Volpone

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°571 Janvier 2002Par : Ben Jonson, dans une adaptation de Jean Colette et Toni Cecchinato, mis en scène par Francis Perrin, avec lui-même, Bernard Haller et bien d’autres, tout aussi bonsRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Bien des Français con­nais­sent si mal Ben Jon­son qu’en mon­tant voici quelques années Volpone, la Comédie de Paris omit de faire fig­ur­er son nom sur l’affiche. On n’y lisait que ceux de ses deux adap­ta­teurs asso­ciés : Jules Romains et Ste­fan Zweig. Par un juste retour des choses, le résul­tat ne se révéla pas fameux du tout, au point que La Jaune et la Rouge préféra s’abstenir d’en pub­li­er mon compte ren­du, tant il était grincheux.

Tout de même que Shake­speare son con­tem­po­rain et ami, Ben Jon­son fut à la fois comé­di­en et auteur dra­ma­tique. Rien de tel pour sen­tir, comme d’instinct, la qual­ité théâ­trale d’une idée, la façon de la traduire en un enchaîne­ment de scènes, puis en dia­logues bien gouleyants à la “ mise en bouche ”.

Cet été, le Fes­ti­val d’Anjou a mon­té un Volpone dont le texte n’est ni celui de Ben Jon­son – injouable de nos jours, parce que par endroits aus­si bour­ré d’allusions à l’actualité élis­abéthaine qu’une revue de chan­son­niers – ni celui de Romains et Zweig, mais une nou­velle adap­ta­tion, signée de Jean Colette, auteur de textes pour la radio, la télévi­sion, le ciné­ma, le théâtre… et la BD, et de Toni Cecchi­na­to, comé­di­en et met­teur en scène.

De ce tra­vail naquit une mer­veille pure. Les dia­logues son­nent peut-être moins nobles que ceux de Romains et Zweig mais, endi­a­blés et tru­cu­lents à souhait, sont à coup sûr plus proches de la bouf­fon­ner­ie loufoque, lestée d’un zeste de gau­dri­ole, si chère aux élis­abéthains, et pour­tant admirable­ment con­stru­its, pleins d’inattendus, et surtout sans la moin­dre faute de goût. La mise en scène étant de Fran­cis Per­rin – de sur­croît, il joue Mosca – vous pou­vez aisé­ment vous pein­dre le résul­tat : une soirée comme on n’en con­naît peu. Devant le spec­ta­teur ébloui défile un éton­nant car­naval d’imbéciles à demi-fous, dignes des meilleurs moments de Molière. Et Mosca fait au moins aus­si bien que Scapin.

Ain­si adap­té, et joué, le sens comique de Ben Jon­son se révèle plus aigu, et surtout plus fin que celui de Shake­speare, trop sou­vent, me sem­ble-t-il, bâti sur des jeux de mots un tan­ti­net vaseux, par­fois au bord de la vul­gar­ité, voire du mau­vais côté de ce bord. Lais­sons au grand Will la prodigieuse den­sité humaine de ses tragédies, l’envoûtante irréal­ité poé­tique de ses comédies, mais recon­nais­sons que ce seigneur du rêve éveil­lé n’est point tout à fait un maître du rire. Au lieu que Ben Jonson…

Dans la nova­tion du Fes­ti­val d’Anjou, Bernard Haller tenait le rôle-titre avec autant de maîtrise que les grands Volpones d’antan (Charles Dullin, pour ne citer que lui) et de naguère : le regret­té Guy Tré­jean à la Porte Saint-Mar­tin au début des années qua­tre-vingt-dix, d’ailleurs déjà avec un Mosca-Fran­cis Per­rin. Et nous nous trou­vions un peu en famille, si l’on peut dire : l’avocat Voltore était joué par Philippe Ron­d­est, le pro­pre neveu de Jacques Char­ron, qui fut aus­si, peu de temps avant sa mort, Volpone au Français.

Au lieu de l’invraisemblable vamp à fume-cig­a­rette inven­tée par la Comédie de Paris – à met­teur en scène imag­i­natif, rien d’impossible – la jeune Eva Di Bat­tista, la grâce et la fraîcheur incar­née, nous don­nait une Celia si exquise qu’elle eût fait damn­er un ange. C’est dire les pâmoi­sons de cet arsouille de Volpone devant elle.

Tou­jours en veine de bonnes idées, Fran­cis Per­rin met­teur en scène avait eu celle de laiss­er les acteurs sur le plateau, même quand ils ne jouaient pas. Ils allaient alors s’asseoir en rang, de part et d’autre de la scène. Cela ajoutait au charme du spec­ta­cle et, de plus, la ravis­sante Eva Di Bat­tista demeu­rait ain­si à portée de vue.

J’espère pour vous que ce Volpone sera encore joué, en tournée ou à Paris. Ne man­quez pas alors d’y aller. Même si vous croyez con­naître déjà la pièce, vous ne per­drez pas votre temps, je vous le jure par Thalie.

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