Comédie sur un quai de gare

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°564 Avril 2001Par : Samuel BENCHÉRITRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Aux envolées tri­buni­ti­ennes des Pères fon­da­teurs de la République, la gent poli­tique préfère de nos jours les petites phras­es. Les esprits cha­grins sont par­fois ten­tés d’y voir comme une baisse de tonus. Or voici que le théâtre y vient aus­si. Faut-il y dis­cern­er le même signe ?

Sur un quai de gare se tien­nent un soir trois per­son­nages : un père et sa fille, un incon­nu. Ils atten­dent le train n° 817 à des­ti­na­tion de Paris – entre nous, cela ne peut arriv­er : les trains impairs vien­nent de Paris, et non l’inverse – mais peu importe cette remar­que idiote car nous ne sommes pas au Théâtre Antoine, jadis tem­ple du réal­isme forcené. Ce train a du retard, ce qui, au con­traire, arrive plus sou­vent qu’on le voudrait par les temps qui courent, mais peu importe encore. C’est au con­traire néces­saire au déroule­ment de la pièce.

Durant leur attente, les trois per­son­nages échangent de petites phras­es, en rap­port avec la sit­u­a­tion dans quoi ils se trou­vent. Le Père et la Fille vont à Paris pour ten­ter de s’engager dans des vies nou­velles, mais séparées, ce qui leur sera infin­i­ment dif­fi­cile : le père, veuf, a élevé seul sa fille depuis sa très petite enfance, et ils sont attachés l’un à l’autre par une ten­dresse pro­fonde. Mais, comme dit le Père : Si nous con­tin­uons à vivre ensem­ble, tu fini­ras par devenir plus vieille que moi. L’Inconnu va aus­si à Paris, lui pour y ouvrir un bar-tabac. Une idylle se noue entre lui et la Fille, sous le regard tour à tour appro­ba­teur et hos­tile du Père.

Tel est le con­tenu de Comédie sur un quai de gare, écrite et mise en scène par Samuel Benchérit, jouée par J.-L. Trintig­nant, le Père, sa fille Marie, la Fille, et P. Lizana, l’Inconnu.

M. Benchérit se mon­tre un excel­lent met­teur en scène. Dans un décor aus­si dépouil­lé qu’un vrai quai de gare, gar­ni de trois bancs, d’un Repère C et d’un haut-par­leur, il fait évoluer les trois pro­tag­o­nistes en jouant avec une dis­crète habileté de leurs posi­tions respec­tives sur les bancs, selon les sen­ti­ments, fluc­tu­ants, qui les tra­versent. Il a aus­si de bonnes trou­vailles de dra­maturge : son idée, par exem­ple, de con­fi­er au haut-par­leur non seule­ment les annonces de retard et autres néces­sités fer­rovi­aires, mais de lui attribuer en sus une fonc­tion de con­fi­dent du Père, demeuré un moment seul sur le quai. C’est inat­ten­du, et saisissant.

Mal­heureuse­ment, le même jeu recom­mence presque aus­sitôt avec la Fille, à son tour esseulée. Cela sent alors ter­ri­ble­ment son procédé. On le regrette car les deux dia­logues ont l’un et l’autre une forte puis­sance d’évocation du désar­roi dans quoi errent ces deux êtres.

Venons-en pour­tant aux petites phras­es. Elles sont, hélas, le plus sou­vent d’une minceur extrême, proches de l’insignifiance, comme si l’auteur n’avait pas su aller au bout de son thème dra­ma­tique, pour­tant riche. Bien que la salle par moments glousse de rire, cela n’a guère la cocasserie d’un Ionesco, ni l’éblouissante absur­dité d’un Beck­ett. Cette impres­sion de ténu­ité était accen­tuée par l’insuffisance vocale des deux hommes. Même J.-L. Trintig­nant, qui a pour­tant du méti­er, et Dieu sait quel, on peinait trop sou­vent à le comprendre.

Sans doute, les cir­con­stances appelaient les pro­tag­o­nistes à susurrer plutôt qu’à crier comme des furies. Mais l’art du comé­di­en n’est-il pas juste­ment de paraître mar­mon­ner entre ses dents si la sit­u­a­tion l’exige, mais de garder pour­tant une dic­tion nette ? Aus­si sur­prenant que ce soit de la part d’un très grand, passé en ses jeunes années par l’école de Dullin, ce n’était pas le cas.

De sorte que des filets de voix au ser­vice d’un texte bien mince ne fai­saient pas du très grand théâtre. Cela était d’autant plus dom­mage qu’on ne s’en sen­tait pas très loin, tant par l’intemporalité du sujet que par la qual­ité de présence des comédiens.

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