG dans la poli­tique d’investissement ; infor­ma­tions util­isées pour l’analyse et détail de la méthodolo­gie et des résul­tats de l’analyse des risques.

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