La fièvre de l’or noir renaît à Houston

Dossier : ExpressionsMagazine N°699 Novembre 2014
Par Roland CHEMALI (64)

Hous­ton se réveille en ce lun­di matin d’été. La lumi­nosité est déjà éblouis­sante, la chaleur acca­blante. Au volant de ma voiture, je me laisse rafraîchir par le souf­fle puis­sant de la cli­ma­ti­sa­tion. Avant de quit­ter la mai­son, j’avais fait quelques brass­es dans la piscine pour mieux me pré­par­er à affron­ter la chaleur. Il fait bon vivre au Texas.

Technologies « Offshore »

Ce matin en par­ti­c­uli­er, les autoroutes sont un peu plus encom­brées que d’habitude. Les com­men­ta­teurs annon­cent l’ouverture de la con­férence annuelle OTC, Off­shore Tech­nol­o­gy Con­fer­ence, qui se tient comme chaque année au parc des expositions.

“ L’X n’est même pas fichée dans les bases de données des DRH ”

On y attend plus de 100 000 vis­i­teurs, pressés de voir le gigan­tisme des tours de for­age en grandeur naturelle, les têtes de puits munies de sys­tèmes de sécu­rité et les robots d’intervention sous-marine, le dernier cri de la tech­nolo­gie pétrolière.

L’annonceur à la radio con­seille aux jeunes de s’y ren­dre munis de leurs CV. Il y aura beau­coup de recru­teurs à la recherche d’ingénieurs, de géo­logues ou de géo­physi­ciens. Le prob­lème de l’emploi est à l’envers, dans le domaine pétrolier.

J’ai moi-même deux offres fer­mes pour chang­er d’employeur à 68 ans. Lorsque cet arti­cle paraî­tra, j’aurai sans doute pris ma retraite de chez Hal­libur­ton et com­mencé une nou­velle car­rière dans une grande com­pag­nie pétrolière, ayant même encais­sé une prime à l’embauche non nég­lige­able au pas­sage. Je me pince plusieurs fois par jour pour y croire.

Des milliards de dollars investis

L’X, CETTE INCONNUE

L’engouement des chasseurs de têtes à mon égard provient de ma connaissance de la « pétrophysique ». Il s’agit de la science des roches, notamment des nappes pétrolières, inventée en grande partie par des polytechniciens au siècle dernier : Poupon, Dumanoir, Simandoux et Schlumberger. Les compagnies locales sont prêtes à me pardonner mon absence de diplôme américain. Elles veulent bien oublier que je sors d’une obscure école d’ingénieurs française dont ils ont rarement entendu parler. Une école qui n’est même pas fichée dans les bases de données de leurs ressources humaines.
Heureusement j’ai un diplôme complémentaire de l’Institut français des pétroles et une maîtrise de l’université de Louisiane. Cela me donne un peu de légitimité.

L’explication du boum économique de Hous­ton est sim­ple : depuis plus de trois ans, le prix du bar­il de pét­role avoi­sine ou dépasse les 100 dol­lars. Ce phénomène à l’échelle mon­di­ale incite les « majors » comme Exxon­Mo­bil, Chevron, BP et Total à engager des investisse­ments de long terme dans l’exploration pétrolière et le développe­ment des champs d’huile et de gaz naturel.

Les bud­gets de chaque com­pag­nie s’élèvent à plusieurs dizaines de mil­liards de dol­lars sur plusieurs années. Les grandes com­pag­nies pétrolières ont donc besoin d’embaucher directe­ment des spé­cial­istes créant égale­ment un marché sec­ondaire du ser­vice pétroli­er dans le for­age, la sis­mique ou la pose de pipelines sous-marins : Schlum­berg­er, le numéro 1 mon­di­al des ser­vices pétroliers, Hal­libur­ton, Bak­er Hugh­es, CGG, Tech­nip pour n’en citer que quelques-unes.

La fin d’un long déclin

La ville de Hous­ton, comme presque tout le Texas, vit au rythme du prix du bar­il. La qua­trième ville des États-Unis après New York, Los Ange­les et Chica­go a un taux de crois­sance impressionnant.

