Les Grandes Occasions

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°620 Décembre 2006Par : Bernard Slade, dans une adaptation de Danièle Thompson et une mise en scène de Bernard Murat,Rédacteur : Philippe Oblin (46)

Racon­ter une his­toire, dans un roman ou sur la scène, serait rel­a­tive­ment aisé si l’on ne butait pas sur la seule véri­ta­ble dif­fi­culté : celle de trou­ver un sujet. Du temps de Labiche, de Fey­deau ou même de Sacha Gui­t­ry, l’adultère y pour­voy­ait abon­dam­ment. À présent, ce serait plutôt le divorce. Témoin ces pièces récem­ment jouées : Un Petit Jeu sans con­séquence, de Jean Dell et Gérald Sybleras, où un cou­ple pour­tant solide et heureux s’amuse à faire croire qu’il va divorcer et, pris au jeu, se dis­loque. Lunes de miel, de Noel Cow­ard, dont nous par­lions dans ces colonnes en sep­tem­bre dernier, où un cou­ple se retrou­ve, pour le meilleur et pour le pire, après un divorce vieux de cinq ans.

Or voici ce même thème appa­rais­sant dans Les Grandes Occa­sions, pièce pro­duite à Broad­way puis à Lon­dres dans les années soix­ante-dix, sous le titre de Spe­cial Occa­sion, par Bernard Slade, comé­di­en et dra­maturge d’origine cana­di­enne et de for­ma­tion anglaise.

Elle est jouée pour la pre­mière fois en France cette année, au Théâtre Édouard VII, dans une adap­ta­tion de Danièle Thomp­son, la fille de Gérard Oury, qui fut longtemps sa col­lab­o­ra­trice, en écrivant pour lui de nom­breux scé­nar­ios, dont celui de l’ineffable Grande Vadrouille. La mise en scène est de Bernard Murat.

Il s’agit d’une pièce à deux per­son­nages : Antoine (Jean Reno) et Émi­lie (Clé­men­tine Célar­ié), qui, après un divorce dûment pronon­cé, se quit­tent le soir même de la récep­tion, organ­isée de longue date, qu’ils don­naient pour fêter leurs quinze ans de mariage. Une dernière fois ensem­ble – du moins le croient-ils – ils exam­i­nent les cadeaux reçus à l’occasion de la fête, tan­dis que dans la pièce voi­sine de leur mai­son de Los Ange­les, le trai­teur achève de démon­ter le buf­fet. Lui est écrivain ; il attend le taxi qui l’emmènera à l’aéroport d’où il rejoin­dra une cer­taine Julie. Elle, est mère de famille, dev­enue alcoolique. Ils ont trois grands enfants, un garçon et deux filles. Elle restera avec eux à Los Ange­les. Ils sont, au fond d’eux-mêmes, boulever­sés de se sépar­er, bien qu’ils cachent leur émo­tion, lui der­rière la réserve d’un homme timide et peu sûr de soi, elle sous le masque d’un cynisme enjoué qu’alimente le whisky.

Au fil des années pour­tant ils se retrou­vent. Suiv­ent alors une dizaine de scènes, sou­vent cour­tes, faites de mono­logues, de con­ver­sa­tions télé­phoniques, le plus sou­vent de ren­con­tres, au cours de quoi Antoine et Émi­lie se voient con­fron­tés ensem­ble à des sit­u­a­tions par­fois dra­ma­tiques, le décès de la mère d’Antoine, le gravis­sime acci­dent de voiture du fils, par­fois inat­ten­dues comme le remariage d’Émilie avec un vieil ami com­mun, le lawyer qui géra leur divorce, par­fois fes­tives comme le suc­cès de la pre­mière pièce d’Antoine à Broad­way, la fin, couron­née de suc­cès, des études uni­ver­si­taires du fils, les pré­parat­ifs impromp­tus d’un Noël avec les enfants, le pre­mier con­cert pub­lic de la fille pianiste, le bap­tême du bébé de l’autre.

À mesure que le temps passe, les con­fi­dences qu’ils échangent sur leurs deux vies devi­en­nent de plus en plus libres. Celle d’Antoine, plutôt ratée : après quelques échecs, il a dû cess­er d’écrire et enseigne la lit­téra­ture dans une uni­ver­sité de sec­ond plan. Celle d’Émilie qui, grâce à son dynamisme, fait au con­traire une bril­lante car­rière dans la pro­mo­tion immo­bil­ière. Il n’empêche cepen­dant qu’elle s’est séparée de son lawyer.

Mûris­sant, ils s’aperçoivent peu à peu que dans le « ni sans toi, ni avec toi », c’est en défini­tive le « ni sans toi » qui l’emporte. Réu­nis à l’occasion du mariage de leur fille pianiste, ils finis­sant par s’avouer qu’ils n’en peu­vent plus de soli­tude, la seule solu­tion étant de se remarier.

Mais si l’auteur a choisi de créer un Antoine pince-sans-rire un tan­ti­net pitoy­able, une Émi­lie pétu­lante d’ironie cinglante, c’est pour con­fér­er une teinte comique à cette his­toire que d’autres, moins habiles, eussent pu faire lar­moy­ante. Dans sa mise en scène, Bernard Murat l’a bien com­pris, et les deux inter­prètes aus­si. Mme Célar­ié en par­ti­c­uli­er, qui a su, sous sa direc­tion et parce qu’elle est une très grande comé­di­enne, pass­er du reg­istre qu’on lui avait con­nu dans Madame Sans-Gêne à un autre plus grave. Elle y laisse percer tout le désen­chante­ment qu’Émilie cache der­rière une caus­tic­ité rieuse, qui fait s’esclaffer la salle à cha­cune de ses cinglantes répliques.

Un petit bémol toute­fois. Le découpage en une dizaine de scènes – l’on serait presque ten­té de dire de sketch­es – finit à la longue par don­ner au spec­ta­cle un car­ac­tère tant soit peu répéti­tif, qui lasse. D’autant que les fréquentes inter­rup­tions, néces­sitées par des change­ments de cadre ou de vêture, sont soulignées par une musique dont la puis­sance sonore tente de pal­li­er la mod­estie de la mélodie.

Rien n’est par­fait, eût dit le Renard du Petit Prince.

___________________
Les Grandes Occa­sions, de Bernard Slade, dans une adap­ta­tion de Danièle Thomp­son et une mise en scène de Bernard Murat, au Théâtre Édouard VII, 10, place Édouard VII, 75009 Paris. Tél. : 01.47.42.59.92.

Poster un commentaire