Un autre marché à Dakar

Le Sénégal, une exception africaine ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°704 Avril 2015
Par Mamadou Lamine DIALLO (79)

Dans une Afrique qui se présente comme la nou­velle fron­tière du développe­ment, le virus Ebo­la et le ter­ror­isme sous cou­vert de wah­habisme (une inter­pré­ta­tion de l’islam dom­i­nante en Ara­bie Saou­dite) occu­pent le devant de la scène médi­a­tique et men­a­cent la paix, la sécu­rité et la sta­bil­ité du continent.

Une situation contrastée

Le Séné­gal fait excep­tion. Son sys­tème de san­té publique a mon­tré sa résilience en soignant le seul cas d’Ebola réper­torié, importé de la Guinée voi­sine ; le wah­habisme reste marginal.

“ En 1789, une délégation porte à Versailles les cahiers de doléances des habitants de Saint-Louis-du-Sénégal ”

Aucun acte de ter­ror­isme n’a eu lieu ces dix dernières années.

Pour­tant, sur le plan économique et social, le Séné­gal se situe dans le bas de la classe africaine. Le PNB par habi­tant est 900 euros par an, con­tre 2 000 euros pour l’Afrique.

Six cent mille ménages, sur le mil­lion trois cent mille env­i­ron que compte le Séné­gal, vivent dans la pau­vreté absolue, avec moins de sept euros par jour.

Entre les 20 % les plus rich­es et les 20 % les plus pau­vres, l’écart de la dépense moyenne annuelle est de un à cinq.

Un compromis historique

L’exception séné­galaise est le résul­tat de deux phénomènes.

Le pre­mier con­siste en des insti­tu­tions poli­tiques issues d’un com­pro­mis his­torique entre les marabouts et la classe poli­tique des scolarisés.

Durant tout le XVIIIe siè­cle, des Français vivent avec des Séné­galais à Saint-Louis-du- Séné­gal, et se métis­sent sou­vent. En 1789, une délé­ga­tion dirigée par Dominique Lami­ral est envoyée à Ver­sailles pour présen­ter les cahiers de doléances des habi­tants de Saint-Louis-du-Sénégal.

Dès lors, au XIXe puis au XXe siè­cle, des Blancs du Séné­gal, puis des Mulâtres et des Noirs sco­lar­isés siè­gent assez régulière­ment à l’Assemblée nationale1 française.

Par­al­lèle­ment, en Afrique occi­den­tale, le général Louis Faid­herbe (X 1838), soutenu par les maisons bor­de­lais­es, lance à par­tir de 1854 un com­bat con­tre les élites poli­tiques musul­manes pour con­forter la dom­i­na­tion française et la créa­tion de colonies.

Des confréries religieuses

Au Séné­gal, à par­tir de 1875, devant la supré­matie mil­i­taire française, les élites musul­manes, qui menaient jusqu’alors une guerre de résis­tance, changent de stratégie.


Le revenu moyen à Dakar est bien supérieur à la moyenne africaine.  ©FOTOLIA

Elles déci­dent de mobilis­er les paysans et les nou­veaux citadins dans des con­fréries religieuses d’essence soufie, les « Mourides » et les « Tid­janes », et met­tent l’accent sur l’éducation religieuse.

Après une péri­ode d’hostilité qui dure jusqu’à la fin du XIXe siè­cle, l’administration colo­niale cherche à col­la­bor­er avec les chefs des confréries.

Ces derniers appel­lent à vot­er en 1914 pour un représen­tant noir à l’Assemblée nationale française, Blaise Diagne, for­mé à l’école française, con­tre François Car­pot, Mulâtre de Saint-Louis qui fut député de 1902 à 1914.

Dès lors, les chefs religieux col­la­borent avec l’administration colo­niale dans le cadre des insti­tu­tions mis­es en place par celle-ci jusqu’à l’indépendance poli­tique en 1960. L’administration colo­niale forme une élite sco­lar­isée et lance la poli­tique de mise en valeur des colonies, tout en favorisant dans une cer­taine mesure l’influence des con­fréries religieuses sur les populations.

Un rempart contre le terrorisme

C’est ce com­pro­mis his­torique qui a cours jusqu’à présent et explique la force rel­a­tive de la démoc­ra­tie séné­galaise : deux alter­nances poli­tiques à la tête de l’État, réussies après des élec­tions prési­den­tielles régulières.

Ce com­pro­mis, soutenu par des con­fréries religieuses dont les doc­trines réfu­tent le wah­habisme d’Arabie Saou­dite, est un rem­part puis­sant con­tre le terrorisme.

