L'agriculture numérique de demain

Les technologies numériques au service de l’agriculture de demain

Dossier : Simulation et supercalculateursMagazine N°732 Février 2018
Par Denis WOUTERS (07)

L’a­gri­cul­ture doit aug­menter sa pro­duc­tion, tout en dimin­u­ant sa forte pres­sion sur l’en­vi­ron­nement. Les tech­niques numériques peu­vent lui per­me­tte de réus­sir ce chal­lenge, en val­orisant les mass­es de don­nées exis­tantes, en sim­u­lant l’évolution de la crois­sance d’une cul­ture pour tenir compte des paramètres agis­sants et en prof­i­tant des pro­grès du machin­isme avec infor­ma­tique embarquée. 

L’agri­cul­ture mod­erne fait face à un cer­tain nom­bre de grands défis qui vont néces­siter le déploiement de tech­nolo­gies de rup­ture afin de pou­voir y faire face. D’une part, la crois­sance con­tin­ue de la pop­u­la­tion mon­di­ale impose d’augmenter les pro­duc­tions agri­coles d’au moins 50 % d’ici à l’horizon 2050. 

“ Toujours plus de données à tous les maillons des filières agroalimentaires ”

D’autre part, le secteur agri­cole exerce déjà une très forte pres­sion sur l’environnement, en étant respon­s­able de 32 % des émis­sions de gaz à effet de serre et en con­som­mant 70 % des ressources en eau de la planète. 

Afin de garan­tir la péren­nité des pro­duc­tions, le secteur agri­cole doit par­venir à préserv­er les ressources naturelles et respecter les con­traintes envi­ron­nemen­tales en lim­i­tant les intrants tels que fer­til­isants ou pro­duits phytosanitaires. 

REPÈRES

Aujourd’hui, 79 % des agriculteurs utilisent Internet (plus que la moyenne française) et 70 % des agriculteurs connectés utilisent des applications professionnelles (source : Alim’agri – ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation).


L’agriculture de demain devra par­venir à pro­duire beau­coup plus en con­som­mant et pol­lu­ant beau­coup moins. 

Pour y par­venir, les tech­nolo­gies numériques représen­tent une oppor­tu­nité majeure de pro­grès. Ces sources de pro­grès reposent d’un côté sur les pro­grès en matière d’apprentissage pro­fond qui per­me­t­tent aujourd’hui de val­oris­er les grandes mass­es de don­nées générées dans le domaine agro­cli­ma­tique, et d’un autre côté sur les méth­odes de sim­u­la­tion de crois­sance de plantes fondées sur la com­préhen­sion des proces­sus biologiques. 


L’agriculture de pré­ci­sion. © PROJET SMART AGRICULTURE SYSTEM

L’EXPLOITATION MASSIVE DE DONNÉES, NOUVELLE RESSOURCE AGRICOLE

Un point essen­tiel de la nou­velle révo­lu­tion agri­cole est la disponi­bil­ité de tou­jours plus de don­nées à tous les mail­lons des fil­ières agroal­i­men­taires. Ces don­nées provi­en­nent de sources mul­ti­ples et hétérogènes, ce qui com­plex­i­fie d’autant leur traitement. 

D’abord, des mass­es de don­nées his­toriques ont été accu­mulées dans les grands organ­ismes publics tels que l’Agence san­i­taire améri­caine (USDA) ou via la PAC en Europe. 

Ensuite, les dif­férents engins agri­coles, dont typ­ique­ment tracteurs, semoirs, épan­deurs, robots ou encore out­ils de trans­for­ma­tion, sont désor­mais équipés de cap­teurs embar­qués per­me­t­tant de suiv­re en temps réel le tra­vail agri­cole et la qual­ité des productions. 

“ Les outils de modélisation permettent aujourd’hui de simuler l’évolution de la croissance d’une culture ”

Le développe­ment rapi­de de l’Internet des objets dans les champs via les réseaux de basse énergie LORA ou Sig­fox va égale­ment ren­dre pos­si­ble le déploiement de réseaux de cap­teurs in situ, per­me­t­tant de suiv­re locale­ment le développe­ment des cul­tures ain­si que les con­di­tions pédologiques et climatiques. 

Enfin, l’ouverture des don­nées issues de con­stel­la­tions de satel­lites, par exem­ple le pro­gramme Sen­tinel de l’Union européenne, va aider à inven­ter de nou­veaux mod­èles économiques autour de la mod­u­la­tion intra­parcel­laire en imageant pré­cisé­ment les hétérogénéités de développe­ment que l’on sait très impor­tantes à l’intérieur même des parcelles. 