“ Houston est connu mondialement pour la technologie offshore ”

Et pour­tant, il y a à peine trente ans, en 1984, la ville a con­nu un triste déclin qui s’est pro­longé jusqu’au début des années 2000. Le taux de chô­mage y bat­tait des records. À cause de la réces­sion mon­di­ale des années 1980, la pro­duc­tion mon­di­ale créait un excé­dent de plusieurs mil­liers de bar­ils par jour. Nom­breux sont ceux qui, après avoir per­du leur emploi, ont dû quit­ter leur loge­ment pour des cieux plus clé­ments dans d’autres États.

Les géo­logues se recon­ver­tis­saient chez Star­bucks ou bien s’adonnaient à la menuis­erie. Aujourd’hui tout a changé. Si vous avez tant soit peu de méti­er dans la géo­physique, la géolo­gie ou l’ingénierie pétrolière, les chas­seurs de têtes vous pour­suiv­ront assidûment.

La « sky­line » de Hous­ton. © ISTOCK

VINGT ANS DE RECHERCHE

Un célèbre Houstonien d’origine grecque, George Mitchell, géologue issu de la fameuse Texas Agricultural and Mechanical University, a eu l’idée géniale d’extraire le gaz naturel à partir de la roche-mère sans attendre les millions d’années nécessaires pour la migration de ces hydrocarbures de la roche-mère vers les bancs perméables de grès ou de calcaire qui constituent les couches productrices traditionnelles.
Il lui a fallu près de vingt ans de recherche scientifique sur le terrain et une ténacité légendaire pour mettre au point son procédé. Et puis, en 2002, victoire ! La compagnie qu’il avait fondée, Mitchell Energy, s’est vendue à Devon Energy pour 3,5 milliards de dollars.
La frénésie des gaz de schiste venait juste de commencer. Depuis, des chercheurs chez Petrohawk ont remarqué que la même technologie pouvait s’appliquer à l’extraction des huiles légères : Petrohawk a été rachetée récemment par le géant australien BHP pour plus de 12 milliards de dollars.
Et la danse va en s’amplifiant. ExxonMobil a acheté la compagnie XTO pour 46 milliards de dollars, pour le plus grand bonheur des spéculateurs.

Gaz de schiste

Hous­ton est con­nu mon­di­ale­ment pour la tech­nolo­gie off­shore ; mais depuis 2005 une autre source d’activité est venue s’ajouter à sa panoplie. Une activ­ité très con­tro­ver­sée en Europe puisqu’il s’agit de l’exploitation des gaz de schiste. Le Texas a béné­fi­cié de ce boom énergétique.

Les Répub­li­cains qui gou­ver­nent l’État expliquent évidem­ment à qui veut l’entendre que la prospérité économique du Texas s’explique par leur doc­trine de ges­tion qui laisse les rênes sur le cou aux entreprises.

Forte présence française

HOUSTON, WE HAVE A PROBLEM

En dehors de l’énergie pétrolière, Houston est fière d’héberger le siège principal de la NASA.
C’est au centre de contrôle du Johnson Space Center, dans la banlieue est de Clear Lake, que fut reçue la première phrase prononcée par un astronaute ayant atterri dans un autre monde. Houston the Eagle has Landed.
C’est aussi de Houston que fut guidé Apollo 13 après le fameux appel au secours : Houston we have a problem.

Les Français de Hous­ton ont vu leurs rangs grossir. Ce sont surtout des ingénieurs, mais aus­si des ban­quiers, des restau­ra­teurs et des spé­cial­istes de la mode. Ils sont en général bien rémunérés. On les retrou­ve sou­vent dans le quarti­er chic de Wilcrest dans l’ouest de la ville, ou même dans le quarti­er hyper­hup­pé de Riv­er Oaks près du con­sulat et près de l’école bilingue Awty.

Quelques rares restau­rants du ter­roir offrent de la bonne cui­sine française, mais les Tex­ans ont un goût plutôt porté sur le bar­be­cue tra­di­tion­nel, ou sur la cui­sine mex­i­caine bon marché arrosée de mar­gar­i­tas, une bois­son à base d’al­cool de cac­tus, qui se prête mieux au cli­mat que le bor­deaux millésimé.

