La Poudre aux yeux, Le Sexe faible et L’Habit vert

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°553 Mars 2000Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

Il ne faut pas médire du vau­de­ville, même désuet. Cet été, le Fes­ti­val d’Anjou nous en a pré­sen­té deux : La Poudre aux yeux (1861) de Labiche, Le Sexe faible (1929) de Bour­det. Et se joue en ce moment à Paris, à l’Artistic-Athévains, en prin­cipe toute la sai­son L’Habit vert (1912) de G. de Cailla­vet et R. de Flers.

Ce serait une erreur de croire que la pein­ture des mœurs bour­geoises du Second Empire n’intéresse plus que les his­to­riens. L’immuable suc­cès des pièces de Labiche prouve le contraire. La Poudre aux yeux raconte les mésa­ven­tures de deux couples de bour­geois à peine aisés mais don­nant dans l’esbroufe afin de marier riche­ment leurs enfants. Sans doute, dis­po­ser d’une loge aux Ita­liens n’est plus un signe exté­rieur de richesse ; sans doute, les parents n’interviennent-ils plus guère dans le mariage de leurs enfants, à sup­po­ser qu’ils se marient ; sans doute n’est-il plus pos­sible à un méde­cin sans clien­tèle de vivre presque conve­na­ble­ment, grâce à ses rentes.

Et puis après ? Mal­gré la mou­vante nou­veau­té des choses, les com­por­te­ments humains ne changent pas et l’inclination à “péter plus haut que son cul”, por­tée à la scène, demeure un moyen sûr de faire rire. Le Bour­geois gen­til­homme s’achève en bouf­fon­ne­rie. Pas La Poudre aux yeux, grâce à l’intervention d’un oncle Robert, mar­chand de bois de fruste appa­rence, qui remet pour­tant les yeux de cha­cun der­rière leurs trous. Par­fois n’en fait-on d’ailleurs qu’une manière de deus ex machi­na un peu falot, ne ser­vant qu’à ter­mi­ner la pièce. Ce n’était pas le cas au Fes­ti­val d’Anjou. Je déplore la fré­quente habi­tude de ne point don­ner la dis­tri­bu­tion aux spec­ta­teurs. Elle me prive de vous faire connaître le nom de ce comé­dien sachant admi­ra­ble­ment écou­ter. Du grand art : si l’auteur impose ce que l’acteur doit dire, il le laisse libre de ce qu’il tait.

Faute d’avoir revu Le Sexe faible depuis des décen­nies, je n’en gar­dais que le sou­ve­nir, incer­tain et glo­bal, d’un grand plai­sir de l’esprit. Je l’ai retrou­vé, intact, mal­gré une mise en route un peu labo­rieuse. On peine à se retrouve dans la com­po­si­tion de cette famille effer­ves­cente. Les décors, très fidè­le­ment 1930, lais­saient pla­ner la crainte d’une action un tan­ti­net vieillotte, dans le cadre dis­pa­ru des années folles : palace Art déco avec maître d’hôtel en habit, hommes oisifs et entre­te­nus par des femmes richis­simes et impé­tueuses, issues des deux Amériques.

Mais pas du tout. La cocas­se­rie des situa­tions, le brio du texte, la qua­li­té des comé­diens empor­tèrent mes fugi­tives appré­hen­sions : Rosy Varte en mère de famille sou­cieuse d’assurer une large aisance oisive à ses fils, Miche­line Dax en vieille com­tesse pein­tur­lu­rée, prête à payer fas­tueu­se­ment ses plai­sirs noc­turnes, Phi­lippe Clay dans le rôle d’Antoine, le maître d’hôtel qui ne s’est pas assis depuis vingt-deux ans, confi­dent de tous, entre­met­teur ingé­nieux capable de dénouer les pires situa­tions et cou­pant court aux remer­cie­ments par de dédai­gneux Ce n’est rien, Madame.

Les ama­teurs de vau­de­villes, même his­to­riques si j’ose dire, se réjoui­ront aus­si de L’Habit vert, mon­té à l’Artistic- Athé­vains. On ne s’ennuie jamais, et l’on rit tou­jours de bon cœur à voir et écou­ter du Cailla­vet et de Flers. Sur­tout quand ils sont bien joués, ce qui est le cas pour l’ineffable Andréa Retz-Rouyet en duchesse fran­co-amé­ri­caine qui s’embrouille entre fran­çais et anglais chaque fois qu’elle tombe amou­reuse – situa­tion fré­quente – et pour Phi­lippe Lebas en Hubert de Latour-Latour, élu à l’Académie fran­çaise en rai­son de sa ras­su­rante nul­li­té d’homme du monde, mais qui n’en pro­nonce pas moins un noble dis­cours de récep­tion. J’ai bien aimé aus­si Claude Guedj en duc de Mau­lé­vrier, aca­dé­mi­cien for­tu­né et cocu, séchant les séances du dic­tion­naire et pour qui tout s’est arrê­té en France à l’abdication de Charles X. Les autres gui­gno­laient peut-être un peu trop. M’est avis que les per­son­nages dis­tin­gués et creux de Cailla­vet et Robert de Flers sont tout autres que les marion­nettes ahu­ries de tri­bu­la­tions chères à Feydeau.

C’est égal, si vous aimez vous diver­tir des ridi­cules aca­dé­miques et répu­bli­cains au temps de la nais­sante Troi­sième, allez voir L’Habit vert. Mal­gré ses petits défauts d’interprétation, il ne faut pas lais­ser pas­ser cette reprise.

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