Le complexe Tokamak ITER en construction

Pas d’ITER sans numérique

Dossier : Simulation et supercalculateursMagazine N°732 Février 2018
Par Bernard BIGOT

Le démon­stra­teur ITER, devant réalis­er la pro­duc­tion d’élec­tric­ité à par­tir de la fusion d’atomes, est en cours de con­struc­tion à Cadarache. Il ne saurait voir le jour sans les tech­niques numériques les plus per­for­mantes actuelle­ment disponibles. Et non seule­ment pour les cal­culs sci­en­tifiques, mais pour les opéra­tions a pri­ori plus clas­siques de con­struc­tion, de métrolo­gie, de robo­t­ique ou d’approvisionnement. 

L’attrait de la tech­nolo­gie ITER est con­sid­érable dans la mesure où la matière pre­mière (l’eau et le lithi­um) néces­saire à la pro­duc­tion du com­bustible pour une pro­duc­tion apte à répon­dre aux besoins d’une pop­u­la­tion mon­di­ale de quelque 10 mil­liards de con­som­ma­teurs est large­ment répar­tie sur la planète et en quan­tité suff­isante pour a min­i­ma quelques dizaines de mil­lions d’années.

L’atteinte de cet objec­tif de démon­stra­tion con­stituerait donc une rup­ture majeure dans la prob­lé­ma­tique de l’approvisionnement énergé­tique mondial. 

La maîtrise de la fusion de l’hydrogène est désor­mais solide­ment établie suite aux travaux menés dans de nom­breux lab­o­ra­toires depuis le début des années 1960, après la mise en évi­dence des réac­tions ther­monu­cléaires à l’œuvre au cœur du soleil et des étoiles dans les années 1920–1930.

REPÈRES

L’Accord ITER réunit sept grands partenaires et a été signé en novembre 2006 à Paris pour une durée minimale de 42 ans.
Ces sept grands partenaires sont la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis d’Amérique, l’Inde, le Japon, la Russie et l’Union européenne, soit 35 pays représentant plus de la moitié de la population mondiale et environ 85 % du produit mondial brut annuel.
L’investissement lors de la phase de construction prévue d’une durée cumulée d’environ 25 ans est de l’ordre de 20 milliards d’euros.


Cepen­dant, toutes les instal­la­tions du type Toka­mak con­stru­ites à ce jour en vue d’étudier le phénomène n’ont pas la taille cri­tique pour espér­er obtenir une pro­duc­tion nette d’énergie.

Cette taille cri­tique (dimen­sion de la cham­bre à vide et de la cage mag­né­tique asso­ciée de l’ordre du mil­li­er de mètres cubes, valeur du champ mag­né­tique de l’ordre de 5 à 10 tes­las…) est telle qu’une vaste coopéra­tion inter­na­tionale est indis­pens­able pour con­stru­ire et exploiter cette instal­la­tion dans un temps raisonnable. C’est le sens de l’Accord ITER. 

Le cal­en­dri­er de réal­i­sa­tion du pro­jet est un pre­mier plas­ma en décem­bre 2025 et les pre­mières expéri­ences de pro­duc­tion d’un plas­ma d’une puis­sance ther­mique de 500 MW avec un chauffage externe lim­ité à 50 MW (fac­teur 10 d’amplification a min­i­ma) prévues à par­tir de décem­bre 2035. 

“ La réussite d’ITER sera une rupture majeure dans la problématique de l’approvisionnement énergétique mondial ”

Le nom­bre, la diver­sité, les per­for­mances atten­dues de la part des tech­niques mis­es en œuvre (neu­tron­ique, mag­nétisme, cryo­génie, vide, trans­fert ther­mique, élec­trotech­nique, élab­o­ra­tion en grande quan­tité et assem­blage de matéri­aux aux per­for­mances extrêmes, génie civ­il, sépa­ra­tion physic­ochim­ique des com­posants d’un mélange gazeux radioac­t­if, con­trôle com­mande, métrolo­gie, instru­men­ta­tion, robo­t­ique…) et leur degré d’intégration sont tels que la con­struc­tion et l’exploitation d’ITER seraient pro­pre­ment inen­vis­age­ables sans l’apport décisif des tech­niques numériques actuelle­ment disponibles. 

Ces tech­niques numériques inter­vi­en­nent notam­ment dans la mod­éli­sa­tion du plas­ma en régime tran­si­toire ou sta­bil­isé, dans la con­cep­tion de cha­cun des com­posants et la ges­tion de leurs inter­faces, dans les études d’ingénierie de fab­ri­ca­tion et d’assemblage, dans les démon­stra­tions de sûreté, dans la ges­tion des appro­vi­sion­nements et des stock­ages de mil­lions de pièces fab­riqués dans le monde entier, dans la for­ma­tion et la qual­i­fi­ca­tion des per­son­nels au stade de la con­cep­tion, de la fab­ri­ca­tion, du con­trôle qual­ité, du trans­port, du stock­age, de l’assemblage, de la récep­tion et qual­i­fi­ca­tion indi­vidu­elles des com­posants, de la qual­i­fi­ca­tion des divers sous-sys­tèmes et de la machine tout entière. 

