Dom Juan

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°544 Avril 1999Par : MolièreRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Le Foots­barn Trav­el­ling The­atre est né dans les brumes des Cornouailles, chères à Daph­né du Mau­ri­er, elle-même d’ailleurs enfant de la balle. Si sa base se trou­ve main­tenant en France, dans l’Allier, il n’en con­tin­ue pas moins à péré­griner avec son chapiteau. Cette troupe, dev­enue cos­mopo­lite, inter­prète surtout Shake­speare – et bien­tôt The Winter’s Tale, dans le texte orig­inel, sous un chapiteau implan­té pour la cir­con­stance Quai d’Austerlitz à Paris – mais aus­si Molière.

Il vient de se pro­duire, cette fois dans une salle à l’italienne du meilleur genre, celle de l’Athénée, en jouant Dom Juan, que nous écrirons ain­si pour nous con­former à l’usage de Louis Jou­vet – c’est bien la moin­dre des choses quant il s’agit de l’Athénée – fidèle en cela à l’orthographe adop­tée dans l’édition des Œuvres de Molière de 1682. Cette pré­ci­sion don­née, sachez qu’il n’était pas sans charme d’entendre la langue de Molière dite avec un fort accent anglais, et Sganarelle diph­tonguer l’ultime Mes gages, mes gages, mes gages !

Dom Juan peut être joué de bien des manières. On ne sait pas tou­jours, par exem­ple, qu’on le don­na longtemps en France dans une adap­ta­tion en vers de Thomas Corneille, écrite seule­ment qua­tre années après la mort de l’auteur, util­isée d’abord par la pro­pre troupe de Molière – mais oui ! – puis par les Comé­di­ens français, ce jusqu’au milieu du XIXe siècle.

Et voici com­ment le comé­di­en-bon­i­menteur Sal­lé présen­tait cette adap­ta­tion en 1790, sur le per­ron du Théâtre des Asso­ciés, boule­vard du Tem­ple : Entrez, Mes­dames et Messieurs. Prenez vos bil­lets. Nous don­nerons aujourd’hui une représen­ta­tion du Fes­tin de pierre ou l’athée foudroyé, comédie en cinq actes du grand Corneille, avec change­ments à vue, engloutisse­ment et pluie de feu au cinquième acte. Le citoyen d’Hauterive jouera Dom Juan avec toute sa garde-robe. Au pre­mier acte, veste et culotte en satin vert pomme, brodée d’or et de dia­mants. Au deux­ième acte…, etc.

On remar­quera en pas­sant qu’au temps de la Révo­lu­tion le “ grand Corneille ” était encore Thomas, qui de son vivant avait en effet attiré les foules bien plus que son frère Pierre.

Ces deux Fes­tin de Pierre venaient eux-mêmes après des dizaines d’autres, tant le sujet plai­sait aux publics, ceux de Tir­so de Moli­na comme ceux de la Com­me­dia dell’Arte, dont on pos­sède encore des canevas sur ce thème, y com­pris les indi­ca­tions de saut périlleux d’Arlequin- Sganarelle, qui devait retomber sur ses pieds sans ren­vers­er le verre de vin qu’il tenait à la main.

Devant une telle abon­dance de textes et var­iété d’interprétations, il n’est guère sur­prenant qu’on ait beau­coup écrit sur le per­son­nage de Dom Juan : des comé­di­ens, des met­teurs en scène, des cri­tiques, des pro­fesseurs auteurs de manuels pour les élèves de l’enseignement sec­ondaire, des psy­chi­a­tres, des soci­o­logues… On m’en voudrait d’en rajouter sur le sujet, et on aurait rai­son. Il faut s’en tenir à ce qu’en dis­ait le prati­cien Louis Jou­vet (encore lui) : À l’aborder, à pra­ti­quer cette pièce, à la répéter, nous avons éprou­vé, mes cama­rades et moi, com­bi­en la préoc­cu­pa­tion d’analyse empêchait celle de sen­tir… Pour Dom Juan, il n’est pas d’autre ressource que de s’adresser au texte. Tout le reste est superflu.

Molière d’ailleurs était bien placé pour savoir ce qu’est un texte de théâtre, avec ses mots à se met­tre en bouche, ses phras­es agencées pour respecter les con­traintes de res­pi­ra­tion à quoi sont soumis les comé­di­ens, du moins s’ils veu­lent être enten­dus, et que c’est par le texte, et seule­ment par lui, que s’établit la ren­con­tre entre pub­lic et per­son­nages. Pas par des com­men­taires philosophiques ou littéraires.

Mis­es à part de nom­breuses coupures, beau­coup trop à mon gré, les comé­di­ens du Foots­barn The­atre respec­taient par­faite­ment le texte. Ils le dis­aient en farce, avec des cos­tumes extrav­a­gants, quelques masques de joyeux effet, des cabri­oles en quan­tité. On sen­tait que Shake­speare, avec son habileté à mari­er les gen­res, était passé par là.

Et Dom Juan n’est-il pas un sin­guli­er mêle­ment d’époustouflantes cocasseries et d’explosions de cynisme exac­er­bé par l’orgueil ? Tout cela pas­sait très bien, tant il y a cabri­oles et cabrioles.

Un seul excès pour­tant à mes yeux : dans la scène de M. Dimanche, que la vale­taille fai­sait taire par mille facéties, alors qu’y suf­fit l’empressement de Dom Juan, c’est-à- dire le comique même du texte. Point n’est besoin d’y ajouter quoi que ce soit.

Quand ce papi­er paraî­tra, le Foots­barn The­atre ne jouera plus Dom Juan à l’Athénée. Je vous recom­mande pour­tant d’aller voir ses spec­ta­cles, aus­sitôt que l’occasion s’en présentera.

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