Gestion de patrimoine

Étymologie :
À propos de la gestion de patrimoine

Dossier : Gestion de patrimoineMagazine N°739 Novembre 2018
Par Pierre AVENAS (X65)

Ce thème con­duit, une fois de plus, à plonger dans le latin et ses sub­til­ités. La ges­tion est l’action du verbe gér­er, lui-même venant tout naturelle­ment du verbe latin gerere, dont on ver­ra que l’évolution de sens est intéres­sante. Quant au mot pat­ri­moine, il vient sans sur­prise du latin pat­ri­mo­ni­um, à peu près de même sens, mais là se pose une autre ques­tion : pourquoi un mot for­mé sur le nom du père ?

De la gestion à la digestion

Com­mençons par le latin gerere. Son pre­mier sens est con­cret : « porter, trans­porter quelque chose quelque part ». De là, tou­jours dans le con­cret, gerere sig­ni­fie « porter sur soi », comme on porte un vête­ment. Puis on entre dans l’abstrait avec le sens de « jouer (un rôle) », et on en vient à des notions plus élaborées d’« accom­plir (une tâche) », « admin­istr­er (une affaire) »… et nous voilà arrivés au sens actuel de gér­er une activ­ité ou un pat­ri­moine. Le latin a aus­si ges­tio « ges­tion » et ges­tus « geste ».

Il est intéres­sant de voir que le sens orig­inel et con­cret de « porter » transparaît dans divers­es expres­sions : le ges­tion­naire, ou le gérant, se charge d’un domaine, il s’investit (cf. vête­ment), il endosse une respon­s­abil­ité, il porte par­fois à bout de bras une activ­ité en perdi­tion… et l’on par­le du portage d’un pat­ri­moine en titres financiers.

D’ailleurs les dérivés de gerere sont con­crets : con­gerere « porter ensem­ble » d’où con­gère et con­ges­tion, ingerere « porter dedans » d’où ingér­er, digerere « porter en séparant de dif­férents côtés » d’où digér­er. À ce pro­pos, la ges­tion d’une acqui­si­tion s’apparente sou­vent à une diges­tion : on sépare les élé­ments et on les répar­tit, ou même on les revend par apparte­ments ! Mais gare à l’indigestion !

Tou­jours dans le con­cret, le fréquen­tatif de gerere est gestare, d’où ges­ta­tio, la ges­ta­tion par laque­lle la femme porte un enfant.

Le patrimoine, témoin du patriarcat ?

Le latin emploie le suf­fixe -moni­um dans des ter­mes juridiques comme tes­ti­mo­ni­um « témoignage » (de testis « témoin »), vadi­mo­ni­um « engage­ment sous cau­tion » (de vas, vadis « cau­tion ») et donc pat­ri­mo­ni­um « biens (du père) de famille » (de pater, patris « père »), ain­si que mat­ri­mo­ni­um (de mater, matris « mère »), son par­fait symétrique… du moins dans la forme, mais pas dans le fond car mat­ri­mo­ni­um sig­ni­fie « mariage » (d’où le régime mat­ri­mo­ni­al). Dans ces ter­mes latins, point de par­ité : à l’homme, le patri­arche, les biens de famille, et à la femme le con­trat de mariage, lui don­nant le statut de mère. Cette dis­symétrie se con­tin­ue dans divers­es langues romanes (cf. en ital­ien, pat­ri­mo­nio « pat­ri­moine » et mat­ri­mo­nio « mariage »), pas en français toute­fois, où mariage (d’où l’anglais mar­riage) vient de l’adjectif latin mar­i­tus « mar­ié », non pas lié à la notion de mère, mais à celle de jeune homme ou jeune fille en âge de se mari­er : très tôt un terme métaphorique en agri­cul­ture, le latin mar­i­tus qual­i­fi­ait notam­ment l’association entre un arbre et la vigne accrochée à lui, car c’est ain­si que, jadis, on la cultivait.

Le mot mat­ri­moine, disponible en quelque sorte, a pu désign­er dans le passé les biens venant de la mère, mais cet usage a dis­paru, lais­sant à pat­ri­moine son sens général, décon­nec­té de la notion de père.

Épilogue

Faut-il se crisper sur le sex­isme du mot pat­ri­moine ? alors que rien n’empêche de par­ler de son pat­ri­moine mater­nel ou d’un pat­ri­moine féminin, ni d’ailleurs d’évoquer sa mère patrie.

Un écart entre l’étymologie et l’usage qui se gère facilement.

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