Elles inter­vien­dront aus­si lors des phas­es d’exploitation avec la con­cep­tion des cam­pagnes d’expérience, de main­te­nance et démantèlement. 


Reposant sur 493 plots para­sis­miques, le Com­plexe Toka­mak, d’une masse de 440 000 tonnes, compte 7 niveaux. Au cen­tre, l’enceinte de béton armé (bioshield) au cœur de laque­lle la machine sera assemblée

Pour illus­tr­er les défis que les tech­niques numériques mis­es en œuvre dans la con­duite du pro­jet per­me­t­tent de relever, songeons aux quelques don­nées suiv­antes. Le cryo­stat, en aci­er inoxyd­able, dans lequel seront instal­lés tous les com­posants du Toka­mak mesure 30 m de haut et autant de diamètre et pèse 3 800 tonnes. Il com­porte 280 ouver­tures qui devront être par­faite­ment alignées avec leurs équiv­a­lents dans les parois de la cham­bre à vide et dans le mur de pro­tec­tion biologique. 

TEMPÉRATURES EXTRÊMES

Certains composants supporteront des flux d’énergie pouvant aller jusqu’à 20 MW par mètre carré.
La température variera de 150 millions de degrés à ‑270° sur une distance de l’ordre du mètre et de 250° à ‑270° en quelques centimètres.

Les 18 bobines mag­né­tiques ver­ti­cales et les 6 bobines hor­i­zon­tales qui con­stituent la cage mag­né­tique géante ont des dimen­sions indi­vidu­elles com­pris­es entre 9 m et 24 m et un poids com­pris entre 200 et 450 tonnes. Le solénoïde cen­tral mesure 17 m de haut et plus de 4 m de diamètre. Il pèse 1 000 tonnes. 

L’ensemble de ces bobines et de leur ali­men­ta­tion (env­i­ron 10 000 tonnes) sera refroi­di à une tem­péra­ture de 4 degrés kelvins grâce à une cir­cu­la­tion d’hélium liquide. 

La pro­duc­tion d’hélium liq­uide sera de 12 500 litres par heure. La longueur des lignes cryo­géniques de dis­tri­b­u­tion de cet héli­um sera de plus de 6 km. 

Les bobines devront être assem­blées autour de la cham­bre à vide de telle sorte que l’axe de la cage mag­né­tique d’environ 20 m de diamètre et autant de haut ain­si for­mée soit posi­tion­né dans le cryo­stat avec une pré­ci­sion inférieure au mil­limètre. Le courant cir­cu­lant dans les dif­férentes bobines supra­con­duc­tri­ces sera de l’ordre de 70 000 ampères. 

La cham­bre à vide à dou­ble paroi, d’un vol­ume de 1 600 m3, est con­sti­tuée de 6 secteurs de 18 m de haut et 9 m de large qui seront soudés ensem­ble pour assur­er une étanchéité par­faite lorsque soumis à une dépres­sion de l’ordre du mil­lion­ième d’atmosphère.

Le Bâti­ment Toka­mak com­porte plus de 120 000 plaques de sup­port des cir­cuits d’électricité, ven­ti­la­tion, flu­ides… Pesant 440 000 tonnes, il repose sur une dalle unique de 120 m de long et 80 m de large sup­port­ée par 493 plots anti­sis­miques garan­tis­sant la par­faite sta­bil­ité de l’ensemble dans les con­di­tions les plus extrêmes envis­age­ables de vibration. 

Cha­cun com­pren­dra que la sat­is­fac­tion de pareils objec­tifs exige un énorme effort de mod­éli­sa­tion, de sim­u­la­tion, de qual­i­fi­ca­tion et de ges­tion rigoureuse des mul­ti­ples don­nées qui entrent en jeu. 

Les équipements infor­ma­tiques et leurs logi­ciels sont sol­lic­ités au max­i­mum de leurs per­for­mances actuelles avec l’espoir de les voir pro­gress­er encore pour amen­er à une réduc­tion sig­ni­fica­tive des délais et coûts de con­struc­tion et d’exploitation dans la phase d’industrialisation de la fusion que l’on espère con­naître au cours de la sec­onde moitié de ce siècle.
 

Image en coupe du Tokamak ITER
Image en coupe du Toka­mak ITER

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