Le Veilleur de nuit

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°605 Mai 2005Par : Sacha GuitryRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Pour notre plus grande joie, M. J.-L. Cochet monte, met en scène et joue chaque année une pièce. On la voit d’abord à Paris, dans l’occurrence 2005 aux Bouffes Parisiens, puis en tournée. Il la choisit tou­jours à la lumière de sa longue expéri­ence de la chose théâ­trale et de l’amour qu’il lui porte. Ce qui n’est pas peu dire. Cette année, il a jeté son dévolu sur une pièce de Sacha Gui­t­ry, plutôt anci­enne : Le Veilleur de nuit. Pièce anci­enne certes, mais surtout oeu­vre de jeunesse puisque l’auteur l’écrivit et la joua en 1911, alors qu’il avait vingt-six ans. Il en était pour­tant déjà à sa six­ième pro­duc­tion dra­ma­tique ! Le choix de M. Cochet se révèle d’autant plus heureux que, non seule­ment ce Veilleur de nuit n’a pas pris une ride mais qu’il présente en out­re une sorte d’intérêt his­torique, en cela que l’on y trou­ve déjà notre grand Sacha tout entier.

Le sujet ? Une jeune beauté, entretenue chez lui par un homme riche mais net­te­ment mûr, et appelé par pro­fes­sion à voy­ager, se laisse volon­tiers entour­er d’une cour de bruyants gigo­los à la mode. Le mon­sieur mûr a toutes raisons de penser que, durant ses absences, les folles soirées de la beauté doivent trop sou­vent se ter­min­er en beu­ver­ies et coucheries var­iées. Il en éprou­ve de l’inquiétude et il n’aime point cela, car il tient avant tout au con­fort de sa sérénité d’esprit. Or il se trou­ve que la dame tombe amoureuse d’un artiste en rap­port d’âge, à qui le mon­sieur mûr a con­fié la tâche de décor­er son salon de pein­tures murales.

Mais cette fois, il ne s’agit pas d’amourettes en l’air ; c’est au con­traire du solide, du sta­ble. Décou­vrant la chose, le mon­sieur mûr jubile : quand il s’absentera, il pour­ra désor­mais par­tir tran­quille, la ravis­sante beauté se trou­vant à présent en mains sûres, celles d’un veilleur de nuit claire­ment iden­ti­fié, à l’égard de qui l’on sait à quoi s’en tenir. Dans la scène finale, il s’en explique en toute clarté, et ironie, devant la beauté médusée et le jeune pein­tre, furieux de décou­vrir que c’est peut-être lui le vrai cocu dans l’affaire.

Et vous pou­vez imag­in­er quel bon­heur c’est, de voir M. Cochet, dans le rôle du mon­sieur mûr, exprimer sa sat­is­fac­tion, ses petits yeux pétil­lants de malice.

Un tel sujet, la rival­ité entre un vieux qui a des sous et un jeune qui n’en a pas, est certes d’une totale banal­ité, mais ce qui ne l’est pas du tout, c’est l’originalité dans la façon de le traiter, où l’on voit déjà se man­i­fester le prodigieux sens du sujet et de la con­struc­tion dra­ma­tique de notre Sacha. L’on y trou­ve aus­si ce que l’on appelle, peutêtre à tort et d’une façon qu’on voudrait péjo­ra­tive, des mots d’auteur ; il s’agit en fait de sim­ples répliques, mais si bien adap­tées aux cir­con­stances et surtout si per­cu­tantes qu’elles en devi­en­nent amies de la mémoire.

Le sens du cocasse n’est point absent non plus et, comme fréquem­ment chez l’auteur, il se man­i­feste déjà par la présence d’une bonne invraisem­blable, dotée d’un drôle de petit chignon, et, dans le cas, folle­ment amoureuse, elle aus­si, du pein­tre. On pour­rait écrire tout un ouvrage sur les bonnes de Sacha Gui­t­ry, si sou­vent et savoureuse­ment jouées de son temps par l’ineffable Pauline Car­ton. On saura d’ailleurs, pour la petite his­toire, que ce rôle fut, lors de la créa­tion, tenu par la pro­pre épouse de l’auteur, alors Char­lotte Lysès, qui sut s’enlaidir et se ridi­culis­er à souhait, en grande comé­di­enne qu’elle était. Mar­guerite Moreno, approchée mais se croy­ant encore à l’époque une noble tragé­di­enne, avait en effet refusé l’emploi avec indignation.

Mal­gré cette note comique, flotte pour­tant sur la pièce, comme sur presque toutes celles, dites boule­vardières, de Sacha Gui­t­ry, cette manière d’ironique lucid­ité, forte­ment tein­tée d’amertume quant à l’humaine con­di­tion, qui leur con­fère un accent d’intemporalité, faisant de l’auteur beau­coup plus qu’un sim­ple et éphémère amuseur pub­lic. Il est à ce pro­pos sin­guli­er de not­er que, lorsqu’il voulut se dégager de son désen­chante­ment et don­ner en mod­èle, en les por­tant sur la scène, les grands hommes qu’il admi­rait, il fut sou­vent un tan­ti­net ennuyeux.

D’ailleurs, on ne joue plus ses grandes fresques, telles que Franz Hals ou Pas­teur. Cela sem­ble un signe qui ne trompe pas.

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