Des inégalités régionales

ACCÉLÉRER LE DÉVELOPPEMENT DU PAYS

Parce que l’Afrique devient un enjeu du monde au XXIe siècle, le mouvement citoyen et politique « Tekki3 » a été fondé en 2007 avec un programme visant à l’accélération du développement économique et social équilibré du Sénégal, autour de quatre piliers : la refondation des institutions de la République,
la modernisation des secteurs informels de l’économie, la création de pôles régionaux de développement, une diplomatie fondée sur le bon voisinage.

Sec­ond phénomène : la région de Dakar est un ter­ri­toire rel­a­tive­ment émer­gent, le revenu moyen par habi­tant avoi­sine 3 500 euros par an, bien au-dessus de la moyenne africaine, proche de celui de l’Indonésie, et con­cen­tre presque toutes les capac­ités sci­en­tifiques, tech­nologiques et entre­pre­neuri­ales du Sénégal.

C’est ce qui explique que cer­tains Séné­galais bril­lent dans les organ­i­sa­tions inter­na­tionales ou occu­pent des posi­tions pres­tigieuses dans les firmes glob­ales du monde2.

La pau­vreté rel­a­tive du Séné­gal en Afrique reflète des iné­gal­ités régionales. L’écart de revenu par tête entre Dakar-Plateau et les régions sud de Séd­hiou ou de Kédougou du Séné­gal est de un à vingt-cinq, c’est-à- dire du même ordre de grandeur que l’écart moyen de richesse entre le Séné­gal et la France.

Le Ballet national du Sénégal.avec Ll'épouse de l'ambassadeur de Chine
L’épouse de l’am­bas­sadeur de Chine danse avec le Bal­let nation­al du Sénégal.
  1. La citoyenneté française a été octroyée aux habitants des quatre communes du Sénégal, Saint-Louis et Gorée d’abord, ensuite Dakar (1878) et enfin Rufisque (1880).
    • Les Sénégalais Amadou Makhtar Mbow et Jacques Diouf ont dirigé respectivement l’Unesco et la FAO.
    • Makhtar Diop est vice-président Afrique de la Banque mondiale,
    • Ousseynou Nakoulima (96) est directeur au Green Climate Fund ;
    • Moctar Fall (79) a été Managing Director chez J.P. Morgan ;
    • Amadou Julde Diallo est le responsable logistique de DHL en Allemagne,
    • Tidjane Deme (94) est directeur Afrique de Google,
    • Momar Nguer est directeur marketing Afrique Moyen-Orient de Total,
    • Evelyne Tall est directeur général adjoint à Ecobank.
  2. Traduit en français par le néologisme « responsabilisme ». Voir Mamadou Lamine Diallo, Principes et méthodes du responsabilisme, L’Harmattan, Dakar, 2010.


RÉFLEXION
LA PRÉSENCE CHINOISE EN AFRIQUE EST-ELLE DURABLE ?

L’Afrique a attiré l’attention du monde en ce début de siè­cle par la vigueur de sa crois­sance économique, notam­ment durant la crise finan­cière des années 2008.

Est-ce l’impact de la hausse des prix du pét­role brut, ou les con­séquences du dynamisme démo­graphique, ou le résul­tat de poli­tiques de trans­for­ma­tion struc­turelle des économies avec des gains de pro­duc­tiv­ité, on ne sait pas encore.

“ Il y aurait autour de 50 millions de Chinois en Afrique à l’horizon 2050 ”

En tout cas, ce change­ment économique s’accompagne d’un phénomène qu’il con­vien­dra d’observer dans les années à venir : la présence chinoise.

Dans les grandes villes africaines du Nord (Algérie), du Sud (Nami­bie), de l’Est (Éthiopie) ou de l’Ouest (Séné­gal), on voit se for­mer dis­crète­ment des com­mu­nautés chinoises.

Hommes et femmes, ouvri­ers et com­merçants, par­fois cadres, effi­caces et besogneux, ces com­mu­nautés vivent à coté des sociétés africaines. Com­bi­en sont-elles ? Pourquoi sont-elles là ? Vont-elles y séjourn­er définitivement ?

Une nouvelle vague d’émigration chinoise

Des chinois en Afrique
Un phénomène nou­veau en Afrique :
la présence chinoise.

Les chiffres disponibles sont épars entre quelques cen­taines de mil­liers et un mil­lion. Et tout porte à croire que leur séjour n’est pas tem­po­raire : au con­traire, tout indique que l’Afrique est la cible d’une nou­velle vague d’émigration chi­noise comme ce fut le cas au XVIIIe siè­cle en Asie du Sud.

