Les plaideurs

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°640 Décembre 2008Par : Jean Racine, par le Théatre baroque, dans une mise en scène de Michel Dury qui jouait ChicanneauRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Affiche des PlaideursCet été à Paris, au Pré Cate­lan pour être pré­cis, on jouait les same­dis et dimanches après-midi des clas­siques fran­çais. Cela dans le Jar­din Sha­kes­peare, un ravis­sant théâtre de ver­dure, en plein air bien sûr. Nous y avons vu Les Plai­deurs, inter­pré­tés par une exquise petite troupe « Le Théâtre baroque », dans une mise en scène de Michel Dury.

Une pièce rare

On pre­nait son billet à l’entrée, en arri­vant, et c’était Chi­can­neau en per­sonne, éta­bli dans une gué­rite, qui vous les ven­dait. Ce retour à l’ancienne ne man­quait point de charme, d’autant que, ce jour-là, le Pré Cate­lan res­plen­dis­sait de fleurs et de gazons enso­leillés. De sur­croît, voir jouer Les Plai­deurs n’est pas si fré­quent. Bien qu’inscrits au réper­toire du Théâtre-Fran­çais, on ne les y donne qua­si jamais. Vous me direz que, par les temps qui courent et vu les pré­sents usages de cette scène natio­nale, ce n’est peut-être pas plus mal pour la mémoire de Racine. Mais c’est hélas la même rare­té ailleurs.

On ne peut que le regret­ter, car il s’agit d’une fort diver­tis­sante pochade, conçue par un gar­çon de vingt-neuf ans, qui ne fut donc pas tou­jours l’emperruqué ali­gneur d’alexandrins en « gali­ma­tias pom­peux », pour reprendre les termes mêmes de l’irrévérencieux Montherlant.

Une fête de l’œil et de l’oreille

Au contraire de ses tra­gé­dies à la construc­tion dra­ma­tique tou­jours d’une grande habi­le­té dans le cres­cen­do du conflit, Racine n’a rien mis de tout cela dans Les Plai­deurs : on n’y trouve pra­ti­que­ment pas de construc­tion, et seule­ment de bur­lesques dia­logues, autour d’une situa­tion plus que sim­plette et, de plus, qua­si invrai­sem­blable. Un fils veut empê­cher son père juge de pas­ser son temps au tri­bu­nal. Il le per­suade, bien vite fait d’ailleurs, de rendre la jus­tice à la mai­son, à pro­pos des plus menus inci­dents de la vie quo­ti­dienne : le chien vient de voler et de man­ger un cha­pon qui ne lui était point des­ti­né. On plaide. En outre, ce fils est amou­reux fou de la fille d’un pilier de pro­cès. Il l’embobine si bien que l’autre signe, les yeux fer­més, un contrat de mariage qu’on lui fait prendre pour un exploit d’huissier.

C’est tout. Mais autour de ce tout, une sara­bande endia­blée de per­son­nages par­fai­te­ment sau­gre­nus, vire­vol­tant de la cave aux gout­tières. Au Pré Cate­lan à dire vrai, il s’agissait plu­tôt de bon­dir par­mi les mas­sifs et les rocailles qui consti­tuent l’arrière-plan du pla­teau. Quant à la cave de Dan­din, la fosse d’orchestre aux parois de lierre en tenait lieu, fort bien d’ailleurs. Ces Plai­deurs furent une fête de l’œil et de l’oreille.

Un début difficile

L’histoire du théâtre nous apprend que, l’année même où Molière pro­dui­sait l’Avare en son Palais-Royal, Les Plai­deurs furent créés, en 1668 donc, à l’hôtel de Bour­gogne. L’affaire se sol­da par un four pour le pauvre Racine. Peut-être le public, l’ayant éti­que­té tra­gique – il avait déjà fait jouer La Thé­baïde, Alexandre et sur­tout Andro­maque qui connut un immense suc­cès – fut-il décon­cer­té par cette farce sans queue ni tête.

Il convient de dire aus­si que la bour­geoi­sie pari­sienne, c’est-à-dire le gros de ce public, comp­tait quan­ti­té de gens de robe. Ils n’apprécièrent sans doute pas cette hila­rante mise en boîte de leurs pra­tiques. En outre, le monde de la jus­tice se trou­vait alors en pleine effer­ves­cence : l’Ordonnance d’avril 1667, impli­quant nombre de remises en cause et sim­pli­fi­ca­tions, était toute fraîche et avait été plu­tôt mal reçue par les inté­res­sés. Vous savez comme moi, au vu d’exemples très récents, que la gent des pré­toires n’aime pas bien les coups de pied dans sa fourmilière.

Tou­jours est-il que, quelque temps après l’échec à l’hôtel de Bour­gogne, la pièce était jouée devant la Cour, à Saint-Ger­main-en-Laye, pour la plus grande joie d’un Louis XIV de trente ans, qui en pleu­ra de rire. De plus, le thème allait dans le sens des réformes qu’il sou­hai­tait. Les cour­ti­sans s’alignèrent. Les comé­diens de l’hôtel de Bour­gogne remirent Les Plai­deurs à l’affiche. Le public accou­rut. Ain­si vont les choses, allez savoir pourquoi.

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