Le Diable rouge

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°644 Avril 2009Par : Antoine Rault, Mise en scène de Christophe Lidon, avec Geneviève Casile et Claude RichRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Affiche de théatre : Le diable rougeOn ne sait pas si le pub­lic se rend en foule au Théâtre Mont­par­nasse pour voir jouer Mme Geneviève Casile ou M. Claude Rich, ou pour assis­ter à l’évocation d’un épisode célèbre de l’Histoire de France : la fin de règne du « cou­ple » Anne d’Autriche-Mazarin et le début de celui, per­son­nel, de Louis XIV. À moins que ce ne soit pour s’émouvoir des peines d’amour de Marie Manci­ni, nièce de Mazarin, et de Louis, amours con­trar­iées par la néces­sité poli­tique : Louis doit épouser l’infante Marie-Thérèse d’Espagne pour met­tre fin à l’interminable con­flit franco-espagnol.

Quoi qu’il en soit, on s’y presse, et avec rai­son. La réus­site est totale. Le texte : Antoine Rault, l’auteur, mon­tre une remar­quable habileté dans la con­struc­tion dra­ma­tique, pour­tant com­plexe car deux sit­u­a­tions s’y trou­vent imbriquées, qui sont cha­cune un cru­el désar­roi pour les pro­tag­o­nistes. Celui de la dis­lo­ca­tion de la paire amoureuse Louis-Marie Manci­ni, pour rai­son d’État. Celui de la perte immi­nente du pou­voir pour la paire longtemps sol­idaire Anne d’Autriche-Mazarin, qui pressen­tent que, la crise passée, Louis se res­saisira, et voudra régn­er par lui-même. En out­re le Car­di­nal, dont la san­té flé­chit grave­ment, sait bien que, de toute façon, il devra bien­tôt tout quit­ter, pou­voir comme richesses.

Ces ten­sions s’expriment en des dia­logues à deux per­son­nages : si d’aventure, ils se trou­vent trois en scène, l’un d’eux est muet, ou se retire rapi­de­ment. Mais quels pres­tigieux affron­te­ments dans ces échanges ! À de cer­tains moments, on ne sait plus si l’on entend Marie Manci­ni et Mazarin, ou Antigone et Créon. Ou les heurts entre Anne d’Autriche et la petite Marie, tout aus­si intem­porels car ils sont ceux de la mère face à la femme qui veut pren­dre son fils, mais aus­si ceux du pou­voir poli­tique face à qui con­tred­it ses desseins.

La mise en scène : elle est de Christophe Lidon, tou­jours à l’aise dans ces sortes de résur­rec­tions de l’envers intime des événe­ments his­toriques, comme il avait su le mon­tr­er lorsqu’il mon­ta L’Antichambre de J.-C. Brisville dont nous évo­quions ici, voici peu, l’interprétation à l’Hébertot. Comme là, d’ailleurs, il s’est assuré le con­cours de Cather­ine Bluw­al pour le décor, et le résul­tant est un enchante­ment de sobriété et d’élégance. Il y a des trou­vailles d’éclairage et d’effets de miroirs à vous couper le souffle.

On sait que le jeune Louis (Adrien Melin) fut en sa jeunesse un excel­lent danseur, aimant à se pro­duire en pub­lic : des bal­lets furent écrits pour lui. M. Lidon nous en fait ressou­venir en nous le mon­trant dans un gra­cieux pas de deux avec Marie Manci­ni (Alexan­dra Ansid­ei, qui d’ailleurs pas­sa par l’école de danse de l’Opéra de Paris avant de se faire comédienne).

Il y a peu à dire de Mme Geneviève Casile et de M. Claude Rich, que tout le monde con­naît, sinon qu’ils y sont égaux à eux-mêmes, c’est-à-dire grandios­es. Voy­ant évoluer la pre­mière, on ne peut s’empêcher de songer aux soirs où, sur ce même plateau du Mont­par­nasse, elle était Madame de Main­tenon égrenant ses sou­venirs (L’Allée du Roi). Veuve de roi dans les deux cas, mais n’ayant jamais détenu aucun pou­voir ou au con­traire au déclin de sa toute-puis­sance de régente, après les dra­ma­tiques sec­ouss­es de la Fronde. Deux vies dif­fi­ciles, et pour­tant dominées.

Il y a deux petits rôles : Col­bert, à l’époque de l’action chargé de gér­er les biens – con­sid­érables – du Car­di­nal ; un nom­mé Bernouin, domes­tique du même et lui ser­vant à l’occasion de con­fi­dent. M. Lidon a con­fié ces deux per­son­nages à des comé­di­ens con­fir­més de sa com­pag­nie, MM. Bernard Mala­ka et Denis Bern­er, lesquels sont loin d’en faire de pâles util­ités, et bien au con­traire y appor­tent une dis­cré­tion de bon aloi. En par­ti­c­uli­er M. Mala­ka, qui sait remar­quable­ment exprimer la réserve un peu hau­taine du grand com­mis que fut Col­bert, gar­dant autant que pos­si­ble ses dis­tances avec le ver­sant un brin inter­lope de Mazarin, et même de Fou­quet, dont il est à même de juger qu’ils sont à la fois d’efficaces servi­teurs de la chose publique, mais se rem­plis­sent les poches très au-delà du décent.

En bref, un spec­ta­cle de haute venue, comme on voit peu.

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