Aristote, auteur des leçons de physique

Étymologie :
À propos de physique

Dossier : ExpressionsMagazine N°721 Janvier 2017
Par Pierre AVENAS (X65)

La notion de physique a évolué entre l’Antiquité et l’époque mod­erne, où l’on dis­tingue en français la physique et le physique. His­toire d’une bifur­ca­tion étymologique…

Du grec à l’origine

Le mot physique a vis­i­ble­ment une forme grecque, avec son i grec, avatar d’upsilon (υ, Υ), et son ph, représen­tant le p aspiré noté phi (φ, Φ) en grec ancien, et bien dis­tinct du ƒ latin. En effet, physique vient du latin phys­i­ca, lui-même emprun­té au grec phusikê (φυσικη).

Et parce que le ph a fini par se pronon­cer comme un ƒ, cer­taines langues l’ont aban­don­né (en même temps que le y) : c’est le cas de l’italien (fisi­ca) et de l’espagnol (físi­ca), mais certes pas du français, ni de l’anglais (physics) ou de l’allemand (Physik).

L’origine naturaliste de la physique

Le point de départ est une racine indoeu­ropéenne sig­nifi­ant « naître, croître, être », à laque­lle se rat­tache le verbe grec phuein « naître, pouss­er », surtout pour les êtres vivants, d’où notam­ment phu­ton « plante, ce qui pousse », et en français l’élément phy­to-, de la phy­tothérapie par exemple.

Du verbe phuein dérive aus­si le nom phu­sis, désig­nant d’abord le règne vivant, puis en philoso­phie (chez Pla­ton) la nature au sens large, y com­pris la matière inerte et tout l’univers… (de même en latin, natu­ra « nature » vient de nasci « naître »). Enfin, de phu­sis « nature » on arrive à l’adjectif phusikos « relatif à la nature », où la nature est prise au sens restreint du monde vivant ou au sens large.

De là, l’évolution en latin et en ancien français va aboutir à deux champs séman­tiques : l’un en rap­port avec les êtres vivants, et surtout avec l’être humain : le physique d’une per­son­ne et l’adjectif physique à pro­pos de ses car­ac­tères physiques, de sa force physique… (cf. en anglais physi­cian « médecin ») ; l’autre en rap­port avec la nature au sens large : la physique, c’est-à-dire la sci­ence qui étudie les pro­priétés générales de la matière et les lois qui régis­sent les phénomènes matériels (cf. en anglais physi­cist « physicien »).

Au commencement était Aristote

Cette dernière accep­tion doit beau­coup, sinon tout, à Aris­tote qui, à Athènes entre 335 et 323 avant J.-C., écrivait ses Leçons de physique (Phusikês akroaseôs), ce qu’il est con­venu de nom­mer la Physique d’Aristote.

Cet ouvrage traite de notions fon­da­men­tales comme la matière et la forme, le mou­ve­ment et le change­ment, l’infini, le vide, le temps… des notions aux­quelles la physique n’a pas cessé de s’intéresser depuis, et Aris­tote étu­di­ait aus­si le monde vivant, mais dans d’autres traités, dont sa remar­quable His­toire des ani­maux.

Et même si de nos jours le nom de la physique n’évoque plus les êtres vivants, il est bien for­mé sur le même rad­i­cal phys- que les mots de la biolo­gie comme physiolo­gie (d’où l’anglais phys­i­ol­o­gy), du grec phys­i­olo­gia « dis­ser­ta­tion sur la nature » déjà attesté chez Aris­tote, et l’élément physio- sert à for­mer de nom­breux mots, comme physionomie, du grec phu­siognô­mo­nia « art de juger quelqu’un d’après… le physique », encore une fois chez Aristote.

Épilogue

La physique mod­erne peut être quan­tique, rel­a­tiviste, atom­ique, ou encore nucléaire… ce qui ramène au végé­tal, donc au vivant. Pourquoi cela ? Sim­ple­ment parce que l’adjectif nucléaire remonte au latin nucle­us, dont le sens pre­mier est… « cerneau de noix », nucle­us déri­vant de nux, nucis « noix », d’où vient aus­si noy­au (cf. en anglais, atom­ic nucle­us « noy­au atomique »).

Au-delà de la boutade éty­mologique, l’observation de la nature est bien à l’origine de toutes les con­nais­sances humaines.


En illus­tra­tion : Por­trait d’Aristote, con­servé au Lou­vre, copie romaine en mar­bre d’un bronze grec attribué à Lysippe, por­traitiste attitré d’Alexandre le Grand, dont Aris­tote fut le pré­cep­teur. Le nom d’Aristote en grec est Aris­totelês, for­mé de aris­tos « le meilleur » et telos « résultat ».

Voir toutes les chroniques éty­mologiques de Pierre Avenas

Poster un commentaire