Enfant comptant sur ses doigts

Étymologie :
À propos des ressources humaines à l’heure du digital

Dossier : ExpressionsMagazine N°727 Septembre 2017
Par Pierre AVENAS (X65)

Le terme digi­tal vient de l’anglais, où il dérive de digit « chiffre », du latin digi­tus « doigt »… sim­ple­ment parce que les humains ont d’abord comp­té sur leurs doigts (cf. l’Éty­mo­lo­giX de juin-juillet 2019 – Le mar­ke­ting digi­tal).

L’important aujourd’hui, c’est la maî­trise des ordi­na­teurs qui comptent de plus en plus vite, et de plus en plus d’éléments en paral­lèle. Une occa­sion de s’intéresser aux racines éty­mo­lo­giques inat­ten­dues du verbe comp­ter.

Le verbe putare en latin

Le latin com­pu­tare est for­mé de cum « avec » et du verbe putare, dont le sens pre­mier est « net­toyer, puri­fier », et en par­ti­cu­lier « éla­guer les arbres ». Au figu­ré, il faut aus­si « éla­guer » une struc­ture éco­no­mique, éli­mi­ner ses branches inutiles, et pour cela « apu­rer ses comptes, comp­ter, cal­cu­ler, esti­mer » : tel est le sens méta­pho­rique de putare, qui se retrouve en par­tie dans com­pu­tare « compter ».

Autre­ment dit, comp­ter, c’est éta­blir les comptes justes, sur les­quels on peut comp­ter. Enfin, putare, c’est aus­si « pen­ser, croire », d’où ce qui est puta­tif.

Le verbe compter et son arborescente famille lexicale

On revient au concret avec ampu­tare « cou­per des branches » puis « ampu­ter », depu­tare « pré­le­ver des branches », d’où l’idée du dépu­té, qui est « déta­ché » de sa com­mu­nau­té pour la repré­sen­ter. On a aus­si sup­pu­tare « tailler les pousses infé­rieures », et ensuite sup­pu­ter « esti­mer compte tenu d’hypothèses ».

Quant à repu­tare, c’est un aug­men­ta­tif de putare, où le pré­fixe re marque l’ampleur, comme celle d’une répu­ta­tion. Sans oublier dis­pu­tare « mettre au net un compte après dis­cus­sion », quitte à régler des comptes, en évi­tant de se dis­pu­ter.

Enfin, impu­tare com­porte cette fois l’idée d’un ajout, comme lorsqu’on impute une dépense, d’où aus­si enter, syno­nyme de gref­fer, pour ajou­ter une branche.

En outre, com­pu­tare signi­fie aus­si en bas latin « rela­ter une his­toire », dont on compte en quelque sorte les épi­sodes, et devient en ancien fran­çais conter, dans le sens de comp­ter (fixé au XVe siècle) et de conter, res­té pour un conte, que l’on raconte, alors qu’une comp­tine s’adresse aux tout-petits.

“ En 1867, Jules Ferry écrit Les comptes fantastiques d’Haussmann,
un doublet étymologique des
Contes fantastiques d’Hoffmann ”

Pour « comp­ter », l’anglais a le verbe usuel to count, et dans les cal­culs to com­pute, d’où com­pu­ter, dési­gnant les grands cal­cu­la­teurs créés aux États-Unis dans les années 1940, un nom adop­té tel quel ou presque dans la plu­part des autres langues… mais pas en français.

À la recherche du nom idoine

En effet, les diri­geants d’IBM France ont eu l’idée en 1955 de cher­cher un nom com­mer­cial plus sym­pa­thique que com­pu­ter, et le lin­guiste fran­çais Jacques Per­ret (1906- 1992) leur a pro­po­sé ordi­na­teur, du latin ordi­nare « mettre en ordre ».

Ce nom a tout de suite ren­con­tré l’adhésion du public et c’est ain­si que le fran­çais est l’une des rares langues où l’on ne dit pas com­pu­ter. À noter que l’espagnol emploie com­pu­ta­do­ra en Amé­rique, mais suit en géné­ral le fran­çais avec orde­na­dor en Espagne.

Ce mot ordi­na­teur est un suc­cès de la langue fran­çaise, avec logi­ciel et cour­riel, mais il est cer­né par des angli­cismes de plus en plus nom­breux comme PC, blog, web, open source, open data, big data… ou hacker, geek, des pro­fils typiques du monde digi­tal, que désor­mais les RH prennent… en compte.


Légende de l’i­mage : Avant de savoir lire et écrire, un enfant connaît ses chiffres et sait comp­ter… ses jouets, comme les pre­miers écrits des humains étaient des­ti­nés à comp­ter… leurs têtes de bétail. © Gamelover

Voir toutes les chro­niques éty­mo­lo­giques de Pierre Avenas

Commentaire

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Alex­Moatrépondre
17 septembre 2017 à 13 h 34 min

quelques URLs pour aller plus loin

Mer­ci Pierre de cet article. 

Pour aller plus loin, deux types d’ar­ticles différents : 

1°) sur la séman­tique « numé­rique » vs « digi­tal », mes articles “Le Débat” 2012 & 2016 : http://www.bibnum.eu/article-revue-le-debat-n-170-le-livre-le-numerique-106151547.html

2°) sur Jacques Per­ret et le mot ordi­na­teur, pré­sen­ta­tion de lettre de J. Per­ret et son ana­lyse par L. DEpe­cker sur le site Bib­Num (qui béné­fi­cie du sou­tien de l’AX et de la FX) : https://www.bibnum.education.fr/calcul-informatique/calcul/que-diriez-vous-d-ordinateur

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