Joyeuses Pâques

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°567 Septembre 2001Par : Jean Poiret, mise en scène de Bernard MuratRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Un peu imprudem­ment, un homme vient d’amener chez lui une ravis­sante nana de ren­con­tre. Sa femme sur­venant, il la fait pass­er pour sa fille, descen­dance jusqu’alors tenue secrète afin de préserv­er la paix du ménage. D’affreuses com­pli­ca­tions en résul­tent, dans quoi l’épouse, aimante, amusée et peu dupe, se diver­tit à enfon­cer son affolé de mari.

On sub­odore là un bon sujet de vaude­ville, genre dra­ma­tique dont il ne faut pas médire au motif qu’il servi­rait mal la con­science uni­verselle. Même s’il est indé­ni­able qu’en effet, il ne la sert point. Ayant pour unique objet de faire rire, il donne aux spec­ta­teurs de pass­er une plaisante soirée. Pourvu qu’il soit bien con­stru­it, et bien interprété.

C’est le cas de Joyeuses Pâques, de Jean Poiret, qui aura été joué toute la sai­son au Théâtre des Var­iétés, avec un suc­cès mérité, à en juger par la dif­fi­culté de louer sa place. Accom­pa­g­nés d’autres bons comé­di­ens, M. Pierre Ardi­ti, Mmes C. Sihol et B. Schulz appor­tent leur tal­ent, qui est immense, au déroule­ment de cette suc­ces­sion de sit­u­a­tions inex­tri­ca­bles, enchaînées dans la meilleure façon du boulevard.

La mise en scène, de Bernard Murat, n’appelle pas de com­men­taires, tant elle ne cherche pas le saugrenu par principe mais au con­traire demeure fidèle aux tra­di­tions, jus­ti­fiées, du genre. Le décor, de Nico­las Sire, non plus : on se trou­ve dans le salon d’un bel apparte­ment de bour­geois cos­sus, comme il se doit. Tout cela, reposant à souhait, épargne au spec­ta­teur tout effort intel­lectuel pour com­pren­dre de quoi il s’agit, et c’est bien ce qu’il cherche : s’amuser en se lais­sant porter par le rythme hale­tant des péripéties et les pétil­lantes répar­ties qui en découlent.

Pour faire du théâtre, et pas seule­ment du vaude­ville d’ailleurs, il faut une sit­u­a­tion, et des per­son­nages. Peu importe alors la plus ou moins grande invraisem­blance de la sit­u­a­tion, pourvu que les per­son­nages dis­ent ce que tout un cha­cun dirait s’il se trou­vait à leur place. L’invraisemblance peut aller jusqu’à l’irréalité poé­tique la plus totale, et cela donne, par exem­ple, Le Songe d’une nuit d’été, où une Reine des fées dit des paroles d’amour à un imbé­cile coif­fé à son insu d’une tête d’âne par un lutin farceur.

L’invraisemblance peut aus­si résul­ter d’une forg­erie, échap­pa­toire à une cir­con­stance déli­cate, forg­erie engen­drant une sit­u­a­tion pire encore, appelant de nou­velles inven­tions. Le maître du genre est sans doute alors Fey­deau, dont Jean Poiret adopte la mécanique. Ce qui ne sig­ni­fie pas qu’il le copie : il sait à coup sûr sauve­g­arder sa pro­pre orig­i­nal­ité, par de brefs instants de réelle émo­tion que ne con­naît pas Fey­deau, pur agenceur de mécano si l’on peut dire.

J’imagine qu’il doit être plaisant de jouer de telles pièces. Le pub­lic ne peut qu’y être excel­lent, tant il faudrait vrai­ment de stu­pid­ité pour ne point y rire de bon cœur.

Par moments pour­tant, M. Ardi­ti manque peut-être un peu de sobriété dans ses con­tor­sions. Certes, il fait ain­si glouss­er la salle mais, de la part d’un très grand – ce qu’il est – il me sem­ble mal­séant de con­tribuer à épais­sir ain­si l’esprit du pub­lic. Il n’en a guère besoin par les temps qui courent, et je pense préférable de laiss­er cette nui­sance col­lec­tive aux petites lucarnes. Elles s’en acquit­tent fort bien.

Les deux parte­naires féminines de M. Ardi­ti ne se dépar­tis­sent au con­traire jamais d’une grande déli­catesse de jeu. Elles sont en out­re plus qu’agréables à regarder, ce qui ne gâte rien.

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