Il est vrai que la Chine investit et com­merce de plus en plus avec l’Afrique. Des 63 mil­liards d’euros d’investissements directs de la Chine en 2011, la part de l’Afrique est de 5 %. Elle était de 3 % en 2003. Les échanges com­mer­ci­aux sont passés de 8,3 mil­liards d’euros au début de l’an 2000 à plus de 84 mil­liards en 2010.

Ces rela­tions économiques peu­vent expli­quer en par­tie la présence chi­noise, puisque les travaux d’infrastructure financés par la Chine sont exé­cutés en grande par­tie par des ouvri­ers chinois.

Créer des pôles industriels

Mais, plus fon­da­men­tale­ment, la Chine chercherait à créer des pôles indus­triels dans cer­tains pays africains comme à Dukem, dans la ban­lieue d’Addis Abe­ba en Éthiopie, avec l’entreprise chi­noise Hua­jian. L’objectif de Hua­jan est de con­stru­ire une ville de la chaus­sure de 100 000 tra­vailleurs, dont 30 000 de Hua­jian, pour un investisse­ment de 1,8 mil­liard d’euros.

Au pre­mier forum Chine Afrique des matières pre­mières, des tech­nolo­gies et des ser­vices, tenu à Addis Abe­ba en décem­bre 2013, qui a vu la par­tic­i­pa­tion de 130 entre­pris­es chi­nois­es, cette ori­en­ta­tion a été con­fir­mée par le min­istre du Com­merce chi­nois, Ga Hu Cheng.

Le moteur de cette délo­cal­i­sa­tion serait l’écart de un à dix du coût du tra­vail entre les deux pays dans cette fil­ière, même si la pro­duc­tiv­ité horaire du tra­vailleur éthiopi­en serait de l’ordre de 70 % de celle de l’ouvrier chinois.

Un partenariat entre Chine et Sénégal

Commerçants chinois à Dakar.
Com­merçants chi­nois à Dakar.

Ain­si, la Chine chercherait à délo­calis­er 80 mil­lions d’emplois vers l’Afrique dans les prochaines décen­nies. La com­péti­tion est ouverte entre cer­tains États africains pour capter ces emplois.

L’Éthiopie et le Séné­gal seraient les pays pilotes de l’ONUDI pour sa nou­velle approche du développe­ment indus­triel durable et inclusif.

Le Séné­gal s’est engagé à créer un parc indus­triel de 35 mil­lions d’euros sur fonds pro­pres à 40 km de Dakar. Le pro­jet du Séné­gal con­siste à con­stru­ire en parte­nar­i­at avec la Chine, à Diamnia­dio dans la région de Dakar, un parc indus­triel des­tiné à accueil­lir des indus­tries tex­tiles, de l’électronique légère et du mon­tage d’automobiles.

Il s’agit de con­stru­ire des bâti­ments, bureaux et hangars, dans un espace via­bil­isé pour faciliter la délo­cal­i­sa­tion d’entreprises chi­nois­es. Le pro­jet est financé par le bud­get de l’État du Séné­gal, à cheval sur les années 2014 et 2015.

Le défi de la présence chinoise

En Afrique, les autres pays can­di­dats sont la Zam­bie, le Nige­ria et l’île Mau­rice. En Zam­bie, le parc de Cham­bishi regroupe une ving­taine d’entreprises chi­nois­es liées à des activ­ités minières, 50 00 tra­vailleurs dont 20 % de Chi­nois, pour env­i­ron 800 mil­lions d’euros d’investissements.

Se posent à la fois le prob­lème du nom­bre d’emplois délo­cal­isés de Chi­nois et le défi de la présence chi­noise en Afrique. En Nami­bie, 27 sociétés chi­nois­es seraient actives dans les mines et travaux publics, les tech­nolo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion et les ser­vices financiers.

35 000 à 40 000 Chi­nois y vivent, soit 2 % de la pop­u­la­tion. À 2 % de la pop­u­la­tion, cela sig­ni­fierait que 80 mil­lions de Chi­nois vivraient en Afrique à l’horizon 2050. Cela paraît exces­sif. Un chiffre raisonnable serait 10 % à 20 % d’emplois de Chi­nois dans les emplois délo­cal­isés de Chine, soit 8 à 16 mil­lions de personnes.

Ce qui, approx­i­ma­tive­ment, amèn­erait autour de 50 mil­lions de Chi­nois en Afrique à l’horizon 2050. Volon­té déjà exprimée par le gou­verne­ment chi­nois à la fin des années 1990.

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