Le Chat, supercalculateur chez le docteur

Étymologie :
À propos de simulation et supercalculateurs

Dossier : ExpressionsMagazine N°732 Février 2018
Par Pierre AVENAS (X65)

Pour obtenir de la réal­ité une bonne sim­u­la­tion, il faut un cal­cu­la­teur énorme, un super­cal­cu­la­teur… Mais l’hyper­puis­sance domine la super­puis­sance… et l’hyper­marché dépasse le super­marché, alors pourquoi pas aus­si un hyper­cal­cu­la­teur ?

Hyper ou super ?

C’est parce que le mot hyper­cal­cul a un sens par­ti­c­uli­er en math­é­ma­tiques, qui ne s’applique à aucune machine réal­is­able à ce jour. On voit qu’un cer­tain arbi­traire règne dans l’usage des pré­fix­es hyper- ou super-.

Ces deux pré­fix­es ont pour­tant une même orig­ine indo-européenne : hyper-, du grec huper- (ὑπέρ), et super-, du latin super, avec la cor­re­spon­dance entre ini­tiales h d’origine grecque et s d’origine latine, qui se voit aus­si dans la numéra­tion entre hexa- et six ou entre hepta- et sept.

Simuler sans faux-semblant

Cette cor­re­spon­dance appa­raît encore, à par­tir de la racine *sem-, *som-, entre le grec homos « sem­blable, le même », d’où homo-, homo­logue et le latin sim­ilis « pareil », d’où semblable, sim­i­laire. En latin, la famille de sim­ilis com­porte sim­u­la­tio « sim­u­la­tion » et le verbe sim­u­la­re dans un dou­ble sens con­servé en français par simuler : « copi­er, imiter », mais aus­si de « fein­dre, faire sem­blant », plus proche du sens de dis­sim­u­la­re « dissimuler ».

Le mot sim­u­la­tion est ambigu : l’important, c’est que la sim­u­la­tion numérique imite bien la réal­ité, et ne fasse pas seule­ment sem­blant de l’imiter.

“L’important, c’est que la simulation numérique imite bien la réalité,
et ne fasse pas seulement semblant de l’imiter.”

L’hypertrophie des supercalculateurs

Le grec huper « au-dessus, au-delà » a un sens plus large que le latin super « au- dessus, sur » ce qui jus­ti­fie sans doute l’inéquation hyper > super. Mais en l’ occur­rence, le mot hyper­cal­cul (en anglais hyper­com­pu­ta­tion, attesté en 2002) a une sig­ni­fi­ca­tion bien pré­cise pour les math­é­mati­ciens : c’est un mode de cal­cul qui ne suit pas la déf­i­ni­tion d’Alan Tur­ing de 1936, et qui de fait est irréal­is­able par une machine.

La notion d’hyper­cal­cu­la­teur (hyper­com­put­er) est donc pure­ment théorique.

Pour autant, un super­cal­cu­la­teur est déjà très imposant, à tel point qu’il fait appel à des unités sans cesse plus grandes : on en arrive aujourd’hui aux pétaflops (flops = FLoat­ing point Oper­a­tions Per Sec­ond) pour la rapid­ité de cal­cul et aux pétaoctets (un octet = 8 bits) pour la capac­ité de mémoire.

Après kilo (103), méga (106), giga (109), téra (1012), for­més sur le grec khil­ioi « mille », megas « grand », gigas « géant », teras « mon­strueux, gigan­tesque », voici péta (1015), dérivé de pente « 5 » car 1015 = 10005.

À quand, peut-être grâce aux super­cal­cu­la­teurs quan­tiques, les exaflops, les zettaflops et les yot­taflops ? où les pré­fix­es sont for­més sur le grec hex « 6 », hep­ta « 7 » et octô « 8 ». Avec yot­ta nous serons à 1024 = 10008, soit à peu près le nom­bre d’Avogadro (≈ 6,022 x 1023), mais encore loin du mythique nom­bre à 100 chiffres (10100), nom­mé en anglais googol.

Imag­iné, dit-on, en 1938 par un enfant de 9 ans, ce nom est à l’origine en tout cas de celui de Google en 1997.

Épilogue

Donc on com­prend super, mais d’où vient cal­cul ? Là, on revient sur Terre : le latin calx, cal­cis « pierre, chaux » (d’où en français chaux, cal­caire…) a pour diminu­tif cal­cu­lus, au sens de « cail­lou » (resté dans le cal­cul rénal), puis au sens abstrait de « cal­cul » car on comp­tait, y com­pris les enfants pour appren­dre, à l’aide de petits cail­loux sur une table à cal­cul : une orig­ine de cal­culer aus­si con­crète que celle de compter, qui remonte à l’élagage des arbres !1

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1. Voir Ety­mologiX de sep­tem­bre 2017.


En illus­tra­tion : Un super­cal­cu­la­teur prodi­ge. © Philippe Geluck

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