Étymologie de la haute fonction publique de l’État

Étymologie :
À propos de la haute fonction publique de l’État

Dossier : La Haute fonction publique de l'ÉtatMagazine N°776 Juin 2022
Par Pierre AVENAS (X65)

L’énoncé de ce thème com­porte quatre mots d’apparence ano­dine, mais deux d’entre eux sou­lèvent des ques­tions éty­mo­lo­giques plus com­pli­quées qu’il n’y paraît. C’est d’abord le cas de l’adjectif public, puis du mot fonc­tion, et de son déri­vé fonc­tion­naire.

Une double origine latine du mot public ?

À l’origine c’est l’ensemble des citoyens en âge de com­battre que dési­gnait à Rome le latin popu­lus, ou sa forme archaïque poplus, d’où l’ancien adjec­tif popli­cus, deve­nu publi­cus avec une évo­lu­tion sur­pre­nante vers l’initiale pub-. Selon le lin­guiste Ben­ve­niste (article de 1955), cette évo­lu­tion s’est pro­duite sous l’influence du latin pubes « les pubères », dési­gnant la classe des hommes adultes aptes à la guerre et à la poli­tique. Par la suite, le sens de popu­lus s’est élar­gi, jusqu’à l’ensemble du peuple, publi­cus deve­nant « rela­tif au peuple, à l’État », d’où public.

Ain­si, l’organisation sociale des Anciens se voit sous les noms du public et de la répu­blique (res publi­ca) qui, au regard du droit de vote, est tou­jours l’affaire des adultes et n’était encore que celle des hommes adultes en France il y a moins d’un siècle !

Du latin functio au français fonction

Dans le verbe latin fun­gi « accom­plir (une tâche), rem­plir (une mis­sion) », l’idée qui pré­vaut est celle de ter­mi­ner l’action, idée s’appliquant aus­si en bas latin au sens d’« ache­ver (une des­ti­née), mou­rir ». De fun­gi, au par­ti­cipe pas­sé func­tus, dérive le latin func­tio « accom­plis­se­ment, exé­cu­tion (d’une action) », ou aus­si en bas latin « la fin de toute chose ». Cette der­nière signi­fi­ca­tion sub­siste en fran­çais dans défunt, venant du verbe defun­gi, defunc­tus, où le pré­fixe de- accen­tue la notion de sépa­ra­tion. En droit, un bien est dit fon­gible s’il peut être consom­mé jusqu’à sa pos­sible dis­pa­ri­tion (comme une somme d’argent).

Le latin func­tio abou­tit au fran­çais fonc­tion en chan­geant de sens : on passe de la notion d’achever une tâche, à celle d’assurer conti­nû­ment une tâche en renou­vel­le­ment per­ma­nent, la fonc­tion deve­nant le rôle rem­pli par un élé­ment dans un ensemble, comme c’est le cas pour une fonc­tion mathé­ma­tique, gram­ma­ti­cale, phy­sio­lo­gique, chi­mique… ou éco­no­mique : les agents éco­no­miques exercent des fonc­tions, tant dans le domaine public que dans le domaine privé.

De fonction à fonctionnaire

En latin clas­sique, func­tio n’a pas de déri­vés alors qu’en fran­çais de fonc­tion viennent fonc­tion­ner, fonc­tion­ne­ment, fonc­tion­nel… ain­si que fonc­tion­naire, attes­té en 1770 dans un écrit de Tur­got, alors futur ministre de Louis XVI. Plus pré­ci­sé­ment, Tur­got nomme « fonc­tion­naires publics » ceux qui sont char­gés de fonc­tions publiques, comme s’il y avait aus­si des fonc­tion­naires pri­vés, et le Dic­tion­naire de l’Académie (5e édi­tion, 1798) enté­rine le néo­lo­gisme : fonc­tion­naire « celui ou celle qui rem­plit une fonc­tion ». Cepen­dant, l’usage a pro­gres­si­ve­ment réser­vé le mot fonc­tion­naire au domaine public, pour arri­ver à la défi­ni­tion actuelle : fonc­tion­naire « per­sonne qui rem­plit une fonc­tion publique, en par­ti­cu­lier une fonc­tion de l’État ».

Ain­si on peut être sala­rié et donc exer­cer une fonc­tion aus­si bien dans le pri­vé que dans le public, mais on ne peut être fonc­tion­naire que dans le public !

Épilogue

La haute fonc­tion publique est exer­cée par des hauts fonc­tion­naires, dont il est désor­mais inutile de pré­ci­ser qu’ils sont publics et qui, étant situés en haut de la hié­rar­chie, sont qua­li­fiés de hauts, selon une figure de rhé­to­rique déjà employée par les Grecs, l’hypallage.

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