Corot

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°523 Mars 1997Par : Jacques MOUGENOTRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Jou­vet note quelque part qu’il n’y a pas de grand théâtre sans géné­ro­si­té, sans mutuelle affec­tion, ni de grands auteurs sans émoi, sans pudeur, sans ten­dresse. Mesu­rés à cette aune, et Jou­vet sait de quoi il parle, la pièce Corot est du grand théâtre, et Jacques Mou­ge­not, qui l’a écrite, un grand auteur.

De quoi s’agit-il ? De faire revivre aux spec­ta­teurs une suc­ces­sion d’instants de la vie de Corot : de l’apprenti dra­pier, cou­vrant de des­sins les marges des livres comp­tables de son patron ; de l’adolescent renon­çant à l’amour d’une jeune fille pour apprendre à peindre les ciels et la lumière d’Italie ; du peintre confir­mé, tout éton­né que Louis-Phi­lippe le fasse déco­rer de l’ordre royal de la Légion d’honneur, mais bien content de la chose, parce que cela fait tant de plai­sir à ses parents âgés, avec qui il vit à Ville‑d’Avray ; du peintre expo­sant au Salon, en pleine révo­lu­tion de 1848, dont il se fiche tout à fait ; du vieil artiste si atten­tif aux jeunes peintres désar­gen­tés qu’il les comble de conseils gra­tuits et, qui plus est, n’hésite pas à signer de son nom, à leur insu, cer­taines de leurs toiles pour qu’elles se vendent.

Jean-Laurent Cochet dans le rôle du père de Corot, puis dans celui de Corot lui-même, l’auteur Jacques Mou­ge­not dans le rôle du peintre au temps de ses appren­tis­sages, entou­rés d’une tren­taine de jeunes comé­diens enthou­siastes et com­pé­tents, nous auront fait vivre un grand moment de théâtre – et d’histoire de la pein­ture aus­si. La salle tour à tour se mouche et rit aux éclats, tant le texte sait alter­ner émo­tion et cocasserie.

La mise en scène de Cochet, pleine de trou­vailles, contri­bue à la fête. On pense par moments aux inven­tions d’Orion le tueur – les vieux ama­teurs de théâtre sau­ront de quoi je parle – quand, par exemple, un orme arrive en mar­chant pour prendre sa place sur scène et que, quelqu’un vou­lant en cueillir une feuille, une main sort de l’arbre pour la tendre.

On se réjouit encore en écou­tant deux ama­teurs de pein­ture venus au Salon admi­rer des Corot. Ils débitent des âne­ries exta­tiques devant un tableau, pour s’apercevoir ensuite qu’il ne s’agit pas d’un Corot – Aus­si je me disais bien… fait l’un d’eux – puis se pré­ci­pi­ter dehors parce qu’ils ont recon­nu Flau­bert, qu’ils ne veulent pas man­quer non plus. Avant de par­tir, ils donnent pour­tant leurs noms au gar­dien afin qu’il fasse part de leur visite à M. Corot. L’un s’appelle Bou­vard, l’autre Pécuchet.

Tout est de cette veine, pleine de malice et de culture.

J’aurai assis­té, hélas, à l’une des der­nières repré­sen­ta­tions. C’est égal, la pro­chaine fois qu’on joue­ra du Mou­ge­not, courez‑y. J’ajouterai, pour la petite his­toire, que ce jeune dra­ma­turge – j’allais écrire thau­ma­turge – est le neveu de notre cama­rade Bayon (42), vous savez, l’ange gar­dien de Joigny.

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