L’ensemble de ces don­nées, his­torique­ment peu mis­es en valeur, peut aujourd’hui être traité con­join­te­ment grâce à la mod­éli­sa­tion math­é­ma­tique et à la puis­sance de cal­cul, offrant ain­si de nou­velles per­spec­tives pour l’optimisation des proces­sus agri­coles. La val­ori­sa­tion de ces don­nées peut se faire selon deux approches complémentaires. 

L’APPRENTISSAGE STATISTIQUE

La pre­mière approche se fonde sur les out­ils de traite­ment et d’apprentissage sta­tis­tique. Une des prin­ci­pales dif­fi­cultés du traite­ment de ces don­nées est liée à leur grande hétérogénéité : images satel­lites, séries de don­nées cli­ma­tiques, infor­ma­tions par­cel­laires, don­nées économiques… 

RÉSEAUX DE NEURONES

Les méthodes d’apprentissage profond utilisant des réseaux de neurones profonds ont récemment montré des résultats spectaculaires sur un grand nombre de problèmes.
La profondeur, liée au nombre de couches de traitement, permet d’apporter la flexibilité nécessaire à la caractérisation des processus sous-jacents décrits par les données.

Des méth­odes math­é­ma­tiques de réduc­tion de dimen­sion ren­dent pos­si­ble le traite­ment con­joint de ces don­nées avec des algo­rithmes de machine learning. 

Ces algo­rithmes sont typ­ique­ment de deux types et utilisent les don­nées : soit pour cal­i­br­er des mod­èles de « régres­sion » où une ou plusieurs vari­ables sont prédites à par­tir d’un grand nom­bre de covari­ables, comme le ren­de­ment à par­tir des don­nées cli­ma­tiques et itinéraires cul­tur­aux, soit pour clas­si­fi­er et iden­ti­fi­er des typolo­gies per­ti­nentes, comme recon­naître dif­férentes cul­tures à par­tir de séries d’images satellites. 

La dif­fi­culté de la cal­i­bra­tion de ces mod­èles, en rai­son de la com­plex­ité de leur archi­tec­ture, est aujourd’hui sur­mon­tée grâce aux pro­grès récents en matière d’algorithmique et de capac­ités de cal­cul, ouvrant ain­si les portes à leur appren­tis­sage sur de très grandes bases de données. 

SIMULER LA CROISSANCE DES PLANTES

En par­al­lèle de la mod­éli­sa­tion par les don­nées, des travaux sont menés depuis une trentaine d’années pour par­venir à inté­gr­er dans des for­mal­ismes math­é­ma­tiques cohérents les con­nais­sances acquis­es en matière d’agronomie, de biolo­gie et de botanique. 

LES GRANDS SEMENCIERS INNOVENT

Avec en moyenne 20 % de leurs revenus réinvestis chaque année dans la R & D, les grandes firmes semencières telles que Pioneer-Dow, Bayer- Monsanto, Limagrain, KWS et d’autres font figure de modèles en matière d’innovation.

Ces out­ils de mod­éli­sa­tion per­me­t­tent aujourd’hui de simuler l’évolution de la crois­sance d’une cul­ture, inté­grée dans son envi­ron­nement grâce à un cou­plage avec la mod­éli­sa­tion du sol et de l’environnement : cycle de l’azote, flux énergé­tiques sol-plante-atmo­sphère, bal­ance en eau… 

Ces mod­èles sont con­fron­tés aux don­nées pour leur étalon­nage et val­i­da­tion, et il est alors pos­si­ble de tra­vailler par sim­u­la­tion numérique sur nom­bre de fac­teurs d’intérêt : estimer le poten­tiel de ren­de­ment en fonc­tion d’une con­duite cul­tur­ale don­née, quan­ti­fi­er l’impact du change­ment cli­ma­tique sur les pro­duc­tions agricoles… 

En util­isant les out­ils de mod­éli­sa­tion et de sim­u­la­tion con­stru­its, soit à par­tir des con­nais­sances extraites des bases de don­nées, soit en injec­tant les con­nais­sances sci­en­tifiques sur le sys­tème sol-plante-atmo­sphère, un grand nom­bre de ser­vices à forte valeur ajoutée peu­vent être apportés à toutes les étapes du cycle de vie du végé­tal, depuis la sélec­tion var­ié­tale jusqu’à la pre­mière trans­for­ma­tion des pro­duits agricoles. 