Un état plus grand que la France

Le Texas a une super­fi­cie à peine plus grande que la France, mais les grandes villes sont con­cen­trées dans l’est où les ressources en eau sont plus favor­ables. La ville de Hous­ton a une super­fi­cie plus grande que mon Liban natal. Elle est con­sti­tuée d’un ensem­ble de ban­lieues for­mant cha­cune une petite ville indépendante.

Une de ces villes fut juste­ment fondée au nord de la ville par le fameux George Mitchell : la ville de Wood­lands, conçue pour attir­er la classe moyenne supérieure, accueille main­tenant les sièges de cer­taines grandes sociétés telles que ExxonMobil.

Grand rodéo de Houston.
Grand rodéo de Houston.

Austin en pleine croissance

Les autres villes du Texas ont cha­cune un cachet indi­vidu­el, une per­son­nal­ité qui leur est pro­pre. Celle que j’aime le plus, et de très loin, est la cap­i­tale, Austin. C’est la ville qui a le taux de crois­sance le plus élevé des États-Unis sans que l’on sache exacte­ment pourquoi.

“ Les États-Unis ont un excédent de méthane qu’ils cherchent à exporter ”

Per­son­nelle­ment, je pense qu’elle exerce une forte attrac­tion auprès des intel­lectuels en rai­son de sa diver­sité. La musique coun­try y résonne dans toutes les rues ; les lacs arti­fi­ciels qui datent de Lyn­don John­son sont bor­dés de guinguettes où la mar­gari­ta coule à flots ; sans oubli­er l’université du Texas, avec un nom­bre impres­sion­nant de prix Nobel, des politi­ciens sou­vent véreux, des cen­tres high-tech de toutes les com­pag­nies con­nues y com­pris Dell, Apple, 3M, Motoro­la, IBM, et surtout une flopée d’entrepreneurs qui n’hésitent pas à innover.

J’avais moi-même acheté un des pre­miers ordi­na­teurs Dell du cama­rade de cham­brée de Michael Dell, alors qu’il était encore étu­di­ant à l’université du Texas.

Un autre ami que j’avais ren­con­tré dans les années 1980 aux réu­nions de par­ents d’élèves a fondé la société Nation­al Instru­ment qui fut ensuite cotée en Bourse à Wall Street. Il avait démar­ré son affaire entre son salon et son garage.

Con­traire­ment aux autres villes du Texas, Austin n’a pas d’activité liée à la recherche pétrolière, si ce n’est la col­lecte des impôts à la production.

SOINS DENTAIRES CONTRE CONSEILS

Mon premier contact avec l’esprit d’entreprise et d’innovation du Texas a été mémorable, sinon comique. À la suite de la chute du Shah, il y avait une pénurie du pétrole aux États-Unis. C’était le boum des pétroliers du début des années 1980. Un chasseur de têtes était venu me dénicher à Paris, ou plus exactement dans la vallée de Chevreuse. Ma famille et moi nous sommes retrouvés à Austin en 1981.
Alors que je me rendais au centre-ville, je vis un monsieur, des dossiers sous le bras, haranguer les passants. Me voyant un peu perdu, il me fait signe : « Veux-tu acheter une part dans un puits de pétrole ? » Je lui demandai de me montrer ses dossiers. Un petit coup d’œil me convainquit que le puits en question pouvait produire une bonne eau salée mais pas une goutte de pétrole ni un soupçon de gaz. Je lui fis part de mes doutes : il ramassa aussitôt ses dossiers et sans perdre une seconde entreprit d’aborder un autre pigeon qui passait par là : Sir, do you want to buy a share in an excellent oil well ?
Quelques semaines après, je découvris que beaucoup de personnes investissaient dans les puits de pétrole. Mon dentiste avait quelques puits du côté d’Abilene. Lorsqu’il apprit que je m’y connaissais un peu sur l’ingénierie des puits, il m’offrit de troquer ses soins dentaires, d’ailleurs très médiocres, contre mes conseils en amélioration de la production.

Atmosphère de western

À l’ouest du Texas, les villes de Mid­land et d’Odessa sem­blent sor­tir tout droit d’un album de Lucky Luke. Le prix élevé du bar­il et la nou­velle tech­nolo­gie de frac­tura­tion des schistes ont encour­agé la reprise récente de l’activité pétrolière à grande échelle.

