La Création du monde

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°631 Janvier 2008Par : de et par Jacques MougenotRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Affiche de La création du monde au théatre HébertotIl fut un temps où l’on s’intéressait à la phy­sique amu­sante. On lui consa­crait de petits livres à l’usage des enfants des écoles, dans quoi les grandes per­sonnes aus­si trou­vaient à l’occasion leurs délices. Mais, amis lec­teurs, vous qui êtes jus­te­ment des grandes per­sonnes, savez-vous que l’on peut éga­le­ment faire de la méta­phy­sique amusante ?

Vous en dou­tez ? Certes, si l’idée de méta­phy­sique s’associe aus­si­tôt dans votre esprit à celle d’un pave­ton du genre Cri­tique de la rai­son pure, du regret­té Kant, vous pei­ne­rez sûre­ment à y voir quelque chose res­sem­blant, même de loin, à de l’amusement.

Si donc vous ne me croyez pas, allez au Petit Héber­tot écou­ter J. Mou­ge­not dire sa Créa­tion du monde : un com­men­taire sans doute plus qu’enjoué, mais néan­moins fort res­pec­tueux, de Genèse 1, 1 à 31.
Vous connais­sez peut-être déjà J. Mou­ge­not par son Affaire Dus­saert, et sa mise en boîte du sno­bisme de l’art dit contem­po­rain. Vous ne serez pas déçus. Vous y retrou­ve­rez le comé­dien-auteur et sa pres­ti­gieuse maî­trise des mots, mais vous y décou­vri­rez que rien ne lui échappe non plus des ques­tions les plus ardues de la métaphysique.
À pro­pos d’un domaine aus­si sub­til que celui de la « créa­tion » du temps :

Dieu était là avant, Il sera là après…
D’ailleurs, « avant », « après », qu’est-ce que ça veut dire ?
Pour qu’avant et après aient un sens, il fau­drait
Tout d’abord que le temps existe, c’est-à-dire
Qu’il ait com­men­cé, et c’est bien là le problème.

Vous enten­drez aus­si des consi­dé­ra­tions d’une éton­nante puis­sance de pen­sée sur l’être, sur l’acte créa­teur, celui qui confère l’être. À cette occa­sion est évo­qué le cas de Har­ry Pot­ter et, plus géné­ra­le­ment, des magi­ciens : ils ne confèrent pas l’être, ils le changent, par exemple en fai­sant d’un cra­paud une prin­cesse. Ils n’en partent pas moins du cra­paud. Au lieu que Dieu, lui, part du rien :

Je ne sais pas, vous, mais moi, ça me laisse coi.
Non pas qu’il soit cra­paud, mais sim­ple­ment qu’il soit.
Même pour un cra­paud, « être » est un grand mystère…

Pour nous du moins, car, ajoute l’auteur dans sa pro­fonde sagesse, le cra­paud, lui, s’en moque.
En lisant ces quelques extraits, vous aurez peut-être remar­qué qu’il s’agit d’alexandrins. Eh oui ! La Créa­tion du monde est entiè­re­ment écrite en vers : quelque douze cents alexan­drins, mais, c’est l’auteur qui le dit, conçus de telle sorte qu’à l’audition, l’on ne s’en aper­çoive qu’à peine. Ils font en effet appel au lan­gage de tous les jours, à son rythme propre, que cette expé­rience montre d’ailleurs com­pa­tible avec le duo­dé­ci­mal, à cela près que, par­fois, la césure se pro­mène bien un peu là où la stricte règle ne l’attendrait pas. Mis à part Molière, je ne vois pour ma part pas beau­coup de dra­ma­turges ayant su aus­si brillam­ment triom­pher de cette gageure. Triomphe à quoi s’ajoutent de diver­tis­santes trou­vailles dans l’assemblage des mots.
À pro­pos des « déistes » :

Déiste, qui s’oppose à l’hypothèse athée
(Ne pas confondre avec le ser­vice en ver­meil
Du même nom, mais qui ne s’écrit pas pareil)

Et si les plus exi­geants ne voient là qu’un calem­bour facile, qu’ils se ras­surent. Ils trou­ve­ront de fort sédui­santes jon­gle­ries gram­ma­ti­cales lorsque est abor­dé le sujet dif­fi­cile du Verbe, celui qui, selon saint Jean, était au Commencement.

Quand tout cela est, de sur­croît, dit par J. Mou­ge­not, les yeux pétillants d’ironie et de malice, croyez-moi, la soi­rée vaut le dépla­ce­ment, même de loin.

au Petit Hébertot,
78, bd des Bati­gnolles, 75017 Paris.
Tél. : 01.43.87.23.23.

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