“ Un large éventail de pratiques culturales peut être optimisé grâce à l’utilisation de services numériques ”

Cette approche, générique et trans­verse à toutes les fil­ières agroal­i­men­taires, repose sur des méth­odes d’optimisation sto­chas­tique prenant en compte l’aspect aléa­toire des prévi­sions cli­ma­tiques. Ces méth­odes numériques sont aujourd’hui opéra­tionnelles grâce aux pro­grès très rapi­des en matière de capac­ités de calcul. 

L’avènement du cloud et plus récem­ment des offres du type HPC as a ser­vice ouvre désor­mais une nou­velle fenêtre pour des mod­èles économiques pro­posant des ser­vices en ligne à forte valeur ajoutée en évi­tant des investisse­ments lourds dans des infra­struc­tures de calcul. 

TOUTE LA FILIÈRE AGROALIMENTAIRE EST CONCERNÉE

L’horizon des pos­si­bles ouvert par les tech­nolo­gies numériques en agri­cul­ture est large et touche l’ensemble des étapes suc­ces­sives des fil­ières agroalimentaires. 

LE NUMÉRIQUE EN PLEIN CHAMP

Les progrès en matière de machinisme tels que l’informatique embarquée permettant la modulation automatique, le GPS différentiel avec localisation à 2 cm près, la robotique permettent aujourd’hui d’utiliser ces cartes d’application de façon automatisée sans aucune intervention humaine en champ.

À com­mencer par la sélec­tion var­ié­tale, dans un marché très concurrentiel. 

L’effort pour par­venir à pro­duire une nou­velle var­iété plus per­for­mante est long (une dizaine d’années) et donc coû­teux. Chaque année, les semenciers réalisent des mil­lions d’essais en car­rés latins de croise­ments nou­veaux dans l’espoir de faire ressor­tir une géné­tique avec des traits tou­jours plus performants. 

Les tech­nolo­gies numériques intro­duisent un véri­ta­ble change­ment de par­a­digme en promet­tant de rem­plac­er les coû­teux essais en champ par des sim­u­la­tions par ordi­na­teur, de la même façon que la con­cep­tion d’une voiture ou d’un avion a été com­plète­ment boulever­sée par l’introduction de la sim­u­la­tion numérique dans les années 70. 

LE CHAMP D’APPLICATION EST ÉTENDU

Les technologies numériques au service de la filière agroalimentaire
Les tech­nolo­gies numériques au ser­vice de l’ensemble de la fil­ière agroal­i­men­taire. © CYBELETECH

Au niveau de la con­duite des cul­tures, c’est un large éven­tail de pra­tiques cul­tur­ales qui peu­vent être opti­misées grâce à l’utilisation de ser­vices numériques. 

Ces ser­vices sont per­ti­nents qu’il s’agisse d’intervenir en amont de la sai­son, choix de var­iétés adap­tées, opti­mi­sa­tion de la den­sité de semis en fonc­tion du poten­tiel du sol ; ou pen­dant la sai­son : opti­mi­sa­tion des pra­tiques de fer­til­i­sa­tion et d’irrigation en fonc­tion des réels besoins de la plante… 

Un point impor­tant est l’adaptation des pré­con­i­sa­tions de con­duite aux hétérogénéités par­cel­laires en pro­duisant des cartes d’application mod­ulées sur la par­celle adap­tant la con­duite en fonc­tion des dif­férences de développe­ment et donc des besoins de la plante. 

La mesure du développe­ment des cul­tures à l’échelle intra­parcel­laire est effec­tuée en qua­si-temps réel grâce à la télédé­tec­tion par satel­lite avec des temps de revis­ite réduits à cinq jours, offrant une cou­ver­ture exhaus­tive sur l’ensemble de la saison. 

Un autre champ d’optimisation des con­duites con­cerne le pilotage des ser­res pour le maraîchage pour réguler le cli­mat interne de la serre et les apports aux plantes en fonc­tion du stade de développe­ment et du cli­mat extérieur. Un cer­tain nom­bre de cap­teurs, reliés par l’Internet des objets, per­me­t­tent de suiv­re en temps réel les pro­grès de la cul­ture et ain­si quan­ti­fi­er les besoins de la plante et les besoins d’environnement optimal. 

L’ensemble de ces ser­vices, touchant à l’ensemble des fil­ières et proces­sus agroal­i­men­taires, est ren­du aujourd’hui pos­si­ble grâce aux pro­grès en matière d’algorithmique et d’infrastructure de cal­cul haute performance. 

Le déploiement de ces ser­vices est une oppor­tu­nité sans précé­dent pour assur­er la com­péti­tiv­ité et la péren­nité des activ­ités agri­coles, tout en s’adaptant aux con­traintes envi­ron­nemen­tales tou­jours plus fortes.

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