L'étymologie du port nous rappelle le phare d'Alexandrie

Étymologie :
À propos des ports

Dossier : Les ports en FranceMagazine N°764 Avril 2021
Par Pierre AVENAS (X65)

Qu’est-ce qu’un port, sinon un point de pas­sage à tra­vers la lim­ite entre la terre ferme et l’eau. En effet, le latin portus « port » se relie à la racine indo-européenne *per- « aller de l’avant, pénétr­er dans », celle-là même qui est à l’origine d’expertise, comme on a pu le voir dans le précé­dent Éty­mologiX. Une con­ver­gence for­tu­ite entre deux Éty­mologiX successifs ! 

Une riche famille de mots, déjà en latin, autour du port et de la porte

Le latin por­ta, désig­nant la porte, se relie naturelle­ment à por­tus, désig­nant d’abord l’entrée du port, puis le port, qui est lui-même la porte d’entrée dans un ter­ri­toire. De là, le verbe portare a d’abord sig­nifié « faire pass­er », par une porte ou par un port, puis plus générale­ment « porter d’un point à un autre » et même « porter », sta­tique­ment comme le fait un por­tique (latin por­ti­cus) et au sens fig­uré « se porter ». On pense au port majestueux du phare qui sig­nalait jadis le port d’Alexandrie. Ce verbe portare a prospéré avec une mul­ti­tude de pré­fix­es, comme trans-, d’où trans­porter… ou in-, im- et ex-, aboutis­sant à import-export en pas­sant par l’anglais…

Les activ­ités por­tu­aires et logis­tiques ont tou­jours été essen­tielles. Ain­si, dans la mytholo­gie romaine, Por­tunus était une anci­enne divinité des pas­sages, des portes et des clés, puis aus­si le dieu pro­tecteur des ports et des nav­i­ga­teurs. Le tem­ple de Por­tunus se tient tou­jours près du site de l’ancien port de Rome, sur le Tibre. Pré­fixé par ob-, op- « devant », Por­tunus devient oppor­tunus, c’est-à-dire « dirigé vers le port », qual­i­fi­ant le vent favor­able qui pousse dans le bon sens pour le retour à bon port, d’où au sens fig­uré, ce qui est bon, oppor­tun. Cet adjec­tif a deux con­traires de sens voisins mais dif­férents, inop­por­tun et impor­tun, nuance déjà présente en latin, inop­por­tunus et impor­tunus.

Une racine indo-européenne bien diffusée…

Cette racine *per- se man­i­feste, par por­tus, dans les langues romanes (port, por­to, puer­to…) et cel­tiques (bre­ton porzh). De plus, por­tus est emprun­té par les langues slaves, en russe, port (порт) et en polon­ais port à côté d’autres noms d’origine slave, ain­si que par les langues ger­maniques, comme en anglais port, à côté de har­bour, plus courant.

En grec, lim­nê « port » (limani en néo­grec) désigne au sens pro­pre le bassin por­tu­aire où s’abritent les bateaux, sans rap­port avec la racine *per-. Toute­fois, celle-ci se voit dans le grec poros « pas­sage, voie de com­mu­ni­ca­tion », emprun­té par le latin porus, mais dans un sens « nat­u­ral­iste », par exem­ple lié aux voies res­pi­ra­toires, d’où le mot pore. Ain­si en français, de la racine *per- provi­en­nent par le latin port, porte, porter… et par le grec pore, porosité… et au fig­uré apor­ie, pour une sorte d’impasse intellectuelle.

…même dans les langues germaniques

Les noms du port d’origine ger­manique sont en anglais, har­bour, en alle­mand, Hafen, sans rap­port avec *per-. Une racine ignorée par ces langues ? Non, si l’on sait que l’initiale /p/ d’une racine indo-européenne se main­tient en grec et en latin mais aboutit à /f/ dans les langues ger­maniques (cf. pater et father) : on retrou­ve alors la racine *per- dans les noms du gué en anglais, ford (cf. Oxford) et en alle­mand, Furt (cf. Erfurt), ou de l’estuaire en anglais, firth, ou encore du fjord norvégien.

Épilogue

Le port est un point de pas­sage à tra­vers un rivage, comme un gué à tra­vers une riv­ière, un fjord à tra­vers une mon­tagne, ou une porte à tra­vers un mur, une porte ouverte si l’on suit l’étymologie.

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