Austin
Austin. © ISTOCK

Les cham­bres d’hôtel sont pris­es d’assaut. Les bars sont bondés et la police a du mal à con­trôler tous ces prospecteurs venus faire for­tune, et, noblesse oblige, armés jusqu’aux dents car la con­sti­tu­tion de l’État du Texas le per­met et même l’encourage.

La musique coun­try, la bière abon­dante, les cha­peaux de cow-boys et les fameuses bottes tex­anes créent une atmo­sphère de western.

Le résul­tat de toute cette activ­ité se fait ressen­tir dans un bien-être économique cer­tain. Au lieu de la pénurie de gaz naturel des années 2007, les États-Unis ont main­tenant un excé­dent de méthane qu’ils cherchent à exporter. Ils espèrent attein­dre leur indépen­dance énergé­tique dans moins d’une décen­nie et com­mencer à exporter le pét­role peu après.

Le gaz qui fuit du robi­net d’eau et prend feu est juste bon pour la mise en scène de Gas Land, le fameux film de Josh Cox : au Texas, on n’y croit pas.

La rai­son de ce scep­ti­cisme est plutôt cynique. Mon ami Bil­ly l’explique tout sim­ple­ment : « Imag­ine un seul instant qu’un puits de pét­role ou de gaz naturel en frack­ing cause du tort à quelqu’un : il lui suf­fi­rait alors d’appeler l’un des mil­liers de tri­als lawyers, ces avo­cats rapaces pour­suiv­ant en jus­tice n’importe quelle com­pag­nie, pourvu qu’elle soit riche.

Un juge­ment en faveur de la vic­time se traduirait par un enrichisse­ment cer­tain et immé­di­at pour led­it avo­cat pour le plus grand mal­heur du pro­duc­teur pétrolier.

“ Pour aimer Houston il faut y vivre ”

Or, jusqu’à présent, cette activ­ité de gaz de schiste con­tin­ue. » Bil­ly en con­clut qu’il n’y a sans doute pas eu de vic­times crédi­bles du frack­ing, et cela mal­gré une activ­ité à très grande échelle.

Pour aimer Hous­ton il faut y vivre. Ce n’est vrai­ment pas une ville pour les touristes. C’est plutôt une ville où il fait bon tra­vailler, et s’amuser. L’immobilier y est très bon marché, la pop­u­la­tion très diver­si­fiée et très tolérante, et le moral presque tou­jours au beau fixe.

Plateforme offshore au large de Houston.
Plate­forme off­shore au large de Hous­ton. © REUTERS

COW-BOYS ET COW-GIRLS

Peu après les fêtes de Noël, la grande distraction de Houston est le rodéo annuel. Les médecins du centre médical troquent leurs blouses blanches et leurs tenues de ville contre un attirail de cow-boy, chapeau et bottes et blue-jeans avec la ceinture à boucle argentée.
Les fermiers du Texas apportent leurs bêtes superbes de tous les coins de l’État. Ils entrent à cheval dans la ville comme dans une marche triomphale. Le même parc des expositions qui quelques mois auparavant recevait la technologie offshore devient le royaume des chevaux et des taureaux.
Les vrais cow-boys participent pendant une semaine à une version locale des Jeux olympiques. Il s’agit par exemple de rester le plus longtemps possible, quelques secondes au plus, sur un cheval non dressé, ou pire encore sur un taureau aux cornes pointues et menaçantes, avant de se faire désarçonner.
Les vainqueurs gagnent un prix assorti d’une récompense financière, sans compter l’amour et l’admiration des cow-girls. Les spectateurs sont régalés de chansons, de bière et de barbecue. Je me souviens en particulier d’un rodéo où Julio Iglesias (le père) a débarqué au milieu de la piste, véhiculé dans une limousine noire. Il a susurré des airs espagnols de sa spécialité pour le plus grand plaisir de ces dames.
Une fois la semaine du rodéo écoulée, les fermiers rentrent chez eux, certains avec des trophées, d’autres avec des bons souvenirs, la larme à l’œil et la résolution de gagner au rodéo de l’année suivante.

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